Questions autour de la nouvelle alliance arabo-kurde

NDLR : ce texte, écrit par un observateur arabe sunnite, n’est pas indemne de parti-pris, où il met en doute, essentiellement, le rôle des Kurdes dans cette alliance, alors qu’ils constituent la minorité agissante, au milieu de 67% d’Arabes sunnites. De même, la perception est très favorable au rôle de la Turquie comme « protectrice des Sunnites » contre les « exactions supposées » des Kurdes… Au-delà de cela, ce texte présente le nouveau challenge américain pour tenter de peser encore dans les enjeux, au moment où l’intervention de la Russie défraie la chronique. 

Leaders of the Syrian Democratic Forces alliance at a presser earlier this month. (ypgrojava.com)

 

Les forces américaines ont largué des équipements militaires aux rebelles arabes syriens dans le nord de la Syrie le 11 octobre. Ce soutien aérien faisait partie d’une stratégie américaine revisitée, pour combattre Daesh après la clôture d’un programme à hauteur de 500 millions de $ pour l’entraînement et l’équipement de rebelles syriens réputés « modérés » et qui s’est achevé sur plusieurs fiascos, voire scandales. Le nouveau plan, qui se focalise sur l’enrôlement de recrues dans des unités kurdes et arabes déjà existantes et à travailler étroitement avec elles sur le terrain, a été annoncé par le Secrétaire à la Défense Ashton Carter le 9 octobre, lors d’une conférence de presse à Londres.

Cette nouvelle alliance menée par les Kurdes est appelée les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) et elle comprend les YPG, l’aile militaire de l’Administration autonome kurde ; divers groupes arabes ; et un groupe chrétien assyrien. Il est prévu que les FDS bénéficieront d’un appui américain pour lancer une offensive conjointe sur Raqqa, la capitale de fait de Daesh et qu’elles feront appel à des frappes de la coalition contre des cibles désignées de Daesh.

De nombreuses questions concernant les détails de ce plan demeurent flous. A quels types de défis cette alliance sera t-elle confrontée? Tirera t-elle partie des leçons apprises jusqu’à présent? Quels genres d’opportunités présente t-elle?

Les prétendues violations des droits de l’homme par les YPG 

Les percées des YPG dans la province de Raqqa, depuis le début de cette année ont été interrompues du fait de tensions accrues entre Kurdes et Arabes, entre autres raisons, suivies par des accusations de prétendues violations des droits de l’homme. On a assisté à une augmentation du nombre de rapports accusant les YPG d’avoir commis des violations contre les communautés arabes, particulièrement durant loffensive de juin contre Tal Abyad, où les Arabes se trouvent en majorité. Ces présumées violations iraient de la confiscation et du pillage de propriété privée à la détention, la torture et le meurtre jusqu’au déplacement forcé de villages entiers. Lors d’une récente mission de recherche de preuves dans le nord de la Syrie, Amnesty International dit avoir découvert une vague de déplacements forcés et de démolitions de maisons allant jusqu’à des accusations de crimes de guerre qui auraient été commis par les Unités des YPG contrôlant ce secteur.

Si jamais ces soupçons continuaient de se répéter, ils risquent fort d’élever les tensions entre Kurdes et Arabes et mettent en péril l’avenir de cette alliance arabo-kurde. En outre, si elles existent, de telles violations favorisent directement la propagande de Daesh et elles seront utilisées comme outil de recrutement parmi les Arabes Sunnites. Il est donc crucial que les forces kurdes fassent preuve de retenue et condamnent de tels actes s’ils existent. Si c’est le cas, les victimes de ces exactions devraient recevoir des compensations et avoir l’autorisation de retourner chez eux (dans leurs villages). De telles mesures destinées à restaurer la confiance devraient infléchir les critiques contre le comportement des forces kurdes et contribuer à bâtir de meilleures relations avec la population arabe.

Une position claire

L’intervention militaire de la Russie représente un challenge pour la capacité de durer de ces FDS, d’une part et pour le niveau de soutien que les Américains sont en mesure d’apporter aux Kurdes, d’autre part. Les Kurdes de Syrie ont publiquement accueilli favorablement la récente intervention militaire russe et ont démontré leur volonté de combattre Daesh à ses côtés. Sipan Hemo, le Commandant Général des YPG a montré qu’il est prêt à coopérer avec la Russie : « Nous voulons une couverture aérienne russe contre Daesh. nous voulons des armes. Nous pouvons travailler avec la Russie contre Daesh ». Différents rapports indiquent des pourparlers continus entre la Russie et les Forces kurdes afin de mettre sur pied un processus de coordination, particulièrement à Hasakeh, où Assad et les Kurdes sont perçus comme combattant ensemble contre Daesh.

