Comment s’explique la naissance des religions? C’est le second sous titre (puisqu’il en a déjà un) que l’on pourrait donner à l’ouvrage de Jean Chaline, Archéologie des religions et qui complète celui qui est inscrit sur la couverture, La saga des religions dans leur contexte historique.

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Mais les premières pages sont étonnantes car l’auteur fait œuvre d’abord de paléontologue et de biologiste. Ce n’est pas si étonnant que cela puisqu’il montre, et c’est sa spécialité première, que les chimpanzés sont nos plus proches cousins, non seulement au plan biologique mais aussi dans ce qui touche certains aspects de notre organisation sociale.

Au début, on ne cache pas son étonnement puisqu’il n’est question que de l’aube de l’humanité sur cette planète mais plus on avance dans la lecture de l’ouvrage et mieux on comprend le but poursuivi par son auteur.

La question majeure est la suivante : L’homme peut-il vivre sans une quête de transcendance ? comment s’explique la naissance en l’homme, résultat d’une évolution qui s’étend sur des millénaires, d’une aspiration à l’invisible, au mystérieux, bref au religieux ?

Chez l’homme préhistorique, on a pu observer cette évolution au moyen de peintures rupestres retraçant sa vie quotidienne dans son environnement. La nécessite de chasser pour se nourrir, le devoir de se protéger des bêtes sauvages pour rester en vie, autant de contraintes que l’on devait alors assumer.

On ne peut reprendre ici toutes les étapes de cette évolution multimillénaire mais l’auteur veut montrer que l’Homme s’est à la fois écarté du schéma des autres êtres animés pour suivre une voie qui lui est propre.

Comment s’explique cette naissance ou cette apparition de ce qu’il faut bien nommer de la spiritualité ? Est ce le fait que toute existence humaine s’achève par la mort qui a déclenché tout ce processus qui prétend que l’essentiel ne se joue peut-être pas ici-bas, et qu’il y a un après, une vie posthume, dans l’au-delà ou simplement dans un ailleurs dérobé à notre regard ?

A toutes ces questions qui portent sur le sens de la vie humaine, l’humanité primitive a tenté d’apporter des réponses qui se sont affinées avec le temps, au fur et à mesure que les êtres pénétraient un peu mieux les mystères qui les entouraient.

On peut toujours se demander pourquoi être allé si loin, remonter aux premières origines ? Eh bien voici deux réponses qui montrent qu’on n’est pas hors sujet :
a) la fonte des glaces que les hommes préhistoriques ne pouvaient ni s’expliquer ni prévoir, faute de savoir scientifique valable, n’a pas manqué de retrouver une nouvelle vie dans le mythe biblique du Déluge. On sait que ce thème était présent dans des codes religieux ou des récits légendaires (épopée de Guilgamesh) précédant de très loin la Bible hébraïque ;
b)la survenue de la mort et les interrogations la concernant ainsi que l’apparition de rites funéraires appropriés, de plus en plus respectés par la société de l’époque, tout cet ensemble va provoquer une série de problématiques dont les plus connues sont l’existence prochaine dans l’au-delà, l’immortalité de l’âme et l’idée nettement plus religieuse d’une rétribution dans l’au-delà.

Au fond, ces hésitations, ces atermoiements de l’homme préhistorique ont fini par inspirer les prêtres de toutes les religions, polythéistes ou monothéistes que nous connaissons aujourd’hui.

Certes, ces thèmes, ces suppositions, ces mystères inexpliqués ont été épurés à travers le creuset des siècles ; on est passé, pour le dire le plus simplement possible, des chamanes, interlocuteurs d’une nature enchantée et répondant à des rites magiques, au discours très élaboré des prophètes hébraïques qui entendaient transmettre à leurs adeptes les oracles d’une divinité unique qui a fini par détrôner toutes les autres.

Ce fut l’agenda de la révolution monothéiste dont les combats incessants se lisent dans les livres de l’Ancien Testament ou Bible hébraïque. Pour parler comme Ernest Renan, le monothéisme juif a donné un grand coup de balai au ciel, le dépeuplant une fois pour toutes de tous ces héros humains divinisés suivant l’évhémérisme.

On l’aura compris, l’auteur Jean Chaline progresse à petits pas pour aboutir à la formation des religions connues de nos jours et dont la consolidation s’explique par le processus de l’évolution historique auquel nul ni rien n’échappe. Cela réduit évidemment à néant l’ontologie de toute vérité religieuse ou d’une notion telle que la Révélation.

L’histoire, voilà le terme qui peut tout expliquer mais qui concentre sur lui bien des critiques. Est ce que la science historique peut appréhender ce que Fr. Schleiermacher nommait le sentiment religieux. On peut analyser la naissance des mythes et des légendes.

C’est la mythologie : et les spécialistes, notamment de l’anthropologie religieuse ont montré (et même Schelling en parlera dans sa Philosophie de la mythologie) que les mythes ne sont pas un bavardage insensé mais recèlent en eux une certaine sagesse, une nette expérience, un chemin pour comprendre avec une mentalité prélogique ce qui nous entoure.

C’est évidemment au Proche Orient, plus précieusement dans le cadre de ce célèbre croissant fertile que l’évolution vers la forme religieuse la plus élaborée, sera déterminante et marquera de son empreinte indélébile l’histoire de l’humanité.

Dans les empires sumériens et akkadiens, on se rapproche nettement du fait religieux tel que nous le connaissons d’après les sources vétérotestamentaires ou néotestamentaires. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer un tel envol.

Peut-être faut se pencher aussi sur l’émergence de ces dynasties dans ces régions où les deux fonctions, celle de dirigeant politique et celle de prêtre ou de dignitaire religieux, sont monopolisées par un seul et même être, le roi.. En effet, les premiers représentants de ces dynasties n’hésitaient pas à se prendre pour des dieux.

Le livre d’Ezéchiel parle du Pharaon qui se prenait pour la divinité régnante d’Egypte et prétendait avoir créé le Nil (li yeori wa ani assitani) : mon fleuve est à moi et c’est moi qui l’ai créé…

Si les hommes ont progressivement eu besoin de bien connaître ces forces invisibles agissantes au sein de la Nature qu’on essayait d’asservir, c’est parce que l’on avait découvert les travaux agricoles permettant d’assurer une suffisance alimentaire à des populations en pleine croissance.

L’émergence de cités-états comme Babylone, par exemple, a entièrement changé la donne. Car il fallait, certes, assurer le bien-être des habitants à l’intérieur mais il fallait aussi les protéger des attaques émanant de l’extérieur.

Ce qui signifie qu’en plus de l’aguerrissement des soldats, il fallait aussi invoquer la grâce et l’aide des divinités tutélaires pour garantir les récoltes, la croît et tout ce dont l’homme a besoin pour vivre…

Donc le phénomène religieux s’avère inséparable du progrès des sociétés humaines : une certaine opulence, même très relative, favorise des besoins moins matériels. Reste la question qui attend toujours sa solution : pourquoi donc est ce au Proche Orient que l’idée d’une divinité, quelle qu’elle soit, a fait ses tout premiers pas ?

Le judaïsme biblique n’est pas le produit d’une génération spontanée. Il a , certes, repris des idées et des mythes de provenance étrangère mais il a su les réinvestir d’un contenu nouveau, et orienté différemment.

Un exemple central : le sabbatu babylonien a donné le sabbat biblique mais au lieu de lui conserver sa vocation première, journée de gravité, de méditation, de semi deuil et de recueillement, le judaïsme en fit une journée de joie, de fête et de plaisirs…

Mais le rapport de Babylone à la Bible reste très fort. En 1912 eut lieu à Berlin, en présence de l’empereur Guillaume II (qui se piquait de critique biblique) une grande conférence de l’éminent orientaliste et hébraïsant Franz Delitzsch, intitulée ainsi : Babel und Bibel.

La seule voyelle différente dans les deux termes vise à montrer l’extrême proximité de ces deux pôles en matière de religion et de culture. L’idée d’une divinité créatrice, à l’origine de l’univers et de l’humanité dans son ensemble, n’est pas l’apanage exclusif de la littérature biblique ; elle est bien plus ancienne.

Mais le monothéisme d’Israël ne s’est pas contenté de proclamer l’existence d’un Dieu unique, il a bien précisé que ce monothéiste a pour caractéristique première, l’éthique.

Israël a fait au reste de l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique… On se réfère au célèbre marchandage d’Abraham dans le livre de la Genèse au sujet des deux villes pécheresses : le juge de toute la terre ne pratiquerait il pas la justice ?

C’est donc la preuve d’une certaine avancée qui transcende la matière et tout ses dérivés. La Bible hébraïque le dit bien en un autre verset du Pentateuque : l’homme ne vit pas que de pain mais bien de ce qui sort de la bouche de Dieu…

Cet ouvrage de Jean Chaline étend ses recherches à toutes sortes de manifestations divines ou assimilées. Je vais me concentrer désormais sur ce qui touche principalement le judaïsme, fondement incontesté des deux autres monothéismes, le christianisme et l’islam.

Mais la partie consacrée à la naissance du judaïsme, à la transition conduisant des Hébreux aux Juifs d’aujourd’hui, ne fait que refléter sous une forme aisément compréhensible les travaux existants.

Ainsi, l’auteur se contente de résumer le prologue patriarcal de la Genèse. Pour la conquête de la terre de Canaan et le franchissement du Jourdain, il signale ce que la recherche biblique connaît depuis des lustres : tout ceci est une lecture théologique de l’Histoire…

La ville de Jéricho était dépourvue de remparts et, en outre, elle avait été réduite en cendre, des siècles auparavant. Le livre de Josué serait il une fiction historique ?

La critique biblique le pense depuis fort longtemps et veut y voir une sorte de propagande guerrière afin de galvaniser l’énergie conquérante d’un peuple qu’on cherche à mobiliser pour une cause sacrée.
Cet ouvrage n’en demeure pas moins fort utile et mérite d’être lu attentivement par le plus grand nombre..

Editions Ellipses, 2018.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

 

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