Antonio Frangié dans la salle de cathétérisme cardiaque. Photo DR

Au Liban, l’inexorable hémorragie du corps médical

Plus de 300 spécialistes sont déjà partis ou préparent leur départ du Liban. Pour certains, la double explosion du 4 août a précipité leur décision.

Certains envisageaient déjà depuis un an de quitter le Liban, mais hésitaient encore à franchir le pas. La double explosion du 4 août a précipité leur décision.

Ils sont plus de 300 médecins à avoir quitté le pays au cours des dernières semaines ou à préparer leur départ.

Avec beaucoup de regret, d’amertume et de culpabilité… mais aussi avec l’espoir de construire un meilleur avenir pour leurs enfants ailleurs.

« Ils (les responsables) nous ont ôté le luxe de choisir entre rester ou partir », regrette Rawane Dagher. Mère de trois enfants âgés de 10, 9 et 2 ans, cette rhumatologue-pédiatre de 40 ans installée au Liban depuis dix ans n’avait jamais exclu l’idée de partir.

Avec son mari, ils voulaient que leurs enfants bénéficient d’un « choix ». Ils attendaient toutefois que l’aîné atteigne ses 18 ans pour partir. « Je suis rentrée au Liban pour m’installer et me marier, raconte-t-elle. Mon mari travaille à l’étranger et nous avons trouvé un certain équilibre. Au fil des années, nous avons réalisé que nous ne pouvions plus attendre que les enfants grandissent et qu’il fallait partir. J’ai pensé au Canada parce que j’y ai de la famille et que j’ai reçu une offre. Malgré cela, je m’étais remise en question. J’hésitais à tout lâcher. Je suis passée par des mois d’incertitude, de tristesse et de révolte. L’explosion au port a décidé pour moi. C’est ce qui me frustre, parce ce n’est pas ma décision. J’ai le sentiment d’être mise à la porte. »

La rhumato-pédiatre affirme que le même climat de « déprime » règne parmi les médecins, d’autant que « le système médical est en train de s’effondrer ». « Je ne quitte pas pour faire de l’argent, même si au Liban nos honoraires ne valent plus rien, affirme-t-elle. La situation sanitaire est catastrophique. Tout comme la situation économique et financière. À cela s’ajoute l’insécurité. Rien ne nous encourage à rester, alors que nous nous sentons incapables de changer quoi que ce soit, encore moins d’aider. La nonchalance et la corruption sont telles qu’il n’y a plus aucun espoir pour que les choses s’améliorent. »

Suicide professionnel

Même son de cloche chez Wissam Fayad qui avait pris la décision de partir il y a plus d’un an et qui s’est installé à Paris le 15 août. Plusieurs raisons l’ont poussé dans cette direction. « D’abord, nous avons la possibilité de le faire, parce nous sommes européens, explique-t-il. Je peux donc exercer mon métier dans n’importe quel pays d’Europe. Puis, mes diplômes sont français. Je n’ai donc pas d’équivalence à faire. D’ailleurs, moins d’un mois après mon arrivée, mon inscription à l’ordre des médecins était déjà réactivée. »

Mais ce qui a précipité son départ, c’est le fait que ses filles, âgées de 23 et 20 ans, se trouvaient déjà à Paris où elles poursuivent leurs études universitaires. « Avec la crise financière, il était devenu compliqué de leur transférer de l’argent en raison des restrictions bancaires, poursuit Wissam Fayad. Sur le plan familial, les choses étaient également difficiles, parce que jusqu’à l’année dernière, Paris c’était la porte à côté. Nous nous y rendions au moins une fois tous les deux mois. Depuis octobre, ce n’est plus possible, parce qu’économiquement ce n’est plus viable. Nos consultations valent cinq fois moins qu’avant, alors que tout a renchéri. Mais aussi à cause du Covid-19 qui, cerise sur le gâteau, a rendu les choses impossibles. Bien avant l’explosion, nous avions déjà réservé nos billets. »

Cet endocrino-pédiatre de 53 ans confie avoir déjà trouvé un poste à temps partiel dans un hôpital et une clinique pour s’installer. « Je commence à travailler d’ici à deux semaines », se félicite-t-il.

La famille était également la raison pour laquelle Antonio Frangié s’est rendu aux États-Unis, le 22 septembre. Mais aussi la profession. Jeune cardiologue de 35 ans, il est spécialisé dans le traitement percutané des valves. Il était rentré il y a près de deux ans parce qu’il en était « convaincu ». « Sur le plan professionnel, rester au Liban est désormais synonyme de suicide, insiste-t-il. Les techniques que j’utilise sont innovatrices et par conséquent coûteuses. Avec la situation économique, la crise du dollar, les problèmes avec les distributeurs et les tiers-payants, je ne pratiquais plus mon métier. Je suis jeune et je n’ai pas le luxe d’attendre. Si je reste bloqué pendant des mois ou des années, je serai dépassé. Ce que je ne veux pas. »

La crise économique a certes affecté le jeune médecin, mais ce n’est pas ce qui le fait « fuir ». « Je suis consultant pour des sociétés américaines, donc je ne vis pas de ma clinique, soutient-il. J’étais de ceux qui étaient prêts à faire des sacrifices pour leur patrie. Plus maintenant. Au Liban, je meurs. Si j’ai survécu à l’explosion du 4 août – j’habite Achrafieh et ma maison a été endommagée – je pourrais ne pas échapper au prochain événement. Et puis, on a honte de dépenser de l’argent alors que d’autres n’ont pas de quoi manger. Je suis influencé par l’ouvrage Les désorientés d’Amin Maalouf. Je suis convaincu que j’ai le droit de partir. C’est mon pays qui doit me persuader de rester. Parce que nous avons le droit à l’infrastructure et au respect. Or nous n’avons plus rien. Même la vie humaine n’a plus de valeur. Il n’en reste pas moins que la décision était très difficile à prendre. L’explosion au port l’a facilitée. » Lire la suite dans https://www.lorientlejour.com/article/1236009/entre-colere-et-amertume-des-centaines-de-medecins-plient-bagages

 

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