« C’est au-delà d’un projet scolaire, c’est un projet humain » : les pavés de la mémoire enfin inaugurés à Dijon

De Pheline Leloir-Duault

Onze pavés de la mémoire ont été inaugurés ce vendredi à Dijon. Onze pavés pour onze hommes juifs déportés, lors de la rafle du 26 février 1942. Un projet mémoriel porté par un enseignant dijonnais et ses élèves.

Le premier pavé de la mémoire, celui de Raphaël Amon, a été posé devant sa maison au 9 rue du Bourg, à Dijon.Le premier pavé de la mémoire, celui de Raphaël Amon, a été posé devant sa maison au 9 rue du Bourg, à Dijon.

Les onze pavés de la mémoire sont officiellement posés et inaugurés à Dijon. Ces onze pavés symbolisent onze hommes juifs, arrêtés lors de la rafle du 26 février 1942 et déportés dans les camps de la mort. Aucun d’entre eux n’est revenu. Ces pavés ont été posés devant leurs maisons, lorsqu’ils ont été arrêtés, là où ils vivaient avec leurs familles.

PHOTOS – Des pavés posés en hommage à trois Vendarguois morts pendant la Seconde Guerre mondiale

Ce projet a été porté par un enseignant dijonnais, Dimitri Vouzelle, professeur d’histoire au lycée Charles de Gaulle de Dijon, et ses élèves : ils ont retracé la vie et le parcours de ces onze hommes, à travers des archives départementales et les témoignages de leurs descendants.

La cérémonie du dévoilement des pavés de la mémoire s'est déroulée en présence des élus et du maire de Dijon, François Rebsamen.La cérémonie du dévoilement des pavés de la mémoire s’est déroulée en présence des élus et du maire de Dijon, François Rebsamen. © Radio France – Phéline Leloir-Duault

« Dans les familles, les événements étaient passés sous silence »

Le premier pavé officiellement dévoilé, c’est celui de Raphaël Amon. Ce père de famille, âgé de 49 ans au moment de son arrestation, vivait avec sa femme et ses cinq enfants au 9 rue du Bourg, au-dessus de sa boutique. C’est donc devant cette adresse qu’a été posé ce pavé de la mémoire. « Le but du projet, c’était de reconstituer son histoire, pour savoir qui il était en tant qu’homme : son caractère, sa vie, sa façon de se comporter avec sa famille », explique-t-elle.
D’où l’importance du témoignage de ses descendants, comme Murielle Amon-Gaez, sa petite-fille. Grâce à ce travail de mémoire, des tabous familiaux ont été levés : « Même dans les familles, on n’en parlait pas, les événements étaient passés sous silence. Grâce à ce projet, on a appris des choses sur notre grand-père : la date de son arrivée en France, le moment où il est devenu Français, et surtout les conditions de son arrestation qu’on ne connaissaient pas. »

« On a tous étudié la Shoah et la déportation à l’école, mais là on étudie quelqu’un qui l’a vraiment vécu ! Reconstituer le parcours d’une personne qui fait partie de l’Histoire, c’est au-delà d’un projet scolaire, c’est un projet humain et de mémoire. Et rencontrer ses descendants, ça a davantage concrétisé la chose, donc c’est un projet qui va me marquer à vie », estime Aurore.
Pour Dimitri Vouzelle, le projet doit continuer : « Il y a eu d’autres rafles : celle de juillet 1942 où une vingtaine de personnes a été arrêtée, celle d’octobre 1942 aussi, des arrestations régulières tout au long de l’année 1943, et surtout la grande rafle de 1944 : elle va durer presque une semaine en février, et quasiment une soixantaine de Côte-d’Oriens, dont des dizaines de Dijonnais, qui ont été arrêtés. » Selon lui, d’autres pavés pourraient être posés à Dijon dans les années à venir.

« Une sorte de résurrection »

Tous n’étaient pas des hommes adultes: Maurice Bigio n’avait que 18 ans quand il a été arrêté. Alors forcément, Philémon et Domitille, qui ont travaillé sur son portrait, se sont beaucoup identifiés à son parcours : « Il avait l’avenir devant lui, il prévoyait de tenter les concours de Polytechnique, et il tenait un magasin avec ses parents », racontent-ils. « Il était lui aussi en terminale, comme nous. Il aimait se déguiser, il faisait du théâtre et avait plein d’amis, il avait une vie très heureuse, donc ça accentue le tragique de son histoire. »
Les deux étudiants ont pu rencontrer les nièces « posthumes » de Maurice Bigio, très touchées par ce projet : « L’histoire de Maurice était un sujet tabou dans notre famille, car trop douloureux, et grâce à ce travail de mémoire, on s’est replongées dans nos archives et on a assisté à une sorte de résurrection de notre oncle, qui a longtemps été enfoui ! », développent-elles, émues. « Le fait qu’on soit entourées de jeunes, de voir leur sincérité et leur engagement, et que la transmission soit faite à des jeunes générations, c’est très stimulant ! »

La carte avec la localisation des onze pavés de la mémoire est exposée à l'hôtel de ville de Dijon.La carte avec la localisation des onze pavés de la mémoire est exposée à l’hôtel de ville de Dijon. © Radio France – Phéline Leloir-Duault

Le projet des pavés de la mémoire à Dijon s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans du Débarquement, et surtout de la Libération de Dijon, le 11 septembre 1944. indique Jean-Philippe Morel, adjoint au maire en charge du devoir de mémoire : « Le 80e anniversaire sera sûrement le dernier à chiffre rond où nous aurons des enfants qui avaient 10 ans en 1944 et qui ont donc aujourd’hui 90 ans, donc cette année mémorielle est très importante. »
Dans cette idée, la transmission de la mémoire aux plus jeunes est une clé essentielle : « Les témoins disparaissent, les enfants de déportés sont âgés, donc c’est à nous de prendre le relais, et de rappeler aux Dijonnais que, dans des rues qu’ils empruntent tous les jours, des familles ont connu l’horreur. Ce devoir de mémoire, dans un contexte de vigilance face à l’antisémitisme qui resurgit, c’est d’autant plus important de marquer les esprits avec ces pavés symboliques, qui rappellent le drame de l’antisémitisme qui a conduit à la Shoah. Il y a eu beaucoup de drames à Dijon, et c’est l’occasion de transmettre cette mémoire aux plus jeunes, pour réfléchir, comprendre les mécanismes et surtout faire preuve de pédagogie. »

JForum.fr avec Pheline Leloir-Duault France Bleu
Le premier pavé de la mémoire, celui de Raphaël Amon, a été posé devant sa maison au 9 rue du Bourg, à Dijon. © Radio France – Phéline Leloir-Duault

 

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Photini Mitrou

Franchement, j’avoue que ces célébrations me soulent. Trop de shoah tue la shoah et, aujourd’hui, tout le monde se veut victime de quelque chose pour avoir autant que les juifs. Si ça me soule, moi qui suis philosémite, il est facile d’imaginer ce que ça peut produire chez des antisémites. Il faut regarder et analyser la haine qui se manifeste autour de nous.
Et je ne vois pas la relation entre la déportation de ces personnes et le 80eanniversaire du Débarquement. Celui qui a eu cette idée, artiste fondeur?, s’est trouvé une belle rente.