VIDÉO – « On se rend compte de l’horreur »: 140 lycéens normands sur les traces des déportés à Auschwitz

C’est un voyage scolaire qui les marquera à jamais. 140 lycéens normands ont fait face à l’histoire de la Shoah en se rendant en Pologne, ces 10 et 11 janvier. Ils ont d’abord visité les anciens quartier et ghetto juifs de Cracovie, avant de découvrir l’horreur des camps d’Auschwitz.

Sortir des manuels scolaires et se confronter à la réalité de l’Histoire. C’est ce qu’ont fait 140 lycéens normands ces 10 et 11 janvier, lors d’un voyage en Pologne organisé par la région et le Mémorial de la Shoah. Deux jours intenses et riches en émotions qui leur ont permis de marcher sur les traces des Juifs déportés à Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale.

Visiter Cracovie pour « remettre le vivant au centre »

Direction d’abord Cracovie, la troisième plus grande ville de Pologne, où vivaient avant-guerre quelque 60.000 Juifs, principalement dans l’ancien quartier juif Kazimierz. Il reste aujourd’hui un héritage architectural, des étoiles de David en fer forgé, des chandeliers à sept branches dans les vitrines des restaurants et des synagogues, dont certaines ne sont plus en activité.

Dans les rues de Kazimiertz, l'ancien quartier juif de Cracovie, l'héritage de la communauté juive est encore bien présent.Dans les rues de Kazimiertz, l’ancien quartier juif de Cracovie, l’héritage de la communauté juive est encore bien présent. © Radio France – Chloé Martin

Cette visite est surtout l’occasion de remettre la vie des Juifs dans son contexte. « A force de visites, je me rends compte que les jeunes ne connaissent pas du tout cette culture ou cette religion », explique Sacha Silbermann, accompagnateur au Mémorial de la Shoah.
Il en profite donc pour préciser la différence entre Juifs ashkénazes et Juifs séfarades, exposer quelques règles religieuses, comme ne pas mélanger le lait et la viande dans un même repas ou déposer des cailloux sur les tombes pour rendre hommage aux morts.
« C’est intéressant parce qu’on sait que la Shoah a touché les Juifs, mais on ne savait pas vraiment ce que c’était », admet Maëva. « Ça permet aussi de remettre le vivant au centre d’une histoire qui parle essentiellement de morts », ajoute Sacha Silbermann.

1941-1943, les dates de l'existence du ghetto juif à Cracovie, dans lequel vivaient enfermées plus de 20.000 personnes.

1941-1943, les dates de l’existence du ghetto juif à Cracovie, dans lequel vivaient enfermées plus de 20.000 personnes. © Radio France – Chloé Martin

Une fois le fleuve de la Vistule franchi, les lycéens découvrent l’ancien ghetto juif. « La décision de créer une zone spéciale pour les Juifs a été prise aux alentours du 20 mars 1941 », indique Agnieszka, la guide polonaise. « La population du quartier est passée de 3.000 personnes à 20.000 ! »
Le seul vestige encore visible, c’est un haut mur noirci, dont la forme rappelle les tombes du cimetière juif. « C’est impressionnant, c’est une part d’histoire qui est ancrée sur Cracovie », réagissent Marius et Melvin.

Sur l'ancienne place du ghetto, des chaises vides rendent hommage aux Juifs déportés à Cracovie.

Sur l’ancienne place du ghetto, des chaises vides rendent hommage aux Juifs déportés à Cracovie. © Radio France – Chloé Martin

La découverte de l’impensable, Auschwitz

Le lendemain, les lycéens basculent dans une autre dimension. Ils passent de la vie à la mort, en découvrant l’horreur des camps d’Auschwitz. D’abord Auschwitz II – Birkenau, à la fois camp de concentration et centre de mise à mort. « Nous allons passer plus de temps dans le camp que la quasi-totalité des déportés », prévient Sacha Silbermann.
A peine entrés dans ce lieu qui s’élève du brouillard matinal, les élèves prennent conscience de l’immensité du site. « C’est 170 hectares, 350 terrains de football. Vous êtes dans le camp de concentration le plus important du régime nazi. »
Le camp d’Auschwitz-Birkenau fait 170 hectares, soit 350 terrains de football.

Le camp d'Auschwitz-Birkenau fait 170 hectares, soit 350 terrains de football.Le camp d’Auschwitz-Birkenau fait 170 hectares, soit 350 terrains de football. © Radio France – Chloé Martin

Un paysage fait de ruines, où subsistent encore dans le ciel des cheminées de briques et des baraquement en bois, reconstruits pour témoigner des conditions de vie des déportés. « Les sanitaires, les dortoirs… Ces conditions-là, c’est chaud », s’indigne Erwann. « Ils travaillaient parfois sous -15 degrés. Nous, on n’aurait pas tenu. »
Les déportés s’entassaient dans ces dortoirs, aménagés dans un baraquement construit sur les plans des écuries allemandes.

Les déportés s'entassaient dans ces dortoirs, aménagés dans un baraquement construit sur les plans des écuries allemandes.Les déportés s’entassaient dans ces dortoirs, aménagés dans un baraquement construit sur les plans des écuries allemandes. © Radio France – Chloé Martin

 

Voilà à quoi ressemblaient les toilettes dans le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.Voilà à quoi ressemblaient les toilettes dans le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. © Radio France – Chloé Martin

Mais la majorité des 1,3 million de déportés ici n’ont même pas connu ces baraquements, sélectionnés et directement envoyés vers la mort et les chambres à gaz, situées au bout d’un chemin qu’empruntent à leur tour les lycéens. « J’ai l’impression d’avoir les personnes autour de moi, j’ai la chair de poule, enfin des frissons », confie Maxence.
La guide polonaise, Beata, dévoile un peu plus l’horreur. « Le gaz passait par la peau et s’attaquait directement aux poumons. Cette agonie se faisait par étouffement intérieur et pouvait durer jusqu’à 30 minutes. » Sidération sur les visages des jeunes. « Savoir que tant de vies ont été perdues ici, ça fait froid dans le dos », souffle Benjamin.

Une fois gazés, les corps des déportés sont incinérés et leurs cendres dispersées. D’eux, il ne reste que des objets, visibles pour certains au musée d’Auschwitz, installé dans le camp de concentration Auschwitz I, ancienne caserne militaire polonaise.

Seul vestige des fours crématoires présents à Auschwitz.Seul vestige des fours crématoires présents à Auschwitz. © Radio France – Chloé Martin

Derrière des vitrines, on peut voir des montagnes de lunettes, de chaussures, de valises. Et des cheveux, des tonnes de cheveux. « Quand on se dit que les déportés étaient rasés pour réutiliser leurs cheveux, par exemple pour faire des matelas, c’est très perturbant. Derrière ces mèches, il y avait des gens en fait. On se rend compte de l’horreur », racontent, émus, Clément et Nathan.

Parmi les objets exposés, des montages de chaussures ayant appartenu aux personnes juives exterminées à Auschwitz.Parmi les objets exposés, des montages de chaussures ayant appartenu aux personnes juives exterminées à Auschwitz. © Radio France – Chloé Martin

Sur les pas de déportés français

Ces deux jours de voyage, aucun de ces lycéens ne les oubliera. En plus de les remuer intérieurement, ils leur sont utiles pour le projet pédagogique qu’ils mènent sur l’année avec leurs professeurs. Le sept classes présentes travaillent toutes sur la vie de déportés.
A l’Institut Lemonnier à Caen, par exemple, la classe de 1ère Aménagements paysagers se penche sur quatre déportés français : Paul Cerf, Isaak Goldsztajn, Hertz Strasfogel et Mireille Mincès. Les quatre ont en commun d’avoir été transférés à Drancy, puis Auschwitz, et d’avoir écrit des lettres à leurs familles pendant leur déportation.

Les élèves de l'Institut Lemonnier à Caen suivent les explications de Sacha Silbermann, accompagnateur au Mémorial de la Shoah.Les élèves de l’Institut Lemonnier à Caen suivent les explications de Sacha Silbermann, accompagnateur au Mémorial de la Shoah. © Radio France – Chloé Martin

Dans le camp, les élèves marchent ainsi dans les pas de ces personnes qu’ils apprennent à connaître. Et d’un coup, devant leurs yeux, les archives deviennent bien plus que de simples documents. « On voulait qu’ils puissent identifier les endroits où étaient chacun des déportés. Par exemple, le camp de mise à mort pour Hertz Strasfogel, qui était Sonderkommando », explique Thierry Bogacki, professeur d’histoire-géographie à l’Institut.
Les lycéens réaliseront ensuit des malles pédagogiques, regroupant des archives, photos et autres objets symboliques en lien avec les déportés. « L’idée, c’est que ces malles puissent être utilisées par d’autres classes et que les élèves deviennent des passeurs de mémoire. » Ils écriront également des lettres aux familles de ces déportés.

Les 140 lycéens marchent tous dans les pas des déportés sur lesquels ils travaillent cette année.Les 140 lycéens marchent tous dans les pas des déportés sur lesquels ils travaillent cette année. © Radio France – Chloé Martin

Un projet qui sera présenté, comme ceux des six autres classes, au Mémorial de Caen le 30 mai prochain.

Les lycées qui ont participé au voyage d’études :
– l’Institut Lemonnier de Caen
– le CFA AFDI de Caen
– le lycée professionnel Les Andaines à La Ferté Macé
– le lycée agricole de Sées
– le lycée général et technologique d’Evreux
– le lycée professionnel André Maurois d’Elbeuf
– le lycée général et technologique Schuman Perret au Havre

Moment de recueillement et minute de silence devant le monument-hommage d'Auschwitz.
Moment de recueillement et minute de silence devant le monument-hommage d’Auschwitz. © Radio France – Chloé Martin

Chloé Martin France Bleu Cotentin

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