TURQUIE PULSE

L’armée turque en conflit au sujet d’une opération militaire en Syrie

 NAZEER AL-KHATIB / AFP / Getty Images. Le général turc Ismail Metin Temel, commandant de l’opération Rameau d’Olivier, se rend au mont Bersaya, au nord de la ville syrienne d’Azaz, près de la frontière turque, le 29 janvier 2018.
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE
Le limogeage, par le gouvernement turc, de deux commandants de très haut rang du service actif a révélé la discorde au sein de l’armée turque, à propos de l’opération militaire prévue à l’est de l’Euphrate.

Tandis que la Turquie négociait avec les États-Unis en vue de l’élaboration d’une feuille de route pour la région située à l’est de l’Euphrate et de Manbij et se coordonnait également avec Moscou pour obtenir le feu vert de la Russie en vue d’une éventuelle opération militaire contre les forces kurdes, un incident inhabituel a éclaté en plein cœur de l’armée de Turquie : le général Ismail Metin Temel, commandant en chef qui dirige les fronts irakien et syrien et s’est forgé une réputation pour ses qualités de leader, lors des opérations du Bouclier de l’Euphrate et du Rameau d’Olivier en Syrie ainsi que le Général de Brigade Mustafa Barut, le commandant de la quatrième brigade de commandos, ont  été soudainement mutés à des postes de bureaucrates.

Les organes d’information turcs ont rapporté qu’ils Ont été écartés en raison de leurs objections aux plans relatifs à l’invasion de l’Est de l’Euphrate. Ce geste contre les deux commandants hautement appréciés par le président Recep Tayyip Erdogan a révélé les contradictions intenres et les désaccords qui divisent les hauts dirigeants de la Turquie.

Deniz Zeyrek, chroniqueur pour Sozcu et écrivain chevronné dans les domaines de la défense et de la diplomatie, a résumé leurs objections en trois points :

  • La menace à laquelle la Turquie fait maintenant face est différente de celle que nous avons rencontrée dans les opérations du bouclier de l’Euphrate et d’Afrin. Les unités de protection du peuple (YPG) reçoivent aujourd’hui un soutien substantiel des États-Unis. Ils sont mieux équipés et formés.
  • Le soutien international que la Turquie a reçu pour ses deux opérations précédentes n’est plus d’actualité. Les États-Unis et la Russie envoient des messages contradictoires. Les conditions climatiques et topographiques pourraient aller à l’encontre de :’objectif turc de pertes minimales.
  • Les États-Unis tentent d’entraîner la Turquie dans une guerre contre l’État islamique. La Turquie n’est pas obligée de combattre Daesh loin de sa frontière.

Jusqu’à présent, les plus hauts gradés de l’armée avaient gardé le silence sur leurs divergences d’opinions, mais au cours des derniers jours, des officiers à la retraite ont exprimé leur malaise face à la politique du gouvernement en Syrie.

La décision soudaine du président des États-Unis, Donald Trump, de retirer ses troupes américaines de la Syrie, puis de charger la Turquie de s’occuper des restes de Daesh a soulevé des questions quant à une opération imminente à l’est de l’Euphrate.

Les schismes les plus profonds se situent entre ce qu’Ankara veut et ce que Trump veut dire en offrant de céder les territoires que les forces américaines vont évacuer. Alors que les États-Unis assignent à la Turquie la mission de lutter contre Daesh, Ankara parle de l’élimination des structures autonomes kurdes émergentes dans le nord-est de la Syrie.

Le plan initial d’Ankara était de créer une zone tampon de 10 à 40 kilomètres (6 à 25 milles) entre l’Euphrate et le Tigre, qui serait débarrassée du YPG. La Turquie n’a pas l’ambition de s’enfoncer profondément dans le territoire syrien et d’atteindre Deir ez-Zor pour lutter contre Daesh.

Il est également possible de laisser la libération de la Syrie à sa propre armée. Certains s’interrogent sur l’opportunité d’envoyer des troupes turques si loin de la frontière.