De surcroît, la majorité des frappes aériennes de la Russie ont pris pour cibles des groupes rebelles anti-Assad, dont des rebelles soutenus par la CIA. Par conséquent, une coopération avec la Russie et le régime Assad pourrait conduire à une perception disant que les Kurdes sont une force pro-Assad, ce qui les exposerait à un plus grand risque d’être eux-mêmes pris pour cibles par divers groupes rebelles.

Il n’y a aucune indication claire disant qu’une coalition kurdo-russe contribuerait à apporter aux YPG kurdes une meilleure position contre Daesh. Au contraire, il est hautement probable que cela accroîtrait les tensions envers les Kurdes et que cela impacterait négativement les nouvelles FDS. De plus, s’il n’est pas certain qu’un partenariat avec Moscou provoquerait ipso facto un assèchement du soutien américain aux YPG, l’administration Obama pourrait très bien exercer plus de prudence, en réduisant potentiellement son soutien si les forces kurdes en venaient à être perçues comme des alliées de la Russie. Ainsi, une position publique plus claire condamnant les attaques russes contre les groupes rebelles qui ont réellement acquis une réputation de « modérés » pourrait, peut-être, améliorer les relations avec les autres groupes rebelles et contribuer à renforcer le soutien américains aux Kurdes de Rojava.

Conflit d’intérêts 

La Turquie est directement concernée et inquiète  à propos de l’aide américaine aux Kurdes de Syrie, qui pourrait ussi renforcer les Kurdes en Turquie, en particulier le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que beaucoup de pays continuent de désigner comme un groupe « terroriste ». Le Ministère turc des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur américain à Ankara pour qu’il entende le désagrément de la Turquie au sujet des largages de livraisons pour les Kurdes de Syrie et les arabes, au nord de l’Irak, le 11 octobre. De plus, le Premier Ministre turc Ahmet Davutoglu a déclaré que nul ne pouvait garantir que ces armes données aux YPG ne tomberaient pas entre les mains du PKK et qu’elles ne seront pas utilisées contre la Turquie.

La colère des Turcs, en dépit du communiqué américain disant que ce largage ne serait allé que vers les groupes rebelles arabes, montre les difficultés que les Etats-Unis peuvent rencontrer en tâchant d’assurer le soutien militaire dont ces FDS ont besoin. De plus, la Turquie maintient des alliances fortes avec les rebelles et les tribus arabes en Syrie, qu’elle peut tenter de mobiliser contre les Kurdes des YPG. En définitive, la signification des Kurdes de Syrie dans le combat contre Daesh n’est guère susceptible de l’emporter sur l’importance de la Turquie au regard des intérêts américains, et de ce fait, les Américains pourraient être tentés de détourner les yeux lorsque les Turcs les attaquent, surtout de la façon dont Ankara les présentent comme une menace pour la sécurité nationale turque.

Ce serait donc dans l’intérêt des forces kurdes de Rojava d’essayer d’améliorer leurs relations avec la Turquie en instaurant des mesures visant à rétablir une certaine confiance [NDLR : ce que le PKK semble avoir fait avant l’attentat d’Ankara qui a fait 108 morts] de façon à réduire les inquiétudes sécuritaires de la Turquie et les relations fortes entre la Turquie et le Gouvernement Régional du Kurdistan dans le onrd de l’Irak montrent qu’il est possible de développer à termes des relations sur ce même type… Les Kurdes peuvent aussi employer le rôle important qu’ils jouent actuellement dans le combat contre Daesh pour rechercher le soutien de leurs alliés dans l’élaboration, à terme, de relations plus diplomatiques avec la Turquie.

 

Tout dépend de la façon dont les forces kurdes manoeuvrent face à de tels défis, qui peuvent se transformer en opportunités pour surmonter les divergences passées et se focaliser sur la construction d’un pays intégrateur pour tous les Syriens, qu’ils soient Arabes et Kurdes…

HAID HAID

Publié le : 20/10/2015 05:20 PM     |     Updated: 21/10/2015 05:47 PM

Haid Haid est directeur de programme au bureau du Heinrich Böll Stiftung à Beyrouth.  He tweets @HaidHaid22

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Adaptation : Marc Brzustowski.

 

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