Dans un rapport, rendu public mercredi, une commission sénatoriale dresse un état des lieux de l’islam en France. Elle pointe du doigt les financements étrangers et la formation des imams, ainsi que les limites de l’État.

Un état des lieux. C’est l’objectif que s’était fixé la mission d’information du Sénat sur « l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte ». Près de 80 heures d’audition et plusieurs déplacements, notamment en Algérie et au Maroc, ont été nécessaires à la rédaction du rapport, rendu public mercredi 6 juillet.

Il en résulte un rapport intitulé « De l’islam en France à l’islam de France : établir la transparence et lever les ambigüités », qui pointe notamment du doigt la question du financement étranger et de la formation des imams. Des sénateurs proposent des pistes, tout en tenant compte des contraintes, majeures, qu’impose la loi de 1905, de séparation des cultes et de l’État.

C’est en juin 2014 qu’il faut remonter pour comprendre la genèse de cette démarche, raconte à France 24 Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, rapporteure de la mission d’information. « Je présidais une commission d’enquête au Sénat sur les réseaux jihadistes et, au cours de notre travail, on a pris conscience qu’il existait énormément de questions concernant l’islam, comme la formation des imams ou encore le financement », explique-t-elle, soulignant qu’il s’agit de facteur clé quand on cherche à comprendre les leviers de radicalisation. « Mon groupe a donc utilisé son droit de tirage annuel pour étudier cette question du financement », poursuit-elle. Depuis 1988, un « droit de tirage » annuel permet à chaque groupe politique l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.

« Une équation insoluble « 

Présidée par Corinne Féret, sénatrice PS du Calvados, la mission rend une copie plutôt critique de l’action des autorités françaises face à l’islam, dont les fidèles forment la première communauté musulmane d’Europe, estimée à plus de quatre millions de fidèles, faute de statistique fiable. Les rapporteurs préconisent d’ailleurs une enquête de l’Insee tous les quatre ans pour « mieux connaître » cette population. La principale critique a trait à l’ambigüité de l’action de l’État face à l’islam. « D’une main, on veut organiser l’islam en France pour avoir plus de contrôle, de l’autre on ne peut y toucher à cause de la loi de 1905. C’est une équation insoluble. »

Au cœur du rapport deux questions majeures : la formation des imams et les financements étrangers. « Il faut que les imams soient formés en France », soutient Nathalie Goulet. Le rapport préconise la mise en place d’une formation « unifiée et adaptée au contexte français ». À l’heure actuelle, deux établissements existent : l’institut Ghazali et l’école de Château-Chinon. « Mais la formation proposée en France aujourd’hui n’est pas unifiée ni développée ». Pour pallier ce vide en France perdure la pratique d’imams détachés par des pays étrangers, environ 300 en France qui souvent « maîtrisent mal le français ». Cette pratique illustre, selon les rapporteurs, la situation ambiguë dans laquelle se trouve l’État, partagé entre la nécessité de limiter l’influence des pays d’origine mais qui, dans le même temps, passe des accords avec certains d’entre eux à propos de ces « détachements ». « C’est en France que l’enseignement doit avoir lieu, avec un programme commun partagé entre les différents instituts de formation », propose Nathalie Goulet. « On peut imaginer un conseil scientifique formé d’intellectuels et de chercheurs qui connaissent l’islam, comme une sorte d’école normale de formation des imams, qui valideraient leurs parcours », explique-t-elle.

Une proposition que François Burgat, spécialiste du monde musulman et chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam), juge positive. « Former les imams en France est une solution bien meilleure que de sous-traiter cela à un État étranger « , explique-t-il. « L’exportation de cette tâche est également une terrible marque de défiance aux musulmans de France et a la volonté tant de fois exprimée de voir émerger un  islam ‘de’ France », poursuit-il estimant « qu’un peu de centralisation n’est pas, a priori, impensable ». Mais attention, prévient le chercheur, « tout dépendra de la crédibilité qu’aura cette instance, qui, pour être légitime, devra être élue ».

Il revient aux musulmans et non à l’État d’organiser l’islam en France

Quant à la question des financements étrangers, elle illustre également le malaise de l’État. Une Fondation des œuvres de l’islam, censée recueillir des fonds, existe mais elle ne fonctionne pas actuellement parce que les instances représentatives de l’islam sont en désaccord sur la question de la gouvernance. Pour les rapporteurs, l’ambiguïté de l’État « s’est à nouveau manifestée lorsque le projet de relance de cette Fondation a été confié à un haut fonctionnaire alors qu' »il appartient à la communauté elle-même » de s’en saisir. « Si on veut être conforme à la loi de 1905, l’État peut encadrer, aider, accompagner, mais il ne doit pas prendre des initiatives », a expliqué la sénatrice de l’Orne.

À ceux qui parlent d’interdire les financements étrangers, Nathalie Goulet répond que c’est « absurde et impossible ». « L’État ne peut financer la construction de mosquées et autres en raison de la loi de 1905, les fidèles ne peuvent le faire seuls », rappelle-t-elle. « Et puis, l’église orthodoxe qui est en train d’être construite sur les quais est bien financée par des pays étrangers, sans qu’on y voit d’objection », observe-t-elle. Et d’expliquer : « L’idée n’est pas d’interdire les financements étrangers mais de les rendre transparents et non conditionnés. C’est pourquoi la « totalité des financements en provenance de l’étranger » doit transiter par cette fondation, estime le rapport.

En somme, l’État ne devrait pas organiser l’islam en France, ce qu’il a tenté de faire à plusieurs reprises. Cela relève, selon le rapport, de la responsabilité des musulmans. Notant les critiques qui pèsent sur le Conseil français du culte musulman (CFCM), instance élue mais qui a vu le jour après une initiative des autorités, les rapporteurs « considèrent qu’il appartient aux communautés de s’organiser elles-mêmes dans le cadre de nouvelles modalités tenant davantage compte des exigences de représentativité ». « Une mesure exceptionnellement positive », estime François Burgat. « Elle nous sortirait de cette constante propension française d’interférer avec la représentation de ‘l’autre’ musulman, pour mieux le contrôler ».

FRANCE 24

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