Dans un livre au vitriol, le journaliste, Erwan Seznec, retrace l’épopée tragique des lois de Robien et Scellier qu’il qualifie de « plus gros scandale immobilier de l’après-guerre ».

En 2011, à Thionville (Moselle), des résidences en construction permettant de bénéficier du dispositif Scellier. (photo archives laurent theiller)

De Robien, Scellier, Malraux, Girardin : c’était sans risque, disait-on. Aujourd’hui, ils sont près de 50 000 Français à avoir perdu en moyenne 40 000 euros après avoir tenté l’aventure de la défiscalisation immobilière. Soit l’un des « plus gros scandales immobilier de l’après-guerre » selon une enquête menée par Erwan Seznec, journaliste à « Que choisir ».

Ces lois de défiscalisation, auxquelles la postérité a accolé le nom de leurs auteurs, répondaient toutes peu ou prou à la même demande. Résorber la crise du logement en France. Et la solution proposée est généralement calquée sur le même modèle : les pouvoirs publics vont proposer une véritable « cocaïne fiscale », selon l’expression de l’auteur du livre pour encourager à construire vite et massivement. En clair : investissez dans la pierre et vous déduirez une partie de l’investissement de vos impôts, pour peu que vous mettiez quelques années le logement en location. Ce sont les fameuses lois Scellier-Robien lancées au milieu des années 2000. À l’inverse des précédentes (comme le Malraux pour la rénovation des bâtiments historiques), elles étaient destinées aux classes moyennes.

Sept logements sur dix

Les effets seront spectaculaires. Selon Erwan Seznec, près de sept logements sur dix construits ces dernières années le seront sous l’égide d’une loi de défiscalisation immobilière, principalement Scellier-Robien. Mais pour beaucoup d’investisseurs, peu aguerris à ce type de montage, l’opération va tourner à la déconfiture. Car tout était basé sur le postulat que l’appartement acheté à un promoteur serait mis en location rapidement. Les loyers devaient rembourser une partie de l’emprunt nécessaire, la défiscalisation ferait le reste. Faute de locataire, l’investisseur (qui ne dispose généralement pas de matelas financier) doit sortir de sa poche des sommes sans commune mesure avec celles annoncées au départ.

Mansuétude de la justice

Ce cas de figure ne sera pas anecdotique. Il deviendra presque la marque de fabrique du Robien-Scellier. Parmi les investisseurs, une majorité de gens instruits. Des gendarmes, des enseignants, des cadres moyens, espérant souvent se constituer un pécule pour payer les études de leurs enfants. Rien à voir avec de l’évasion fiscale à grande échelle. « Comment ai-je pu être aussi stupide », se demandent aujourd’hui des dizaines de milliers de foyers, relate l’auteur de l’enquête. Une question que se posent également les magistrats au moment de juger certaines sociétés ayant fait de ces montages leur fonds de commerce. Ce qui explique, selon Erwan Seznec, une relative mansuétude de la justice vis-à-vis de certains commerciaux peu scrupuleux.

Car dans bien des cas, l’opération miracle, tourne au cauchemar. Exemple type : « Une résidence vide, farcie de malfaçons, dans un hameau en périphérie d’Angoulême où l’ont avait prévu des loyers indexés sur ceux du centre-ville de Bordeaux », raconte Erwan Seznec. Ou encore une résidence vendue « grand standing au pied des pistes » mais qui se trouve en fait dans une ZUP à une heure de la première station de moyenne montagne ! La plupart des logements ont été achetés sur plan. Les investisseurs résident à des centaines de kilomètres et n’ont jamais vu leur bien. Jusqu’au jour où ils constatent que les loyers n’arrivent pas.

Des sociétés aux techniques de vente bien rodées, tels Appolonia ou Omnium, se sont fait une spécialité de ces opérations. Pour l’heure, selon Erwan Seznec, aucun des gros « défiscalisateur » de la place n’a été condamné pénalement. Il faut dire qu’ils ne sont pas les seuls responsables de ces tragédies. Selon l’enquêteur, ces lois pâtissent dès le départ de nombreux écueils. D’abord, la crise du logement n’est pas une réalité partout en France. « Dans beaucoup de zones classées en Robien-Scellier, il n’y avait aucune tension dans l’offre locative. » Ensuite, les plafonds des loyers ont été la plupart du temps surévalués, notamment par des découpages de zones éligibles à ces constructions beaucoup trop grossiers. Conséquence : certains promoteurs achètent des terrains à bas prix, dans des endroits souvent peu attractifs, mais indexent les loyers sur des prix sans rapport avec le lieu de la construction. Légal. Mais catastrophique !

L’art de se ruiner deux fois

Et le piège ne s’arrête pas là. Encouragées par l’État, les opérations de défiscalisations attirent bientôt les banques. À la mauvaise opération immobilière va se greffer le scandale des emprunts toxiques. Ainsi, pour payer du Scellier, des milliers de petits investisseurs peu aguerris ont contracté des emprunts indexés sur le franc suisse dont l’évolution des taux n’a pas tardé à se retourner contre les emprunteurs. Ou l’art de se ruiner deux fois.

L’État n’aurait-il pas pu mettre le holà ? Sauf à imaginer qu’il y ait derrière ces lois une opération de corruption. Erwan Seznec, joint par « Sud Ouest » ne croit pas à cette hypothèse. « Il y a d’abord beaucoup d’incompétence et ensuite beaucoup de pression. L’État a eu peur de provoquer une crise du bâtiment en arrêtant tout, sans parler des élus locaux qui faisaient le siège des cabinets pour que leur commune soit bien classée en Robien. Beaucoup voulaient pouvoir faire de la défiscalisation sur leur circonscription, espérant doper l’économie. Alors, on a découpé les zones éligibles à ces montages de manière bien trop larges. Et les leçons n’ont pas été retenues. On est en train de refaire les mêmes erreurs de découpage avec le Duflot », estime l’auteur de l’enquête.

Par Yann Saint-Sernin – Sud-Ouest Article original

Erwan Seznec, « Robien, Scellier… ruinés ! Le plus grand scandale immobilier de l’après-guerre », aux Éditions du Seuil.

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