La diplomatie française sert-elle de couverture aux affaires mafieuses en tous genres ? Cela, explique-t-il son incurie et ses échecs partout à travers le monde ? Est-on plus à l’affût des bonnes affaires personnelles que de l’information stratégique ? Bien des questions se posent à la lecture d’un livre qui devrait connaître une audience bien compromise tant, elle est gênante.

Le journaliste de l’Obs Vincent Jauvert a enquêté pendant plusieurs mois sur la diplomatie française. Il publie un livre très documenté intitulé La face cachée du Quai d’Orsay.  

Un diplomate accusé d’avoir détourné de l’argent

L’affaire commence au début de l’été 2012. Un pli anonyme parvient à la direction générale de l’administration. A l’intérieur, des factures attestent de la remise d’argent (environ 90.000 euros au total) par des entreprises à l’ambassadeur de France à Madrid, Bruno Delaye. Depuis plusieurs années, le Quai d’Orsay encourage la location de l’ambassade à des marques pour des soirées. Dans le cas présent, l’argent a pourtant été versé directement sur le compte personnel de l’ambassadeur et non sur le compte de l’ambassade.

Le problème, c’est que l’affaire est politiquement très sensible. Mitterrandien, Bruno Delaye « compte également beaucoup d’amis à l’Elysée », écrit le journaliste. Le conseiller diplomatique de François Hollande, Paul Jean-Ortiz a été son adjoint à Madrid pendant trois ans. François Hollande, lui-même, lui doit une faveur, depuis qu’il l’avait accompagné en pleine campagne électorale rencontrer le chef du gouvernement espagnol socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero. Bénéficiant d’une certaine mansuétude de l’administration, Bruno Delaye s’en tirera finalement avec un « blâme ».

Un scandale de pédophilie étouffé

L’homme n’est pas cité nommément dans le livre. « Comme il n’a été ni condamné ni officiellement sanctionné, on ne peut pas citer son nom », explique le journaliste. Il est pourtant accusé d’être un prédateur sexuel. En 2013, le FBI monte une opération anti-pédophilie et tombe dans « les numéros de téléphone des prédateurs » sur ce jeune diplomate détaché récemment du Quai d’Orsay au siège des Nations Unies à New York. Immédiatement, l’homme est renvoyé par le secrétaire général des Nations-Unis, Ban Ki-Moon.

Alors que l’homme aurait pu être remis par la France à la justice américaine, il est simplement rappelé à Paris. Pour éviter d’être arrêté sur le tarmac de l’aéroport de New York, l’homme décide alors de rentrer en France en passant par Montréal au Canada, qu’il rejoint en voiture. Rentré à Paris, on le prévient qu’il ne sera plus jamais envoyé à l’étranger mais il n’est pas poursuivi ni licencié. Il est alors chargé de gérer les réseaux sociaux d’une direction de la maison avant d’être recruté dans une prestigieuse banque d’affaires par un ancien diplomate de haut rang. L’histoire ne s’arrête pas là. L’homme n’a pas été rayé des cadres du ministère puisque son nom apparaissait récemment dans un jury de concours interne du Quai d’Orsay. 

Combien gagne un ambassadeur?

C’est une question taboue au Quai d’Orsay. L’auteur dit avoir eu toutes les peines du monde à faire parler les ambassadeurs sur le sujet : « Combien gagnez-vous? Dès que l’on pose cette question toute simple à un ambassadeur, on assiste souvent à la métamorphose radicale de sa mine avenante. Jusque-là souriant, son visage se ferme. Sa voix se glace et son regard se durcit », écrit le journaliste.

L’auteur a toutefois réussi à obtenir ces chiffres. « Les représentants en Afghanistan, en Irak et au Yémen sont aujourd’hui les mieux rémunérés avec environ 29.000 euros net par mois (…). L’ambassadeur à Pékin gagne 21.000 euros; à Washington 20.000; celui à l’Otan, 19.000; à N’Djamena ou à Londres, 17.000; au Gabon ou à Oman 15.000; en Afrique du Sud, 14.000; au Cap-Vert, 13.000; au Canada, 12.000; en Lettonie et à la FAO, à Rome, 11.000; et à Bruxelles , 10.000 », avance le journaliste. Il faut noter qu’une partie du salaire des ambassadeurs est exonéré d’impôts.

« Les espions sous couverture diplomatique n’ont jamais été aussi nombreux »

C’est un secret de polichinelle. Les toit de certaines des ambassades françaises à l’étranger sont souvent utilisés pour espionner les communications dans plusieurs régions du monde. C’est le cas à Oman, en Chine ou encore dans plusieurs pays africains : « Personne aux affaires étrangères ne vous le dira, mais il y a des centres d’écoutes dans toutes nos représentations diplomatiques au Sahel et au Maghreb », décrit un haut responsable.

La couverture diplomatique est également utilisée pour des activités d’espionnage. « Depuis quelques années, il y a au moins un espion sous couverture diplomatique dans la plupart des ambassades de France. Ils sont, par exemple, quatre à Washington, trois à Johannesburg, et à N’Djamena, deux à Riga et à Jérusalem, et une à Ottawa », note l’auteur qui explique qu’ils « n’ont jamais été aussi nombreux dans nos représentations diplomatiques ».

