Pendant près de 60 ans, les deux pays, qui viennent d’accepter de normaliser leurs relations, ont collaboré étroitement mais secrètement sur les questions militaires et de renseignement, les éliminations ciblées et la migration des Juifs en Israël.

Crédit…Jack Garofalo / Paris Match, via Getty Images

 

Derrière l’annonce jeudi qu’Israël et le Maroc établiront leurs premières relations diplomatiques formelles, il y a près de six décennies de coopération étroite et secrète sur le renseignement et les questions militaires entre deux nations qui ne se sont officiellement pas reconnues.

Israël a aidé le Maroc à obtenir des armes et du matériel de collecte de renseignements et à apprendre à les utiliser, et l’a aidé à assassiner un chef de l’opposition, Mehdi Ben Barka. Le Maroc a aidé Israël à accueillir des Juifs marocains, à monter une opération contre Oussama Ben Laden – et même à espionner d’autres pays arabes.

La collaboration – découverte dans une série d’entretiens menés et de documents découverts au cours de nombreuses années – reflète une politique israélienne de longue date de construction de liens secrets avec des régimes arabes avec lesquels on peut trouver des intérêts communs – et des ennemis -. En particulier, Israël a poursuivi une stratégie dite « de périphérie », atteignant des États plus éloignés qui étaient très distants du différend territorial israélo-arabe ou qui avaient des relations hostiles avec les propres ennemis d’Israël.

La relation maroco-israélienne découle en partie du grand nombre de Juifs au Maroc avant la naissance d’Israël en 1948, dont beaucoup y ont émigré, constituant l’une des plus grandes parties de la population israélienne. Quelque un million d’Israéliens sont originaires du Maroc ou descendent de ceux qui l’étaient, assurant un intérêt profond et constant pour ce pays situé à plus de 2 000 kilomètres.

Lorsque le Maroc a obtenu son indépendance de la France en 1956, il a interdit l’émigration juive. L’agence d’espionnage israélienne, le Mossad, a fait passer en contrebande de nombreux Juifs, mais l’opération a été révélée en 1961, lorsqu’un navire du Mossad, l’Egoz, transportant de tels migrants a coulé, tuant la plupart de ceux à bord.

Naufragés disparus de l’Egoz

Le mois suivant, un nouveau roi marocain, Hassan II, a pris le pouvoir, et Israël a fait un effort très fructueux pour cultiver une relation de proximité avec ce nouveau Roi. Les agents israéliens ont rencontré le chef de l’opposition marocaine, Mehdi Ben Barka, qui a demandé de l’aide pour renverser le roi; au lieu de cela, les Israéliens ont informé Hassan du complot.

L’accession au trône du roi Hassan II permet un accord entre lui et le Premier ministre israélien David Ben-Gourion pour qu’Israël paie le Maroc pour chaque juif auquel Rabat permet de quitter le pays et de venir Israël, marquant le début de l’opération Yachin. Le nom de l’opération Yachin était d’origine biblique – étant le nom de l’un des deux piliers centraux qui soutenaient le Saint Temple construit à Jérusalem par le roi Salomon, et depuis qu’Israël considérait l’immigration comme un pilier majeur qui soutenait l’existence de l’État juif.

L’adhésion d’Hassan II le 26 février 1961 a permis de débuter les négociations sur un accord secret entre la division «Misgeret» du Mossad et les autorités marocaines (principalement le prince Moulay Ali et le ministre du Travail Abdelkader Benjelloun), ainsi que l’organisation américaine HIAS. Un arrangement économique a été conclu entre Israël et le Maroc, avec l’accord du Premier ministre israélien David Ben Gourion et du roi Hassan II du Maroc, selon lequel 500000 dollars seraient versés à titre d’acompte, plus 100 dollars par émigrant pour les 50 000 premiers juifs marocains, puis, 250 $ par émigrant par la suite. L’opération a également reçu une aide importante de l’Espagne franquiste. Cependant, certains Juifs se sont installés en France, au Canada et aux États-Unis plutôt qu’en Israël. Le Maroc a reçu des «indemnités» pour la perte de « ses » Juifs.

L’opération était dirigée par la Hebrew Immigrant Aid Society basée à New York, qui a financé environ 50 millions de dollars des coûts.

Le roi a autorisé l’émigration massive des juifs et a permis au Mossad d’établir une station au Maroc. Israël a fourni des armes et formé les Marocains à leur utilisation; il a fourni des technologies de surveillance et aidé à organiser le service de renseignement marocain; et grâce aux informations partagées recueillies par leurs espions – ce fut le début de décennies d’une telle coopération.

Crédit…Nati Harnik / Associated Press

Un moment crucial est survenu en 1965, lorsque les dirigeants arabes et les commandants militaires se sont rencontrés à Casablanca, et le Maroc a permis au Mossad de mettre sur écoute leurs salles de réunion et suites privées. Les écoutes clandestines ont donné à Israël un aperçu sans précédent de la pensée, des capacités et des plans arabes, qui se sont révélés vitaux pour le Mossad et les Forces de défense israéliennes dans la préparation de la guerre de 1967.

« Ces enregistrements, qui étaient vraiment une réalisation extraordinaire des services de renseignement, ont établi notre sentiment, du haut de Tsahal, que nous gagnerons la guerre contre l’Égypte », a déclaré, ans une interview en 2016, le général Shlomo Gazit, qui deviendra plus tard le chef du renseignement militaire.

Peu de temps après ce coup d’État des services de renseignement, à la demande des services de renseignements marocains, le Mossad a localisé M. Ben Barka, le chef de l’opposition, et a aidé à l’attirer à Paris. Là, des Marocains et des Français alliés l’ont enlevé. Il a été torturé à mort et les agents du Mossad se sont débarrassés du corps (dit-on dans une cuve d’acide à Rabat, scène qui aurait inspiré une célèbre scène du film Nikita, de Luc Besson), qui n’a jamais été retrouvé.

Une décennie plus tard, le roi Hassan et son gouvernement sont devenus la voie secondaire entre Israël et l’Égypte, et le Maroc est devenu le site de réunions secrètes entre leurs fonctionnaires, avant les accords de Camp David de 1978 et la normalisation des relations entre les anciens ennemis. Israël a ensuite aidé à persuader les États-Unis de fournir une assistance militaire au Maroc.

En 1995, les services de renseignement marocains se sont joints à un plan du Mossad qui a finalement échoué; il s’agissait de recruter le secrétaire d’Oussama ben Laden,  et ainsi de trouver et tuer le chef d’Al-Qaïda, selon un ancien responsable du Mossad qui était un partenaire dans cette planification, et qui a demandé à ne pas être nommé, lors de la discussion des opérations de renseignement.

Dans cette photo d’archive de 1998 rendue disponible le 19 mars 2004, Oussama ben Laden est aperçu lors d’une conférence de presse à Khost, en Afghanistan. (Photo AP / Mazhar Ali Khan, dossier)

1995 – Les services de renseignement marocains tentent en vain d’aider le Mossad à assassiner Oussama ben Laden, le chef d’al-Qaïda qui allait diriger les attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis. Certains détails de l’opération ont été publiés par Yedioth Ahronoth en 2006.  

Le service d’espionnage israélien du Mossad et un homologue étranger ont enrôlé un confident d’Oussama Ben Laden pour tuer le chef d’Al-Qaïda en 1996, mais le plan s’est effondré à cause d’un conflit politique.

Le Mossad a suivi la trace de Ben Laden tout en aidant des agents américains et égyptiens à enquêter sur une tentative de jihadistes islamistes d’attenter à la vie du président égyptien Hosni Moubarak lors de sa visite en Éthiopie, a déclaré le quotidien israélien Yedioth Aharonoth, citant des sources de sécurité.

Selon le rapport, le Mossad a recruté une femme proche de Ben Laden avec l’aide des services de renseignement de son pays. Ni le nom ni la nationalité de la femme n’ont été révélés.

Yedioth a déclaré que la femme était censée tuer Ben Laden, mais la mission a été avortée à la suite d’une rupture des liens entre Israël et son pays, liée aux tensions israélo-palestiniennes.

Contacté, Danny Yatom, qui était à la tête du Mossad à l’époque, a refusé de commenter le reportage.

Il faudra subir une longue vague d’attentats, de Dar Es Salam, Nairobi, la Somalie, le 11 septembre 2001, jusqu’en 2011, pour que la tête de Ben Laden roule dans la poussière, sous les tirs des Navy Seals , à Bilal, dans la périphérie d’Abbottabad, au Pakistan, le 2 mai 2011.

Pendant des années, le successeur de Hassan II, le roi Mohammed VI, a demandé l’aide d’Israël pour obtenir l’accord américain à l’annexion du Sahara occidental par le Maroc, qui s’est finalement concrétisée dans l’annonce de jeudi. Depuis 2006, Serge Bardugo, un dirigeant de la petite communauté juive restée au Maroc, est l’ambassadeur du roi dans cet effort, rencontrant des responsables israéliens et des dirigeants juifs américains.

Occasionnellement, ces réunions ont été suivies par Yassin Mansuri, un ami de longue date du roi qui dirige l’agence de renseignement externe du Maroc. M. Mansuri, à son tour, a rencontré directement son homologue israélien, Yossi Cohen, le chef du Mossad, menant certaines des négociations qui ont conduit à l’accord de normalisation des relations.

Avec la contribution de

Compilation et adaptation  : Marc Brzustowski

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Atlan nee barchechath

Je ne pardonerai jamais aux responsabes du bateau egoz ceux qui ont autauriser le depart du vieux bateau egoz avec quarante deux famille a bord et un seul gilet de sauvetage avec lequel le capitaine sest sauve alors que la mer etait tres mauvaise lalerte donnee trop tard et aux responsables eloignes du bord ils pouvait etre savees mieux etre prisonier en faisant marche arriere Ue de perdre la vie

Mostafa

Nos frères de confession juive ou autres ont toujours été et le resteront les bienvenus dans leur pays le Maroc

Serge0255

C’est Tahar Ben Jelloul qui doit en faire une tête!!!

Patrice Van Eersel

Déjà, pendant la seconde guerre mondiale, le roi du Maroc, père d’Hassan, avait protégé la communauté juive. Quand les agents de Vichy, plus zélés que les Allemands, lui avait demandé d’exiger que les juifs du Maroc portent l’étoile jaune, il avait non seulement refusé, mais aussitôt invité le grand rabbin de Fès à venir s’asseoir à ses côtés. Les juifs du Maroc et leurs descendants s’en souviendront toujours.

joseph

Ma mère, jeune institutrice française au Maroc a perdu en novembre 1940 son poste et sa nationalité (sous l’oeil amusé de ses « collègues » français).
Ell a retrouvé le même emploi dans une école marocaine, grâce à Mohammed 5.

Louzoun

Moi j’ai honte quand on lit que le mossad a aidé à assassiné Ben Barka

joseph

Lui n’aurait eu aucune honte à faire chasser les Juifs d’Israel, avec les massacres que cela implique..

Forceetjustice

Je peux vous assurer que Ben Barka n’a pas été assassiné par le Mossad. L’opposant marocain a été enlevé probablement avec une intervention du Mossad à un moment donné pour aider Hassan II, car ce Ben Barka était prêt à tout pour prendre le pouvoir au Maroc, y compris son alliance avec les Soviétiques….personne n’avait interet dans le monde occidental que Ben Barka devienne le maître du Maroc…Mais sa mort a été accidentelle ! Un dénommé Boucheseiche, un ancien collaborateur de la Gestapo pendant l’occupation nazi en France, mais parfois aussi résistant, comme beaucoup de truands français à l’époque, était un homme de main des services Marocains et de Oufkir en particulier, ce Boucheseiche ne supportant plus les crie d’Orfraie de Ben Barka, enlevé à Paris et tenu prisonnier dans une maison de la région parisienne, lui a donné une baffe violente, Ben Barka qui était handicapé, il avait eut la Polio, portait une minerve pour soutenir sa tête, quand le truand lui envoya une mendale sa nuque fut brisée comme un morceau de bois sec….Qu’est devenu le corps ? Le Mossad ça doit bien le savoir…mais encore une fois est-ce le Mossad qui à fait le boulot ? On préte parfois beaucoup trop au Mossad !

Guy Poron

Passionant à lire et à découvrir ces jeux interactifs cachés!Et en fin de compte, cette intelligence, c´est celle du Peuple de D.ieu, en fait la Main de D.ieu, Adonai Eloheinu!

jamais existe que dans l'imaginaire

CELA NE M’ETONNE PAS DU TOUT DE LA PART DU ROI DU MAROC CAR,LUI ET SON PERE ET SURTOUT SON GRAND PERE ONT TOIJOURS PROTEGE LA COMMUNAUTE JUIVE DU MAROV !!!

Forceetjustice

Il y a une raison à cela…Saviez vous que le drapeau marocain portait un sceau de salomon avant de porter l’étoile des shérifs…Pour ceux qui sont né il y a longtemps au Maroc ils n’ignorent pas non plus que les pièce de monnaies marocaine étaient frappées à l’avers d’une étoile à six branches…Quand à Hassan II la question qui se pose: était-il le fils naturel de Mohamed el Khémis et d’une femme blanche ? Ou bien son origine est-elle volontairement cachée ?

Jankel

Bravo ! Voilà comment On se Bat, vraiment, au lieu « d’agiter des Débats » pédago-éducatifs vains et ridicules… qui ne mènent qu’à la prise du pouvoir par les Hitler de tous les 20 -30 ans!
Tous les écrits savants de ces 45 dernières années n’ont pas influencé d’un Iota le résultat actuel de la société folle analysée par Philippe Muray!

Arié

Merci pour cet incroyable et palpitant article !!!
Vraiment très intéressant !..
Il parait que chaque Chef d’Etat africain a son Juif (conseiller )…d’après une source impliquée elle-même.

joseph

Depuis des siècles, il y a à la cour du roi du Maroc un « cheikh el yahoud » un « chef des Juifs », ayant rang de ministre, chargé de représenter la communauté juive.
Il faut se souvenir que jusqu’en 1948, des villages entiers étaient juifs..
(Mille ans d’histoire juive au Maroc, Haïm Zafrani).