HaaZiNou: le Ciel et la Terre pris à témoins par Moïse (vidéo)

par Raphäel Draï

Avant de quitter le peuple d’Israël et ce monde, Moïse entend parfaire le viatique dont il les dote. Jusqu’à présent, il avait procédé à l’anamnèse historique d’Israël, mettant en évidence ses vulnérabilités mais aussi ses points forts.
Rien ne doit être dissimulé au risque d’en subir la récidive. Mais ces paroles d’éveil et d’admonestation ne se sont pas destinées aux Anges du Service. Le peuple d’Israël est un peuple d’humains, situé sur une terre, et sous un ciel.
Le ciel et la terre seront donc pris à témoins par Moïse car une même loi de vie les régit solidairement avec le peuple qui vivra selon leurs coordonnées, diurnes ou nocturnes. Ne le savions nous déjà?
Le Deutéronome est le livre de la didactique prophétique. Faut-il qu’elle soit elle même redite? En réalité ce qui frappe dans cette paracha, au moins en ses débuts, est la langue dans laquelle Moïse, le prophète incomparable par son humilité,  s’exprime.
Elle défie la traduction tant elle est chargée symboliquement et sémantiquement. Pour l’expliciter, la paraphrase, au sens du Targoum, d’abord, puis l’étude à deux ou à plusieurs sont requises.
Moïse aurait-il voulu rendre ses propos impénétrables? A t-il pêché par ésotérisme, par « sibylisme »? Il ne semble pas.
Son seul but est de concilier la personnalité singulière de chaque Bnei Israël avec son appartenance d’ensemble au peuple du Sinaï.
Lorsqu’une parole doit être interprétée à plusieurs, elle devient le moyen de raccorder le Je, le Tu et le Nous, comme ont parfois tant de difficulté à le faire les pensées contemporaines.
Ce n’est pas seulement un exercice intellectuel: au milieu de cette paracha se trouve la plus forte déclaration relative à  l’unité et à l’unicité divines, après le « Chéma Israël ».
Il n’est pas de divinité adjacente ou supplétive au Dieu du Sinaï, le Dieu qui fait vivre, mourir (Moïse va le vérifier) mais qui fait revivre aussi. C’est bien au milieu même de ce milieu, dans son tokh, que s’énonce l’affirmation de la résurrection.
Au cours des siècles, une théologie aussi polémique qu’aveugle niera que le peuple d’Israël ait cru à la résurrection des morts. Il faut ne pas avoir lu  cette paracha pour commettre un si grave contre-sens. Celui ci peut cependant se reconstituer d’une autre manière.
Si l’humain est appelé, quoi qu’il en soit,  à ressusciter, quelle  peut être la signification de la mort conçue comme une épreuve? La mort n’est nullement déniée.
Elle présente cet étrange point commun avec l’amour: elle peut faire l’objet d’une injonction. Le Créateur l’intimera à Moïse: «Monte sur le mont Nébo et là, meurs!». Le verbe est à la forme active, comme s’il s’agissait d’une opération à conduire consciemment d’un bout à l’autre.
A quoi correspondrait cette action si particulière sinon à un dessaisissement volontaire de  toutes les possessions, de toutes les attaches d’une vie qui mérite ce nom tant elle aura été à chaque instant vécue! On ne quitte pas vraiment ceux auxquels et ce à quoi l’on ne s’est jamais attaché.
Sans attachement, point d’arrachement. Moïse a aimé sa condition humaine. De son propre mouvement il n’en voudrait point d’autre. Il voudrait plutôt traverser le Jourdain avec ce peuple qu’il a tant aimé… Mais là s’arrête son cheminement en cette vie.
Pourtant si celle-ci ne devait pas se poursuivre ailleurs et  autrement, pourquoi le Créateur l’incite t-il à contempler panoramiquement, panorama dans l’espace  et dans le temps, cette terre qui lui a été interdite?
La mort n’est pas déniée mais elle ne doit pas devenir occasion de panique, le signe de l’ultime horreur. Si la vie que l’on a vécue est digne de ce nom, on y puisera le courage, sinon la sérénité indispensables pour la quitter.
Le Créateur a laissé à Moïse tout le temps de réviser la Thora avec le peuple qui l’a acceptée au Sinaï. Il l’a laissé la répéter jusqu’au moindre détail, en expliciter les plus fines variantes.
Mais Moïse ne doit pas  procrastiner. ll faut qu’il quitte et ce peuple et ce monde qui le feront vivre d’une autre manière, dans leur mémoire, par l’élévation de leur esprit au degré où le sien accéda. En somme, l’enseignement divin se poursuit jusqu’en ces ultimes instants.
Arrivés au terme de cette paracha un sentiment qui serait presque de la tristesse nous saisit : pourquoi le Créateur tient-il à rappeler au prophète agonisant la cause de l’interdit qui l’empêche de franchir le Jourdain? Était-ce le bon moment?
Le Créateur ne passe t-il pas ici pour une divinité rancunière et vindicative? Plusieurs lectures sont possibles. La précédente est fragile tant le Créateur dispensera des paroles de bonté, de mansuétude et même de reconnaissance vis à vis de Moïse.
Une autre s’ouvre: le rappel opéré à ce moment exprime moins la vindicte du Créateur que ses regrets. Ah, si Moïse avait parlé au rocher au lieu de le frapper! La Parole divine y revient parce que si le remords est ressassement d’un passé mort, les regrets marquent la volonté de réparer sur le champ et pour l’avenir ce qui peut l’être.
Cette fois Moïse obéit, quoi que son cœur endure. Obéir au Dieu de vie, c’est cela le sanctifier.
Par deux fois Moïse se sera soustrait au regard optique du peuple: la première lorsqu’il accomplit l’ascension du Sinaï, l’autre lorsqu’il accomplit celle du mont Nébo.
Dans les deux cas, il reste l’exemple vivant d’une obéissance sanctifiante, celle par laquelle le serviteur, aussi haut qu’il soit monté, reconnaît la souveraineté divine, celle d’où seule procède la résurrection à venir.

Raphäel Draï  zatsal

 

 

 

 

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