Ceux-là sont en général déclarés aux autorités locales du pays avec qui ils échangent des informations. Mais le Quai accepte aussi « au compte-gouttes, de fournir des couvertures diplomatiques ‘épaisses » à quelques agents de la DGSE non déclarés aux autorités locales. » « Nous n’aimons pas cela mais depuis quelques années, nous le faisons quand c’est indispensable pour une opération secrète importante », confie un haut responsable du Quai d’Orsay.

Vincent Jauvert, La Face cachée du Quai d’Orsay, Robert Laffont, 20 euros 

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L'ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius et le ministre de la Défense saoudienne, le prince Mohammed Bin Salman, le 24 juin 2015 au Quai d'Orsay.

L’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius et le ministre de la Défense saoudienne, le prince Mohammed Bin Salman, le 24 juin 2015 au Quai d’Orsay. – Remy de la Mauviniere/AP/SIPA

Une culture de l’entre-soi peu soucieuse de transparence. Privilèges d’une nomenklatura diplomatique, impunité, malversations, copinage entre diplomates et avec les entreprises sont détaillés par Vincent Jauvert dans son ouvrage La face cachée du Quai d’Orsay, enquête sur un ministère à la dérive (éd. Laffont)*. Le journaliste d’investigation s’est appuyé sur une centaine de témoignages et des documents confidentiels pour mener l’enquête. Retour sur quelques bizarreries d’un ministère « à la dérive »…

Soupçon de détournement de fonds

L’ambassadeur en Espagne, Bruno Delaye, est épinglé dès le début de cet ouvrage. L’auteur relate qu’à l’été 2012, de mystérieuses factures arrivent à la direction de l’administration du ministère. Elles révéleraient que l’ambassadeur, ami d’une pléiade d’artistes comme de François Hollande, se fait rémunérer la location de l’ambassade à Madrid. Le détournement de fonds pourrait avoir atteint 91.000 euros. A la fin d’une discrète enquête, l’ambassadeur ne reçoit qu’un blâme, alors qu’il aurait pu être radié, relève le journaliste.

Tricheries et harcèlement

L’ouvrage fourmille d’anecdotes telle que ce couple, dont l’homme est diplomate, qui fraude sur les notes de frais, ou de surprenantes « disparitions » d’objets de valeur dans les représentations diplomatiques. Le Quai d’Orsay ferme aussi les yeux sur les petits arrangements avec les frais alloués aux ambassadeurs, qui atteignent, selon les postes, entre 10.000 euros et 200.000 euros par an. « Jusqu’en 1999, il était on ne peut plus simple de grignoter quelques milliers d’euros chaque année », confie un diplomate au journaliste.

Un salaire parfois plus important que celui du chef d’Etat

Parmi les plus secrets du Quai d’Orsay, figurent les revenus réels des ambassadeurs. « Si nous disons la vérité, nos compatriotes constateront que presque tous les ambassadeurs gagnent effectivement plus que le chef de l’Etat », confie un haut responsable du ministère des Affaires étrangères au journaliste. Outre un « appointement de base », les diplomates touchent des indemnités de résidence qui s’avèrent rondelettes. « Les représentants en Afghanistan, en Irak et au Yémen sont aujourd’hui les mieux rémunérés avec environ 29.000 euros net par mois, dont 24.000 d’indemnité de résidence exonérée d’impôts (…)»

La compagne très présente de l’ex-ministre Laurent Fabius

Le journaliste revient aussi sur la puissante Marie-France Marchand-Baylet, compagne de l’ancien ministre Laurent Fabius (parti au Conseil constitutionnel). Celle-ci se serait immiscée dans les affaires du ministère, notamment dans les nominations. La nomination d’une diplomate aurait été d’ailleurs été retoquée… après un rendez-vous conflictuel avec Marie-France Marchand-Baylet.

Les diplomates femmes pas toujours bien vues

Nombre de diplomates hommes se disent « dégoûtés » par les récentes promotions de leurs collègues féminines. Selon eux, « les promues sont trop jeunes, trop inexpérimentées, et n’ont été choisies qu’en raison de leur sexe », relate l’auteur, qui ajoute que les « mâles du Quai d’Orsay n’admettent toujours pas l’intrusion des femmes dans ce qui a été leur chasse gardée (…) pendant quatre siècles (…)»

Anne-Laëtitia Béraud – 20 Minutes.fr

     

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    3 Commentaires
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    aval31

    y a quelqu’un pour rencontrer secotine car il semble que le quai d’orsay soit l’origine du mal français pro islam.

    Enfin je dis cà je dis rien c’est un point de détail……

    sécotine

    Cela va bientot faire 20 ans que j’ai quitté cette ex honorable maison et je vois après avoir lu le livre que cela ne s’est pas amélioré bien au contraire. C’est ce qui arrive quand on remplace « ceux du sérail » par des gens venus de « l’extérieur » et surtout des agents recrutés localement au prétexte de faire des économies. Mais comme dit le dicton espagnol « lo barato sale caro » !

    gerardn

    Et tout cela sous la houlette de l’ineffable FABIUS , grand specialiste de la diplomatie du porte feuille…