Alors que la question cruciale de savoir si les États-Unis autoriseront la Turquie à écraser les Kurdes attend une réponse, le sénateur Lindsey Graham, puis le président Trump ont exprimé des points de vue qui ont profondément perturbé Ankara. Après avoir rencontré Trump, Graham a déclaré : « Trump aura gagné ce qui suit en se retirant de la Syrie : Daesh sera totalement décimé. L’Iran ne prendra pas en charge les zones où l’évacuation sera réalisée. Nos alliés kurdes seront protégés. « 

Graham a parlé d’une formule pour prévenir les affrontements kurdo-turcs et Trump est censé assurer à la Turquie qu’elle disposera de la zone tampon dont elle a besoin. Lors de la réunion de son cabinet du 2 janvier, Trump a également déclaré : « Nous voulons protéger les Kurdes. »

Pourtant, si le plan turc pour la région est aussi destructeur que celui d’Afrin, comment les Américains vont-ils protéger les Kurdes? Si la zone tampon est la formule pour éloigner les Kurdes de la frontière, comment sera-t-elle sécurisée sans affrontement? Comment les États-Unis, qui envisagent de retirer leurs 2 000 soldats du terrain, peuvent-ils sécuriser la zone tampon?

La Russie tente de persuader Ankara d’abandonner ses plans opérationnels et promet un autre type de zone-tampon: le déploiement de l’armée syrienne à Manbij et à l’est de l’Euphrate. Selon la pensée russe, le contrôle des YPG prendra fin lorsque l’armée syrienne viendra. Le régime syrien a également annoncé qu’il n’enverrait des troupes dans la région que lorsque les YPG se retireraient.

La Turquie, en revanche, soupçonne les Kurdes de concevoir une formule leur permettant de rester dans la région ou sous la protection de l’armée syrienne. Alors que la Turquie se débat entre les plans américain et russe, un autre élément rend le problème encore plus complexe : Washington veut déployer des troupes saoudiennes, émiraties et égyptiennes dans la région, des forces assez peu amicales envers la Turquie. Le plan a déjà rendu les officiels turcs nerveux. Les informations selon lesquelles l’Egypte tente de faire négocier les Kurdes et Damas ont rendu la Turquie encore plus tendue.

Maintenir l’Iran éloignée de la Syrie n’est pas une source de réelle préoccupation pour la Turquie pour le moment.

Pourquoi la Turquie, qui défie déjà les sanctions américaines contre l’Iran, défierait-elle Téhéran en Syrie?

Des questions se posent également sur les chances de succès d’une opération terrestre à l’est de l’Euphrate. Afrin, mis à part un seul couloir de sortie via Tel Rifaat, était déjà assiégé lors de la précédente opération. Comme la zone était isolée, les YPG n’avaient qu’une main-d’œuvre et des armes limitées. À l’est de l’Euphrate, cependant, les YPG sont dotés de l’armement américain et de l’expérience acquise dans leur combat contre Daesh. Afrin était encerclé par des groupes armés guidés par la Turquie qui avaient déclaré être hostiles aux YPG. Les flancs sud de la ligne Euphrate-Tigre sont largement ouverts aux surprises.

En gardant à l’esprit les conditions du terrain, il n’y a aucune garantie de conserver une zone de 450 kilomètres et d’en assurer la stabilité.

Un autre problème suscitant des querelles graves concerne le bilan déplorable des forces de la milice locale qui accompagnent les troupes turques. Le déploiement de tels groupes, accusés de pillage, de torture, de mauvais traitements, d’enlèvements, de vols et de destructions dans la région, pourrait susciter de vives réactions.

Fehim Tastekin est un journaliste turc et un éditorialiste de Turkey Pulse qui avait auparavant écrit pour Radikal et Hurriyet. Il a également animé le programme hebdomadaire « SINIRSIZ » sur IMC TV. En tant qu’analyste, Tastekin est spécialisé dans la politique étrangère turque et les affaires du Caucase, du Moyen-Orient et de l’UE. Il est l’auteur de « Suriye: Yikil Git, Diren Kal », « Rojava: Kurtlerin Zamani » et « Karanlık Coktugunde – ISID ». Tastekin est le rédacteur en chef fondateur de l’Agence du Caucase. Sur Twitter: @fehimtastekin

Source : al-monitor.com

Adaptation : Marc Brzustowski

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Élie de Paris

Cette obstination merdoganique va nous débarrasser du sultaninounet.
Et qui endurcit les cœurs ?