Même si Téhéran semble freiné dans sa course à l’atome, ses offres de reprise du dialogue sur le dossier nucléaire suscitent en Occident un profond scepticisme.D’abord, l’écume. Téhéran annonce, le 9 octobre, une reprise imminente des négociations sur le programme nucléaire iranien avec le « groupe des Six » – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni, flanqués de l’Allemagne – au point mort depuis un an.

Quand? Fin octobre ou début novembre, avance le ministre des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, poussant le zèle jusqu’à inviter Catherine Ashton, cheftaine en titre de la diplomatie européenne, à se montrer « plus active » en la matière…

Ensuite, les faits. « Rien n’indique que l’Iran aurait décidé de satisfaire les conditions requises pour renouer le fil des tractations », souligne Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. « On n’y croit pas une seconde, renchérit un expert français familier du dossier. Voilà des années qu’ils nous font le coup. En soi, dialoguer ne sert à rien: il faut négocier sur le fond. »
Au-delà des péripéties tactiques, l’enjeu est obsédant: que faire si, en dépit des sanctions et des menaces, la République islamique persiste, sinon à se doter de l’arme atomique, du moins à agir de manière à accréditer un tel scénario?

En filigrane affleure une autre question: la « communauté internationale » finira-t-elle par tolérer, à l’usure, un Iran « nucléarisé », dont elle se bornerait à corseter les ambitions? « Certainement pas ! » rétorquent en choeur analystes et diplomates. Sur ce front-là, le consensus résiste. Se résoudre à cette issue, constate-t-on au Quai d’Orsay, reviendrait à « signer l’arrêt de mort du TNP ». Allusion au Traité de non-prolifération, garde-fou certes imparfait, mais qui a le mérite de contenir la contagion de l’atome militaire. Nul doute que l’irruption de l’Iran dans le club des détenteurs de l’arme absolue, si elle inquiète au moins autant les pétromonarchies du Golfe persique, Arabie saoudite en tête, qu’Israël, ferait sauter les digues, ébranlant l’échiquier moyen-oriental, voire planétaire.

« L’Etat hébreu, insiste un analyste du Quai, ne le permettra jamais. Dès lors que Téhéran a la bombe, il se sait condamné. » Confrontés à un tel « péril existentiel », les cerveaux de Tsahal, l’armée israélienne, n’en finissent plus de peaufiner des plans d’attaques préventives combinant salves de missiles sol-sol et raids aériens, assortis si besoin d’incursions terrestres. Pour autant, les stratèges israéliens, à commencer par le ministre de la Défense et ancien chef d’état-major, Ehoud Barak, se gardent de sous-estimer la complexité de l’opération. Comment anéantir simultanément de dix à quinze sites – pour peu qu’ils aient tous été localisés – certains nichés à flanc de montagne, d’autres souterrains et protégés, selon toute vraisemblance, par d’épaisses chapes de béton armé ? Au mieux, concède-t-on à Tel-Aviv, un assaut « techniquement » réussi retarderait de deux à cinq ans le programme iranien.

Les victimes civiles vaudraient à l’Iran un élan de sympathie.

Couronné de succès ou pas, il déclencherait à coup sûr, toutefois, une intense vague de représailles, via les miliciens islamistes du Hezbollah libanais ou du Hamas palestinien. De même, les inévitables « dommages collatéraux » – en clair, les victimes civiles – vaudraient à l’Iran un élan de sympathie. Amplifié par le caractère acrobatique de la posture israélienne, reflet du dogme de l’amimut (opacité, en français): seul pays de la région pourvu de l’arme nucléaire, l’Etat juif s’obstine à nier l’évidence, ce qui le dispense d’adhérer au TNP. En outre, l' »agression sioniste » pourrait resserrer les rangs d’une société iranienne profondément patriote autour du Guide Ali Khamenei et du président Mahmoud Ahmadinejad. Y compris chez celles et ceux que révulsent les dérives de la théocratie militarisée régentée par le tandem.

Deux (quasi-)certitudes à ce stade. L’hypothétique offensive israélienne ne surviendrait pas avant le printemps 2011; et elle requerrait le feu vert des Etats-Unis. Selon la formule consacrée, Washington garde l’option militaire « sur la table ». Mais l’administration américaine s’emploie avant tout à déjouer le dilemme cher au républicain John McCain, rival malheureux de Barack Obama dans la course à la Maison-Blanche : « La bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran. » A l’évidence, le « Grand Satan » transatlantique cherche à marier vigilance et circonspection. Selon ses agences de renseignement, il faudra à l’Iran de un à trois ans pour finaliser, si tel est son projet, la confection d’un missile nucléaire. Les Israéliens eux-mêmes, naguère enclins à prédire la « catastrophe » pour hier matin, situent désormais l’échéance fatale à 2013 ou 2014.

Proche-Orient: les retombées politiques

Sa visite triomphale, les 13 et 14 octobre, au Liban, le prouve amplement : le radicalisme rustique de Mahmoud Ahmadinejad, son hostilité compulsive envers Israël et son occidentalophobie séduisent les peuples arabes – au-delà de la « clientèle » chiite – et affolent les dynasties sunnites régnantes. Tel est le cas au Koweït, aux prises avec une turbulente minorité de disciples d’Ali, comme à Bahreïn, où le chiisme est majoritaire. A cet égard, l’enquête d’opinion menée en juillet par l’institut Zogby et l’Université du Maryland dans cinq pays – Egypte, Jordanie, Liban, Arabie saoudite et Emirats arabes unis – est instructive. Plus de la moitié des sondés estiment que l’acquisition par Téhéran de l’arme nucléaire aurait un « impact positif » pour le Moyen-Orient. Ils étaient 29 % un an plus tôt. Quels sont les deux pays jugés les plus dangereux pour la région ? Israël, à 88 %, et les Etats-Unis (77 %), très loin devant l’Iran (10 %).

Dès lors, si l’Egyptien Hosni Moubarak et les monarques du Golfe appellent de leurs voeux des frappes préventives ciblées sur les sites nucléaires de la République islamique, ils s’abstiennent de le dire. Certains soupçonnent d’ailleurs le parrain américain de laxisme ou de candeur. Cité dans l’édition de septembre de la revue mensuelle The Atlantic, l’ambassadeur des Emirats arabes Unis à Washington prédit que les Etats les plus vulnérables, en quête d’un protecteur, n’auraient d’autre choix que de quitter l’orbite américaine pour faire allégeance à un Iran doté de la bombe…

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires