L’Alchimie politique d’Assad
La guerre chimique a fait perdre tous ceux qui, par le passé, l’ont déclenchée et la Syrie, en définitive, ne parviendra pas à d’autres conséquences moins malheureuses. 

« C’est une façon très lâche de faire la guerre », déclarait le Lieutenant-Colonel Sir Charles Ferguson, à propos des attaques au gaz de chlore lancée par l’Armée allemande sur le champ de bataille belge au cours de la 1ère guerre mondiale.

L’attaque d’Ypres, au printemps 1915, le premier déclenchement d’une attaque à grande échelle au gaz après plusieurs petits commencements l’année précédente, a laissé 6.000 cadavres de soldats français et un Haut-Commandement britannique perplexe, dont les conclusions ont été qu’il valait mieux mettre du gaz de son côté que le subir.

Les Généraux français qui, les premiers, ont vomi des gaz dans les tranchées de la Grande Guerre ont ainsi été rejoints pas beaucoup d’autres qui ont recouvert les champs de bataille de nuages toxiques, qui, aux alentours de 1918, avaient tué 1,3 million d’hommes de troupes. Il s’est passé un siècle depuis ces événements, mais on les rappelle comme l’atteinte du niveau moral le plus bas d’une guerre suprêmement traumatisante.

Que cet aspect des précédents usages du gaz importe très peu aux auteurs de l’attaque au gaz chimique de la semaine dernière dans le Nord-Ouest de la Syrie ne surprendra personne, si on considère les normes en cours de cette guerre civile syrienne. Ce qui est moins évident, c’est le mépris syrien pour l’échec démontré par cet usage du gaz, qui n’apporte jamais de gains stratégiques et, au contraire, sa tendance à présager une disparition des régimes qui en consomment sans modération.

L’usage prolongé de gaz au cours de la Première Guerre Mondiale n’a généré aucun tournant stratégique favorisant le camp qui l’employait le plus, y compris dans ces batailles en Belgique, que les Allemands ont en réalité perdu.

Dans l’Armageddon, dont a en définitive décidé l’émergence du tank, les effets militaires des gaz n’ont jamais dépassé un stade très momentané et local.

Le gaz s’est avéré à ce point inefficace au cours de la Première Guerre Mondiale qu’il n’a jamais été employé sur les innombrables champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale, sinon au cours de certaines escarmouches asiatiques qui n’ont pas impliqué les armées occidentales et un affrontement marginal allemano-russe en Crimée.

Le sens commun partagé par les armées, depuis lors, est resté que le gaz ne serait efficace que comme arme de défense, plutôt que comme arme offensive. C’est pourquoi on pense que les Britanniques ont dû projeter de l’employer, au cas où les Allemands débarqueraient sur leurs rivages. L’armée allemande, pour sa part, n’a pas utilisé de gaz même dans le seul but de ralentir l’invasion de la Normandie, en ayant supposé que les Alliés pourraient leur répliquer par une attaque avec un gaz encore plus meurtrier.

Malgré ces précédents, on a déployé du gaz de façon répétée, dans des manifestations de grande frustration ayant chaque fois très peu d’effets, dans le cas des forces cubaines en Angola et apparemment aussi l’Armée Rouge en Afghanistan. Cela n’a jamais suffi à compenser les défaites finales de ces deux armées.

Le déploiement de gaz par les dirigeants arabes n’a guère eu de résultats plus probants.

Les attaques au gaz de Gamal Abdel Nasser au Yémen, au milieu des années 1960 n’a rien fait pour empêcher sa retraite embarrassante en 1967. Bien qu’il ait de cette façon massacré un millier de Yéménites, l’Armée égyptienne a été contrainte de battre en retraite de ce théâtre d’opérations, où elle a perdu 10.000 hommes de troupe, tout ne parvenant pas à renverser les monarchies arabes auxquelles Nasser avait déclaré la guerre.

Les attaques menées par Saddam Hussein au cours de sa guerre contre l’Iran ont été encore plus malchanceuses. Saddam a tué des milliers d’hommes de troupe iraniens en les exposants aux gaz, mais les armes chimiques ne sont pas parvenues à décider du sort de la guerre, qui s’est terminée dos-à-dos. Son attaque en 1988 contre ses propres concitoyens kurdes a fait au moins 5.000 morts dans la ville d’Halabja, ce qui n’a contribué qu’à conjurer un peu plus leur hostilité et n’a certainement pas aidé à empêcher leur sécession effective, la décennie suivante.

