Allons nous vers un monde post-terrorisme ? ©

 

par Maurice-Ruben HAYOUN

Nous vivons des sentiments assez paradoxaux. Dès que nous apprenons que Daesh se replie partout, qu’il évacue des zones contrôlées précédemment par lui, qu’il va bientôt être entièrement battu, nous éprouvons un sentiment de soulagement et de satisfaction. Et, imperceptiblement, nous nous réjouissons des progrès accomplis par l’armée de Bachar el Assad. Or, cet homme est directement ou indirectement co-responsable de la disparition de centaines de milliers d’êtres humains.

Pourtant, nous sommes soulagés de voir qu’avec l’aide de ses alliés russes et iraniens, il remporte des victoires. Mais voilà, ces victoires là se font au détriment d’un ennemi encore plus haïssable, un ennemi responsable lui aussi de centaines de milliers de crimes ; le monde a mis du temps avant de réagir fortement et Barack Obama a tant de choses à se reprocher, avec sa terrible théorie de la patience stratégique. On a vu ce que cela a produit avec la Corée du nord… On verra bientôt ce que cela va produire avec le traité signé avec l’Iran sur le nucléaire.

Mais revenons à la zone irako-syrienne : les territoires des terroristes fondent comme neige au soleil. L’armée de Bachar a rompu l’encerclement de Deir al-Zohr. Les effectifs de Daesh se replient et se regroupent dans des zones désertiques, signant ainsi la fin du terrorisme territorial qui rime, c’est incontestable, avec un affaiblissement de la centrale terroriste. Dans moins d’un mois, toutes les zones en Irak et en Syrie vont être libérées. Mais que va-t-il se passer après ?

Donc, la victoire sur Daesh ne va pas mettre un point final à la guerre ni au désordre car d’autres problèmes vont surgir. Daesh va perdre son territoire mais il va opérer sur un autre terrain. D’organisation territoriale, il va se muer en une nébuleuse terroriste à l’échelle mondiale. Il a à sa disposition les réseaux d’internet, les canaux de communications cryptées et tout un arsenal dont il saura tirer profit.

Les Kurdes espérer bénéficier d’un meilleur traitement que celui qui leur fut réservé au lendemain de la grande Guerre. Ils vont revendiquer plus d’autonomie, voire l’indépendance. Cela fait déjà plus de cinq ans que la guerre civile fait rage en Syrie et en Irak ; les Kurdes ont obtenu des livraisons d’armes, l’aide, entre autres, d’Israël et ils vont devenir un acteur à part entière dans la région.

Tant la Syrie que l’Irak vont devenir des états fédéraux avec une grande autonomie régionale. Mais le terrorisme ne s’arrêtera pas là, notamment en Europe. La capacité de mobilisation idéologique de Daesh reste entière. Plus encore : ses dirigeants, s’ils venaient à s’échapper, vont faire vibrer la corde très sensible du nationalisme arabe et faire que l’on s’apitoie sur leur sort.

Quelle sera l’attitude de ces nouvelles entités en Irak et en Syrie vis-à-vis de l’état d’Israël?

On sait que les Iraniens, en bons alliés de Bachar, ne pensent pas qu’à lui, ils ont aussi en vue, avec le Hezbollah, la poursuite de la lutte contre Israël, lequel ne restera pas les bras croisés. Il l’a montré la semaine dernière. Il y a aussi Donald Trump, qui se veut le double antithétique de son prédécesseur pour lequel il n’a pas de mots assez durs, ce qui est largement justifié, lorsqu’on voit ce champ de ruines qu’était, de son temps, la diplomatie US au Proche Orient.

Même les pays occidentaux ne seront pas épargnés. Il y a la présence des migrants et aussi d’habitants venus d’ailleurs et toujours sensibles aux appels au djihad, lancés depuis l’autre bout du monde.

J’ai entendu un ancien collaborateur du premier ministre Jean-Pierre Raffarin expliquer les grandes lignes d’un rapport sur les musulmans en France, commandé par l’Institut Montaigne. Selon l’auteur, la France devrait réorienter sa politique arabe, quittant le Proche et le Moyen Orient pour se recentrer sur l’Afrique du Nord, où, dit-il, vivent des dizaines de millions de francophones et où nos intérêts sont mieux préservés.

Je n’ose pas me prononcer. Ce que je retiens, c’est qu’il risque d’y avoir en Europe du XXIe siècle une question arabo-musulmane comme la question juive (Die Judenfrage) au XIXe siècle. Il faut redouter avant toute chose que l’on devienne une sorte de corps étranger, inassimilable, un Etat dans l’Etat (Status im statu). Ce serait la porte ouverte à tous les abus. Et à toutes les craintes, même les plus déraisonnables…

L’Occident ferait mieux de prendre les terroristes de vitesse. Il faut même, si c’est nécessaire, échanger avec les services spéciaux de Bachar qui ont des renseignements précieux sur les franco-arabes partis se battre en zone irako-syrienne… La realpolitik s’impose.

On le voit aisément : la vie, si belle et si agréable, devient de plus en plus difficile. Mais ne perdons pas espoir.

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage : Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

 

A noter que le professeur Maurice-Ruben Hayoun, dont les chroniques sur JFORUM font notre plaisir, sera l’invité, les dimanches 10 et 17 septembre prochains, de l’émission « Islam », de 8h45 à 9h15.

Il y évoquera l’œuvre et les héritages respectifs du rabbin Moïse Maïmonide et du philosophe Averroès.

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