Histoire du Coran. Contexte, origine, rédaction. Sous la direction de Mohammad Ali Amir Moizzi et Guillaume Dye 2022, Le Cerf.

Histoire du Coran - Contexte, origine, rédaction

Le Coran d’avant l’islam : Voici, enfin, un texte générique et majeur, tant attendu car il représente un desideratum déjà ancien de la communauté scientifique mais aussi du grand public cultivé. Une partie de ce texte avait fait l’objet d’une publication chez le même éditeur…

Le sous titre indique ce qu’il entend couvrir de la façon la plus libre possible, n’obéissant à aucune idéologie arbitraire et ne poursuivant qu’un seul objectif: découvrir la vérité historique de ce texte religieux dont l’irruption dans l’histoire contemporaine de notre vie quotidienne pourrait s’apparenter à une secousse tellurique. C’est justement ce genre de déclaration et de commentaire auquel le présent ouvrage vient couper l’herbe sous les pieds. On y lit des analyses fondées sur une approche historico-critique du texte coranique que nous avons sous les yeux. Rien de plus, rien de moins. Les deux directeurs de cet imposant ouvrage sont des spécialistes connus et reconnus, notamment le premier des deux, célèbre pour son remarquable Dictionnaire du Coran et plus généralement, pour son ouverture d’esprit : c’est l’esprit scientifique exclusivement qui l’a guidé dans tous ses travaux. Son collègue bruxellois mérité les mêmes éloges.

Il faut tout lire ici très attentivement, y compris la belle introduction générale qui tire au clair les motivations du projet et attire l’attention sur les risques de l’entreprise. On pense d’abord à l’esprit de la recherche et à la nature de l’historien des religions ou de la science des religions comparées, en général. Les deux éditeurs ont raison de parler du caractère un peu hybride de l’histoire des religions, surtout lorsqu’il parle de confessions dont la sienne ne fait pas partie. Un cas d’espèce se pose: le texte religieux, présenté par ses adeptes comme un texte révélé ou prétendu tel, peut-il, sans subir de dommage, être l’objet d’une approche comme n’importe quel autre texte ? Et le spécialiste des religions doit-)il tenir compte de cette réalité d’un autre monde, celui de la transcendance, laquelle se revendique d’autres lois qui n’ont plus rien à voir avec l’objet de leur étude ?

On a gardé en mémoire la méthode qui a connu une grande diffusion depuis mai 68, quand il s’agissait de comprendre le discours politique des uns et des autres à partir de leur point de vue : d’où parlez vous ? En l’espèce, tout en tenant compte des difficultés, cette Histoire du Coran évite les principaux écueils et répète inlassablement que son approche est historico-critique. Nous sommes des philosophes-historiens et le jeu des influences et des emprunts nous tient à cœur.

Pour faire son profit de toutes ces excellentes contributions qui ne laissent rien d’essentiel leur échapper, il faut les lire dans cet esprit. Et on en vient à un sujet connexe : existe-t-il une vérité religieuse ? Ernest Renan a effleuré ce sujet comme tant d’autres. Il pensait que la science n’a pas de patrie mais que le savant, lui, en a forcément une. Si vous remplacez vérité par religion, vous êtes confronté à la même problématique. Peut-on infliger un démenti à Renan et arguer que le savant peut faire abstraction de tout pour saisir une vérité transcendantale, comme le disait Kant ?

En islam comme en judaïsme ou en christianisme la Raison fait face à la Révélation avec des fortunes diverses. Il ne s’agit plus d’évaluer le textes religieux selon les filtres exégétiques qu’ils ont dû subir mais de retrouver leur essence première, celle qu’ils avaient à la naissance, avant d’être formatés, adaptés aux mœurs et aux idées du temps présent.