En outre, le gazage de ses propres citoyens par Saddam lui a fait perdre le soutien précieux dont il jouissait dans les capitales occidentales, où on l’acceptait comme un contrepoids raisonnable contre l’influence régionale de l’Ayatollah Khomeini.

Actuellement, malgré toute ce recueil d’expériences négatives, le Président Bachar El Assad marche dans les traces et vers les impasses politiques rencontrées par ses prédécesseurs. Pourquoi?

 

L’emploi du gaz par Assad fait partie intégrante de sa vision stratégique. 

 

La localisation des attaques de la semaine dernière,la ville de Khan Sheikhoun, se situe juste à l’Est des Montagnes de Nusayriyah, le bastion de la minorité alaouite  à l’Est de la ligne des côtes méditerranéennes de Syrie. même temps, la ville débouche pile sur l’autoroute M5, l’artère la plus importante de Syrie, qui court entre la frontière jordanienne et vers Damas, Homs et Alep.

L’attaque au gaz et les bombardements de l’hôpital qui l’ont suivi font partie d’un effort général de nettoyage ethnique qui est conçu pour chasser les populations sunnites vers l’Est de cet axe nord-sud et les remplacer par des Arabes chiites d’Irak.

Cette quête visant à redessiner la carte ethnique de la Syrie a été soulevée par les négociateurs iraniens lors des pourparlers avec l’opposition syrienne. L’argumentaire iranien est clair : ayant déjà consolidé son emprise politique sur Bagdad, Téhéran veut à présent étendre l’envergure de ses ailes vers la Méditerranée, en semant et cultivant une ceinture de communautés à forte prédominance chiite, comportant un assortiment en damier de minorités subordonnées non-sunnites.

L’intérêt d’Assad dans ce schéma devient évident : il régnera sur une Syrie fortement diminuée, mais bien plus cohérente et cohésive qu’auparavant.

Le problème devient cet autre grand allié : la Russie. Le plan iranien débouche directement sur un conflit de volontés impériales avec Moscou.

Le renversement de l’allié des Russes, Mouammar Kadhafi, en Libye, par l’OTAN a, plus tard, déclenché l’entrée de Moscou dans la guerre syrienne, mais la motivation plus profonde du Kremlin, c’est la quête historique russe de ports militaires dans les eaux chaudes. Tous les Tsars depuis Pierre le  Grand, ont cherché l’obtention d’une enclave maritime de valeur, mais la Russie ne l’a réellement emporté que 250 ans après sa mort, quand Hafez El Assad a loué le port de Tartous à l’URSS.

C’est ce que Vladimir Poutine est venu sécuriser, quand il a lancé ses avions de chasse contre les rebelles anti-Assad, et c’est ce que les Iraniens sont en train de menacer, que ce soit ou non, conscient chez eux. 

Les renseignements israéliens pensent que les Iraniens sont en train de construire leur propre Port en mer en Syrie. C’est ce que le Premier Ministre Binyamin Netanyahu est allé dire à Poutine au cours de leur rencontre à Moscou le mois dernier. Netanyahu ne se permettrait pas de colporter un tel rapport au Kremlin, s’il ne disposait pas d’éléments substantiels et convaincants pour le faire.

L’ambition iranienne est impressionnante, mais c’est aussi le genre d’hyper-extension qui a provoqué la chute des plus grands impérialistes, en allant des Ottomans et des Soviets jusqu’aux Habsbourg et aux Romains. C’est aussi ce qui est arrivé à l’Empire Perse, la dernière fois qu’il est parvenu à atteindre la Méditerranée.

Après avoir vaincu l’armée byzantine dans ce qui représente aujourd’hui le Sud-Est de la Turquie, les Perses ont déroulé leur avance tout le long de la côte Méditerranée jusqu’à Alexandrie, et ils ont aussi , plus tard, assiégé ce qui est devenu Istanbul, uniquement pour bientôt préparer la voie aux armées arabes qui ont balayé tout le Moyen-Orient en le convertissant à l’Islam. Les Perses ont été repoussés vers l’Est, dans lequel ils ont dû demeurer durant les 14 siècles suivants.

