Aix-en-Provence : Il y a 80 ans, 1.938 Juifs ont été déportés du camp des Milles vers Auschwitz, voici leur histoire
En août et septembre 1942, 1.938 Juifs dont 96 enfants, quittent le camp des Milles (Bouches-du-Rhône) en cinq convois pour être déportés à Auschwitz. Leurs prénoms, noms et certaines de leurs histoires ont été retrouvées.
Elli Blatt, Laja Hinda, Rafael Maiersdorf, Paula Sara Lewin. Ces quatre personnes font partie des 1.938 Juifs déportés dans des wagons à bestiaux depuis le camp des Milles vers Auschwitz, en août et septembre 1942. Au total, 96 enfants sont déportés depuis les Milles.
Quatre déportés du camp des Milles. • © Kazerne Dossin / Camp des Milles
Des journaux intimes ont été retrouvés. Quelques survivants ont parlé. Des histoires personnelles pour une mémoire collective.
Raymond-Raoul Lambert, mort en déportation avec sa femme et ses quatre enfants, a tenu des carnets. Il y écrit : « les appels des déportés commencent dans la cour, sous le soleil cruel. Les insolations sont nombreuses, les civières passent… Le désordre augmente encore la cruauté des mesures… Sur des valises, des femmes pleurent et des hommes, hébétés, attendent. Tous ces malheureux sont dignes et je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de révoltés ni de gestes désespérés. »
Quels gestes des pauvres pères qui, avant la déportation définitive, caressent le visage d’un fils ou d’une fille comme pour en conserver l’empreinte au bout des doigts ! Des mères hurlent de désespoir et personne ne peut retenir ses larmes…
Raymond-Raoul Lambert, mort en déportation avec sa femme et ses quatre enfants
« Carnet d’un témoin », Fayard, 1985
Léo Baum, lui, a été déporté par le convoi n°19 du 14 août 1942. Négociant éleveur juif, il était marié à une Allemande, Erna Roos, avec qui il avait eu un fils, Otto.
Les 11, 13, 23 août et les 2 et 11 septembre, cinq convois partent du camp des Milles en direction Auschwitz.
Le récit des survivants
Ce jeudi 22 septembre 2022, à l’occasion du 80e anniversaire des déportations depuis le camp des Milles, des survivants témoignent.
Eva Cayre a 18 ans quand elle est internée dans le camp provençal. Elle est sauvée de la déportation en étant envoyée à l’infirmerie in extremis avant le départ du convoi.
Elle écrit : « dans ma mémoire, il reste toujours des wagons avec les gens qu’on avait jetés presque à l’intérieur, parce qu’ils ne pouvaient pas monter. Pour les personnes plus âgées, les wagons, il n’y a pas d’escaliers, il n’y avait pas de marche, rien du tout, il fallait les hisser là-dedans. »
Herbert Traube avait 18 ans. A la cérémonie de ce jeudi, il raconte comment en septembre 1942, il s’échappe du train en marche, et rejoint ensuite la résistance. Témoignage d’Herbert Traube, évadé d’un wagon de déportation.
Témoignage d’Herbert Traube, évadé d’un wagon de déportation. • © Camp des Milles
Parmi les déportés, il y a un grand nombre d’étrangers. Dans les wagons à bestiaux du 13 août 1942, 538 Juifs de nationalités étrangères : 365 Juifs allemands, 111 Juifs autrichiens et 25 Juifs polonais.
En effet, depuis la prise de pouvoir par Hitler en 1933, « la région était devenue une zone de refuge pour les exilés allemands, autrichiens et d’Europe centrale, souvent intellectuels et juifs », raconte Alain Chouraqui, directeur de recherche au CNRS et président du camp des Milles.
L’histoire de la famille Lewinsohn
La famille Lewinsohn par exemple, a fui l’Allemagne en 1938. Blanka, Fritz et leur fils Erich sont séparés une première fois quand ce dernier, alors âgé de 19 ans, décide de partir seul en Angleterre. Ses parents se rendent à Bruxelles. Ils sont arrêtés en tant que « réfugiés illégaux » le 10 mai 1940.
Envoyés au camp de Gurs, ils sont transférés séparément à Marseille où ils tentent en vain d’obtenir un visa pour le Mexique. Le couple se retrouve à nouveau au camp des Milles, la veille de leur déportation vers Auschwitz.
Le 13 août 1942, Fritz et Blanka sont assassinés à leur arrivée. Leur fils Erich construit sa vie à Londres, il se consacre à l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Il meurt en 2005.
Leur histoire a été retrouvée grâce à des recherches réalisées notamment à partir du travail de Serge Klarsfeld, des archives départementales et d’autres historiens.
Les noms de celles et ceux qui ont été déportés depuis les Milles, via Drancy et assassinés à Auschwitz, nous les connaissons en grande partie et nous leur avons même rendu un visage, grâce à tout ce travail de chercheurs, d’historiens, d’archivistes. Alain Chouraqui, président du camp des Milles
« Le travail des historiens n’est jamais figé, jamais terminé, nous sommes les héritiers de noms qui ne peuvent pas disparaître, et c’est aussi dans cet esprit que la fondation a travaillé plus récemment, en 2018, en partenariat avec le musée mémorial d’Auschwitz-Birkenau (…) Les noms de celles et ceux qui ont été déportés depuis les Milles, via Drancy et assassinés à Auschwitz, nous les connaissons en grande partie et nous leur avons même rendu un visage, grâce à tout ce travail de chercheurs, d’historiens, d’archivistes », explique Alain Chouraqui, président du camp des Milles.
La recherche se poursuit « pour recomposer les parcours, les vies, les sorts tragiques des déportés, et rappeler qu’en disant leurs noms, on n’oublie pas ce qu’a été l’effroyable « machine » de la Shoah et qu’un site mémorial, une fondation comme la nôtre sont là pour que « cela » ne se reproduise plus jamais » ajoute Alain Chouraqui.
18 Justes parmi les Nations
Les résistants ont aussi permis de se souvenir de ces histoires personnelles tragiques. 18 personnes ont reçu le titre de « Juste parmi les Nations » pour leurs actions en faveur des internés du camp des Milles.
Le pasteur Henri Manen par exemple, a délivré de faux certificats de baptême. Dans son livre « Au fond de l’abîme », il raconte : « mercredi 12 août : la nuit est venue. C’est hallucinant. J’ai chronométré, en trente secondes se décide maintenant le sort d’un homme ! Détresse, humiliation, dégoût, écœurement – infinie tristesse. Des ruines – des vies piétinées – des tâches ineffaçables – des crimes inexpiables. »
Vers 7h, l’intendant de police de Marseille et son chef de cabinet sont arrivés au camp. Ils ont estimé que ‘le chargement’ n’était pas assez complet, et ont donné à la police l’ordre de rafler à l’infirmerie, dans un dortoir d’hommes et dans un dortoir de femmes le complément jugé indispensable. Ce fut horrible et indescriptible.
Henri Manen, pasteur et Juste parmi les Nations « Au fond de l’abîme, journal du camp des Milles », édition Ampelos