«Jean-Luc Mélenchon n’a aucune chance de devenir premier ministre»

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Après le PCF et EELV, le PS a trouvé «un accord de principe» avec LFI pour une alliance aux élections législatives. Pour François Kraus, de l’Ifop, cette union purement électoraliste, masque l’absence d’alignement idéologique de la gauche.

François Kraus est Directeur du Pôle Politique et Actualité de l’Ifop. Son compte Twitter: @françois_kraus .

FIGAROVOX.– Le Parti socialiste et La France insoumise ont trouvé hier un «accord de principe», pour une alliance aux législatives. L’union de la gauche peut-elle devenir la première force d’opposition ?

François KRAUS. – Compte tenu de l’alliance électorale en phase de construction sous la houlette de LFI, il est évident qu’il y aura plus de candidats de gauche présents au second tour qu’en 2017, dans un contexte de faible participation qui laissera peu de place à des triangulaires ou de quadrangulaires. En effet, en raison du seuil de qualification à 12,5% des inscrits, la grande majorité des configurations de second tour devrait être comme en 2017 des duels. Dans ce cadre, cette alliance électorale devrait très logiquement se traduire par un plus grand nombre de députés issus des différentes gauches au parlement. Et pas seulement en limitant les combats «fratricides» dans les zones où la gauche est sociologiquement dominante comme dans les banlieues populaires (ex: Seine-Saint-Denis) ou certains arrondissements «boboisés» des ville-centres des grandes métropoles (type nord-est parisien). Dans tout un ensemble de circonscription où la gauche ne peut pas se permettre d’être divisée pour passer la barre du second tour, un candidat unique de gauche aura beaucoup plus de chances qu’en 2017 d’être «qualifié en finale», principalement face à des candidats centristes (ex: ouest de la France) ou lepénistes (ex: arrière-pays du pourtour méditerranéen).

 

Depuis l’instauration du quinquennat, la logique des institutions a fait des élections législatives avant tout des élections de confirmation de l’élection présidentielle. François Kraus 

Après, il n’en reste pas moins que la gauche reste minoritaire en France: les candidats insoumis, communistes, écologistes et socialistes n’ont même pas rallié un tiers des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle (30,6%). Dans une grande part du territoire national – notamment toute la partie à l’Est de la ligne allant du Havre à Marseille –, elle devrait être peu présente au second tour en dehors des grandes agglomérations (ex: Lyon, Grenoble, Marseille,…). Et puis il faut avoir en tête que depuis l’instauration du quinquennat, la logique des institutions a fait des élections législatives avant tout des élections de confirmation de l’élection présidentielle. Au regard de ce que l’on a pu observer en 2017, le scénario le plus probable reste donc une victoire de la majorité présidentielle avec une réelle inconnue: Emmanuel Macron aura-t-il une majorité relative ou absolue ? Et s’il obtient la majorité, celle-ci sera-t-elle ou non soumise au bon vouloir de ses alliés (MoDem, Horizons) ?

La question se pose donc autour de la composition de la future majorité présidentielle, et notamment du nombre et du statut accordés aux élus issus des rangs de la droite (LEUR, UDI) ou du centre droit (Agir, Horizons). Ainsi, l’accord annoncé aujourd’hui fait part de 58 circonscriptions accordées au parti d’Édouard Philippe (contre 101 au Modem) et moins d’une dizaine de députés LR sortants candidats sous l’étiquette de la majorité présidentielle. On est loin de la vague de départs annoncée lors de l’appel de Nicolas Sarkozy entre les deux tours.

Comment peut-on interpréter les premières intentions de vote des instituts de sondage sur les élections législatives ?

Les projections de la plupart des instituts de sondage sont des premières données intéressantes mais il faut les prendre avec des pincettes, car elles ne reposent pas sur l’offre réelle dans les circonscriptions. Dans la mesure où la plupart des noms des candidats ne sont pas encore connus, les instituts testent la même offre électorale dans les 539 circonscriptions métropolitaines, ce qui en limite fortement la portée.

L’exemple typique, ce sont les candidats d’extrême-droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour) qui ont fait un score important en Corse lors de la présidentielle, mais qui seront probablement balayés aux législatives par les divers candidats nationalistes.

De même, si Jean-Luc Mélenchon a réalisé des scores exceptionnels en Outre-Mer, notamment aux Antilles, il est fort probable que la plupart des candidats indépendantistes ou locaux l’emportent sur les candidats insoumis aux législatives.

Donc dans les territoires « périphériques » comme la Corse ou l’outre-mer, il risque d’y avoir une dynamique différente de celle observable à l’échelle nationale. Dans les banlieues populaires, la tendance la plus probable sera un vote dans la continuité de la présidentielle: tout l’enjeu étant le différentiel de participation. Pour résumer, tant que l’offre électorale n’est pas connue – à savoir jusqu’au dépôt des candidatures le 20 mai, les instituts de sondage se doivent de rester prudents.