C’est un peu ce Coran avant l’islam qu’on nous invite à découvrir dans sa diversité, son long parcours, accompagné des emprunts qu’il a contractés et des sources auxquelles il a pu s’abreuver. Et du coup, on découvre que la notion de l’originaire, de l’authentique, du pur et sans mélange, est subtile, ténue, voire insaisissable. Les savants germaniques, je veux dire les orientalistes allemands du XIXe siècle, ont vraiment illustré ce que Goethe entendait par le West-östlicher Diwan. Ils furent pratiquement les premiers à étudier le Coran, à le traduire et à mettre à nu ses parties constituantes. Ils ont montré que le Coran avait contracté une grande dette auprès des écrits juifs de la même époque ou d’époques antérieures. Me revient en mémoire une phrase, peut-être un peu exagérée de Renan : il ne tenait qu’à un fil que l’Arabie ne devînt juive…

Loin de moi l’idée de présenter le Coran ou l’ensemble de la religion mahométane comme un simple sous-produit du judaïsme. Mais ce beau livre montre le contraire tout en pointant les différents emprunts, les rapprochements et les parentés linguistiques et idéologiques. Même au plan liturgique, on peut relever quelques intéressantes coïncidences : Ytbarakh we-yit’allé (qu Dieu soit exalté et béni) donne en arabe : Allah, tabaraka wa-ta’alla. Les racines des deux verbes sont identiques car l’arabe, l’hébreu et l’araméen, etc… font partie du même groupe sémitique nord…

Je crois sincèrement que le vrai débat se fait avec le volet juif, en dépit d’une méfiance anti-juive qui va aller croissant. Les néophytes, mus par de bonnes intentions, ont cru que les élites juives allaient les aider à combattre le trinitarisme chrétien, et donc préalablement se convertir à la nouvelle foi Rares furent ceux qui franchirent le pas, mais les influences et les emprunts sont légion.. Dans ce contexte, nous assistons à un phénomène curieux : dans l’Allemagne du milieu du XIXe siècle. La quasi-totalité des candidats au rabbinat rédigeaient à l’université des thèses sur l’arabe, le judéo-arabe, la philosophie judéo-arabe (Saadya Gaon, Juda ha-Lévi, Salomon ibn Gabirol, Maimonide et tant d’autres…

C’est ainsi que Abraham Geiger (1810-1874), figure de proue du mouvement libéral sur les rives du Rhin consacra sa thèse aux emprunts du Coran auprès du judaïsme. Le texte de la thèse fut couronné d’un prix prestigieux offert par l’université de Bonn. C’est dire combien la tradition juive des études orientalistes était vigoureuse. Dans la première partie de ce même XIXe siècle Salomon Munk, juif allemand installé à Paris, publia un travail de pionnier, intitulé Mélanges de philosophie juive et arabe. Cela ne touche pas au Coran directement mais bien indirectement. Deux coryphées de la science du judaïsme allemand étaient d’éminents connaisseurs du Coran et de la culture islamique : Moritz Steinschneider et Ignaz Goldzieher. Le premier fut le grand érudit juif de son temps et le second s’est signalé par ses Muammdanische Studien, traduit plus tard, en arabe…

Tout ceci pour dire combien cet ouvrage que je n’ai fait qu’effleurer constitue le franchissement d’une étape qualitative en ce qui concerne la connaissance du Coran. Il apporte enfin les réponses que tout le monde attendait. Au plan politique il ne bouleversera pas la donne mais dans la longueur des jours il portera ses fruits

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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Alex E. MÉRALI

Je n’ai pas du tout apprécié cet article. Ce qu’a omis de prendre en considération Maurice-Ruben HAYOUN, c’est ce vieux très sage proverbe : on juge la qualité d’un arbre à la qualité de ses fruits. Prenons l’arbre : le coran (ou l’islam) et examinons ses fruits. Ils démentent férocement les ambigus propos de Maurice-Ruben HAYOUN.

Habibi

Il y a une connaissance possible du coran, de la bible, des védas…de l’ordre du mental, et il y a la Connaissance, de l’ordre de l’Etre au sens métaphysique du terme, et en vérité seule l’incarnation de cette Connaissance dans cet état accomplide l’Etre ouvre le champ du possible à une véritable connaissance « naturelle » des textes dits sacrés dans leurs sens les plus étendus… mais ces textes, dés lors, ne présentent plus évidemment qu’un intérêt contingent.

Habibi

Il y a une connaissance possible du coran, de la bible, des védas…de l’ordre du mental, et il y a la Connaissance, de l’ordre de l’Etre au sens métaphysique du terme, et en vérité seule l’incarnation de cette dernière ouvre le champ du possible à une véritable connaissance « naturelle » des textes dits sacrés dans leurs sens les plus étendus, mais ces textes, dés lors, ne présentent plus évidemment qu’un intérêt contingent.