La «vengeance écrasante» de l’Iran pourrait s’avérer être un défi redoutable pour le successeur de Soleimani

Esmail Ghaani devra démontrer la détermination de Téhéran à poursuivre sa politique en Irak, en Syrie et au Liban, tout en tenant compte de la vulnérabilité des terminaux pétroliers iraniens

Des Iraniens manifestent après que les États-Unis ont assassiné le chef de la force Quds, Qassem Soleimani, Téhéran, le 3 janvier 2020.
Atta Kenare / AFP

Quelques heures seulement après que les forces américaines ont tué le chef de la force Quds des gardiens de la révolution iraniens, Qassem Soleimani, le chef suprême Ali Khamenei a annoncé que le commandant en second, Esmail Ghaani, serait son successeur. Le nouveau chef, qui occupe son poste dans la force Quds depuis 1997, devra rapidement remplir les grandes chaussures de Soleimani.

Il devra démontrer la détermination de l’Iran à poursuivre sa politique en Irak, en Syrie et au Liban, pays où la force Qods a le pouvoir. Il devra planifier la réponse iranienne à l’élimination, la «vengeance écrasante» promise par Khamenei. Plus important encore, il devra préserver les actifs stratégiques de l’Iran au-delà des frontières du pays.

En Occident, dans les pays arabes et en Israël, les analystes élaborent des scénarios terrifiants concvernant ces représailles attendues de l’Iran. Les intrigues s’étendent des attaques à la roquette sur des cibles américaines et saoudiennes à des tirs de missiles sur Israël depuis le Liban. Ou peut-être que des équipes d’exécuteurs d’assassinats seront envoyées en Europe et dans des pays arabes pour attaquer des cibles spécifiques, comme l’Iran l’a fait par le passé. Ou il pourrait y avoir un retrait complet de l’accord nucléaire et un renouvellement de la production d’uranium au niveau d’avant l’accord.

Mais d’un autre côté, l’Iran doit tenir compte des implications de sa réponse en Iran et en Irak. Les terminaux pétroliers iraniens dans le golfe Persique, dont la plupart sont contrôlés par les gardiens de la révolution, sont une cible facile pour l’US Air Force et la Navy. Les bases des milices chiites en Irak ont ​​prouvé, cette semaine, leur sensibilité aux attaques américaines, tandis qu’une décision de se retirer complètement de l’accord sur le nucléaire serait une décision qui jouerait entre les mains d’Israël et des États-Unis. Dans ce cas extrême, ils pourraient lancer une campagne contre les installations nucléaires iraniennes.

La sortie de scène abrupte de Soleimani pourrait également avoir des implications sur la capacité de l’Iran à dicter sa politique en Irak. Cette arène a occupé Soleimani au cours des derniers mois ; c’est une sphère que le chef de la force Quds et Khamenei considéraient encore plus importante que le Liban comme carrefour pour étendre l’influence de Téhéran dans la région.

C’est là que s’est révélé que, malgré les talents exceptionnels et l’expérience de Soleimani, il n’avait pas prédit l’étendue des protestations contre l’Iran et le gouvernement irakien, et la menace qu’elle représente, pour le cabinet irakien que Soleimani avait façonné, via des milices et des partis pro-iraniens. Ces dernières semaines, Soleimani a vivement critiqué chez lui l’échec de la campagne pour réprimer les manifestations en Irak et la perte du Premier ministre irakien, Adel Abdul-Mahdi, qui démissionne. Abdul-Mahdi était considéré comme reflétant l’emprise de l’Iran sur le pouvoir à Bagdad.

Esmail Ghaani, qui a pris la tête de la force Quds des gardiens de la révolution iraniens après l'assassinat de Qassem Soleimani le 3 janvier 2020.
Bureau du Guide suprême iranien via AP

Ce n’était pas la première fois que Soleimani encaissait directement un coup dur. Il y a quatre ans, il a été rapatrié d’Irak en raison de son incapacité à prévoir l’invasion de l’État islamique. Khamenei a limité ses opérations à la Syrie ; ce n’est que plus tard que Soleimani est revenu pour diriger le front irakien.

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Selon des informations irakiennes, les manifestants se sont dispersés à Bagdad. Mais il est trop tôt pour prédire la réponse des mouvements de protestation, qui voient l’Iran et Soleimani comme la principale cause de la crise dans le pays. Les dirigeants politiques en Irak tentent de façonner le récit patriotique pro-iranien, tel qu’exprimé dans la déclaration d’Abdul-Mahdi où il a décrit la mise hors-jeu de Soleimani comme une grave violation de la souveraineté de l’Irak, voire une attaque directe contre le pays. Mais cette déclaration contient un autre aspect, celui qui relie le sort de l’Irak à celui de l’Iran, et ce faisant pourrait en fait relancer le mouvement de protestation.

Sur les autres fronts iraniens, en particulier la Syrie et le Liban, Téhéran devrait maintenir sa politique de rétention des autres acteurs : empêcher la Russie et la Turquie de pénétrer dans ses sphères d’influence syriennes et de stopper le changement politique au Liban, où Téhéran peut toujours compter sur le pouvoir du Hezbollah pour dicter la politique et veiller aux intérêts de l’Iran. Sur ces deux fronts, l’Iran possède des capacités militaires directes et indirectes qui pourraient inciter ses dirigeants à aggraver la situation le long de la frontière israélienne.

En Syrie, cependant, l’Iran doit tenir compte des intérêts de la Russie ; Moscou a déjà dénié à Téhéran la plupart des trophées économiques, et la Russie a peu d’inclination à rester les bras croisés si la Syrie devient le théâtre d’une guerre totale entre Israël et l’Iran. Dans ce contexte, il est intéressant de noter la réaction d’un sénateur russe, Konstantin Kosachev. Kosachev, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, a qualifié la liquidation de Soleimani de « pire scénario » et a déclaré que la réponse iranienne « ne prendra pas longtemps ».

Mais sa déclaration ne contient aucune condamnation ni menace, et reflète la position du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui a déclaré que la neutralisation de Soleimani augmenterait les tensions au Moyen-Orient. Ces déclarations édulcorées montrent à quel point la politique de la Russie est éloignée – et même indifférente – des conflits que l’Iran conduit dans la région – tant qu’ils ne ciblent pas les intérêts russes. C’est la politique qui a également abouti à la coordination militaire entre Israël et la Russie, qui permet à Israël de frapper des cibles iraniennes sans pratiquement aucune restriction.

La façon dont l’Iran délimite la réplique à l’élimination (de Soleimani) sera essentielle pour comprendre sa politique dorénavant. La percevra-t-elle comme un événement limité, quoique grave, qui nécessite une vengeance âpre mais ciblée? Ou considérera-t-elle cette frappe comme un coup mortel porté à son appareil de prestige et de sécurité, catalyseur d’une guerre de grande envergure?

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Élie de Paris

Je ne m’habituerai pas à lire des papier du Haaretz…
Il est dans le moov, dès à présent, de dissoudre l’infrastructure guerrière de l’Iran, autant la missilerie que tout ce qui est nucléaire. Car tout cet armement n’a qu’une seule intention, c’est de soumettre et détruire. Et qui en voudrait à l’Iran, et vouloir le soumettre, militairement ?
L’époque présente ne se prête pas à la guerre comme celle de 39/45, où des pluie de bombes rasaient des villes avec ses habitants. Même les Kim Jung sont en voie de disparition. Les grands états ne laisseront plus ce type de conflit se faire… Excepté entre eux-mêmes, mais qui veut des victoire à la pyrrhus ?