Il semble en effet qu’il y ait un clivage au sein du PS entre ceux qui sont en retrait de la vie politique, et qui donc ont une parole plus libre à l’égard de la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon, et ceux qui soutiennent l’alliance parce qu’elle est indispensable à leur réélection. François Kraus

Une union de la gauche pourrait-elle avoir pour effet rebond d’augmenter les rangs de la LREM, par le biais de socialistes qui ne veulent pas s’allier à LFI, et de candidats LR qui voudraient s’allier à LREM pour faire contrepoids ?

Il existait déjà des sas qui ont permis à certaines figures socialistes de rejoindre LREM depuis 2017 (ex : Territoire de progrès) et qui vont offrir un refuge à la gauche du macronisme pour ceux qui vont rompre avec leur parti d’origine à l’occasion de cette alliance avec LFI.

Mais en réalité, la plupart des grandes figures qui ont critiqué l’alliance avec LFI sont soit à la retraite, soit ne sont pas des élus locaux. Il semble en effet qu’il y ait un clivage au sein du PS entre ceux qui sont en retrait de la vie politique, et qui donc ont une parole plus libre à l’égard de la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon, et ceux qui soutiennent l’alliance parce qu’elle est indispensable à leur réélection. Ceux engagés dans la vie politique locale sont forcés d’être pragmatiques, et se rallient en majorité à l’union de la gauche.

Caroline Delga en Occitanie, ou Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, sont parmi les rares grands élus en poste à avoir refusé l’accord avec LFI. Mais c’est parce qu’ils peuvent le faire au regard de leur ancrage local ou du fait qu’ils ne seront pas soumis à une épreuve électorale avant longtemps.

Chez LR, la ligne choisie est l’autonomie mais dans les faits, c’est encore flou. Il risque d’avoir plusieurs configurations. Une partie des circonscriptions sortantes de droite pourront être chassées directement par la majorité présidentielle via des candidats de centre-droit type « horizons » ou « agir ». D’autres sortants LR « macron-compatibles » pourront peut-être faire campagne sans candidats LREM en face. En tout cas, le très faible nombre de sortants ayant franchi le Rubicon laisse à penser que le choix du président ne s’est pas basé que sur leurs propres volontés. LREM a peut-être préféré d’autres personnalités, que ces sortants de partis de droite, ou a privilégié ceux qui pouvaient apporter avec eux un poids local, une grande ville. En effet, le grand problème de LREM, c’est qu’elle à échouer à s’implanter localement pendant ce quinquennat. Comme le disait Jérôme Jaffré, le macronisme est une pyramide qui repose intégralement sur sa pointe. Elle a donc pour enjeu de récupérer des élus locaux qui pèsent. Ainsi, s’ils n’apportent pas avec eux une base locale, je reste sceptique sur le fait que LREM accueille beaucoup de députés LR…

À mes yeux, cela ressemble surtout à un habillage idéologique d’une alliance purement électoraliste. François Kraus

L’union de la gauche sera-t-elle toujours tenable idéologiquement une fois les élections législatives passées ?

Si on compare cette union aux alliances nouées dans le passé, force est de constater qu’on est très loin du «programme commun» établi par exemple dans les années 70 entre le PS et le PCF. À mes yeux, cela ressemble surtout à un habillage idéologique d’une alliance purement électoraliste. Cela tient notamment au fait que dans la culture politique de gauche radicale, on a du mal à admettre le caractère purement utilitariste de ce type d’alliance électorale.

Ce n’est pourtant pas la première fois que des accords électoraux sont noués en vue de ce type de scrutin, mais cela choquait moins quand c’était le PS qui dominait. Aujourd’hui on est revenu à une configuration pré-Epinay où la gauche radicale impose ses vues. Compte tenu de l’ampleur des divergences entre LFI et les autres formes de gauche, notamment sur les questions de l’Europe, de la laïcité et du nucléaire, on peut être sceptique sur le fait que cette convergence idéologique dure après le 19 juin. Pour moi, tout cela sert plutôt à assurer un groupe LFI dominant et des groupes EELV, PC et PS autonomes, qui vont ainsi pouvoir survivre sur le plan financier. Mais on peut se permettre d’être sceptique sur la constitution d’une alliance durable. Sur les problématiques européennes, sécuritaires, identitaires ou internationales, il y a des divergences trop fortes. Aujourd’hui, tout cela ressemble plus à une coloration idéologique d’un accord électoral qu’aux prémisses d’une union de la gauche durablement alignée sur la ligne mélenchoniste.

Car si cet accord est si facilement signé par le PS, le PCF ou EELV, c’est que ces formations partent du constat qu’il est très improbable que la gauche soit majoritaire à l’Assemblée. Dans le cas contraire, on peut penser que les discussions auraient été plus difficiles…

Par Elisabeth Crépin-Leblond www.lefigaro.fr

«Si cet accord est si facilement signé par le PS, le PCF ou EELV, c'est que ces formations partent du constat qu'il est très improbable que la gauche soit majoritaire à l'Assemblée», François Kraus.

«Si cet accord est si facilement signé par le PS, le PCF ou EELV, c’est que ces formations partent du constat qu’il est très improbable que la gauche soit majoritaire à l’Assemblée», François Kraus. EMMANUEL DUNAND/AFP

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