Aujourd’hui les Mollahs veulent restaurer ce rayonnement impérial. Hélas, la marche iranienne vers la Méditerranée est vouée à se terminer guère mieux que leur chevauchée médiévale, parce qu’elle provoque le monde arabe, la Russie et la Turquie d’un seul coup.

 

La ligne côtière syrienne est courte, à peine la moitié de la longueur de celle d’Israël. 

Les Russes ne voudront pas que les vaisseaux des Ayatollahs soient parqués à côté des leurs. Appuyer et alimenter la violence naturelle d’Assad, comme Moscou le fait constamment, est chose. Faciliter l’intrusion impériale de Téhéran est quelque chose de tout-à-fait différent.

Et tout comme la côte syrienne est courte, autant la mémoire arabe est longue. Les Arabes Sunnites aux côtés des Sunnites turcs connaissent aussi bien les parties de l’histoire perse qui restent pertinentes pour eux. Ils comprennent ce que l’Iran est en train de faire et, en définitive – d’une façon ou d »une autre – ce qui va faire obstacle à sa conquête de l’Ouest.

On en a eu un échantillon la semaine dernière, par deux répliques qui ont été peu remarquées, à l’attaque aux armes chimiques dans le Nord de la Syrie. L’une provient de la Ligue Arabe, qui a désigné cette attaque comme « un crime majeur » et l’autre provenait du Premier Ministre libanais Saad Hariri, qui a accusé « le monde » de « laisser un tel régime faire tout ce qu’il fait ».

Hariri, même s’il collabore, représente la minorité sunnite du Liban et sa déclaration fait écho à sa peur de l’isolement dans une prospective : celle de la ceinture chiite dirigée par l’Iran.

Si on se tourne vers Damas, Assad semble sous-estimer ces sensibilités.

Tirant en se protégeant derrière le bouclier de son Patron russe, l’homme fort de Syrie suppose évidemment,qu’il peut presque faire sur le champ de bataille à peu près tout ce qu’l veut. Il se peut qu’il ait raison, en ce qui concerne les condamnations qu’il a entendues de la part du Vatican, de l’Union Européenne et de l’ONU, et aussi concernant la vague déclaration de Donald Trump disant que cette attaque « franchissait trop de lignes rouges ».

Pourtant, en ce qui concerne ses buts, l’attaque au gaz d’Assad s’inscrit dans une démarche politique démentielle qui ramène à près d’un demi-siècle en arrière.

Assez curieusement, les efforts iraniens visant à semer et cultiver une Syrie diminuée mais dominée par les Chiites est l’exacte inversion de la quête d’Hafez El Assad visant à créer une Grande Syrie, qui devait inclure le Liban, la Jordanie et l’espace géographique d’Israël, une fois vaincu -croyait-il- l’Etat hébreu.

Le rêve de Grande Syrie voulue par le patriarche Assad dissimulait un projet visant à imposer sa minorité alaouite à une majorité sunnite quatre fois supérieure en nombre (on parle de 74% de Sunnites en Syrie). C’est une difformité politique qui a finalement nourri le soulèvement de la majorité contre l’oppression de la minorité.

Le projet de plus petite Syrie aurait pu être un plan plausible pour survivre après la mort de la Grande Syrie, s’il n’avait pas impliqué les mêmes méthodes qui ont mené à l’éclatement de la précédente conception de la Syrie.

Il y avait quelques 12 millions d’Arabes Sunnites dans la Syrie d’avant-guerre et 25 millions de Sunnites des deux côtés de la frontière syro-irakienne. Bien qu’un bon dixième d’entre eux sont à présent réfugiés partout dans le monde entre la Jordanie, la Turquie et la Suède, la masse critique ne va nulle part et elle se consume de haine  pour Assad et ses parrains.

C’est pourquoi le projet de plus petite Syrie suivra le chemin de la précédente quête de Grande Syrie. Tout comme les précédentes mésaventures militaires alimentées au gaz chimique, celle-ci  prouvera également que la guerre à l’arme chimique n’est qu’une alchimie politique sans lendemain.

www.MiddleIsrael.net

Par 
6 AVRIL 2017 21:06

Repris par  : jpost.com

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