Pour comprendre les tensions entre l’Ukraine et la Russie.

L’Ukraine accuse Moscou de masser des soldats à sa frontière pour préparer une attaque. Derrière ces manœuvres militaires se trame également une lutte d’influence entre la Russie et les Etats-Unis.

Un nouveau conflit en Ukraine est-il inévitable ? Malgré une semaine de pourparlers, Russes et Occidentaux campent toujours sur des positions divergentes. Le chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken doit retrouver son homologue russe Sergueï Lavrov, vendredi 21 janvier, à Genève, pour tenter de faire avancer les négociations. Les Européens et les Américains accusent Moscou de se préparer à « une attaque » en Ukraine, mais le Kremlin rejette ces accusations et affirme se défendre contre toute expansion de l’Otan.

Dernières discordes en date : une cyberattaque menée contre les sites de plusieurs ministères ukrainiens, que Kiev impute à Moscou, et l’arrivée en Biélorussie de troupes russes, qui mènent des exercices « impromptus » de préparation au combat aux frontières de l’UE et de l’Ukraine. Une invasion est-elle vraiment possible ? Que cherche à faire Vladimir Poutine ? Pourquoi Kiev cherche à tout prix à rejoindre l’Otan ?

Que se passe-t-il à la frontière ?

Depuis l’automne 2021, la guerre entre les séparatistes russes et l’armée ukrainienne dans la région frontalière du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, connaît un regain de tensions. Fin octobre, des vidéos ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, montrant des mouvements de troupes et autres armes lourdes russes en direction de la frontière ukrainienne.

Les Américains et les Européens affirment que Moscou y a déployé près de 100 000 soldats en vue d’une potentielle invasion. Le renseignement américain affirme même que la Russie a déployé des agents dans l’est de Ukraine pour mener des opérations de « sabotage » visant à créer un « prétexte » pour une offensive. Le Kremlin nie avoir de telles intentions.

« Il y a une faible transparence sur ces mouvements de troupes et leurs objectifs, mais de telles manœuvres ne sont pas inhabituelles », explique Alexandra Goujon, maîtresse de conférences à l’université de Bourgogne et spécialiste de l’Ukraine. Le 1er avril 2021, la Russie avait déjà massé des troupes à la frontière ukrainienne pour des raisons similaires, avant de les retirer un mois plus tard. « Cette fois-ci, ces mouvements ont permis à la Russie d’exiger des garanties de la part des Occidentaux comme conditions de la désescalade », reprend la chercheuse.

Et ce conflit dure depuis longtemps ?

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à 2004. Cette année-là, l’élection frauduleuse du candidat pro-russe Viktor Ianoukovitch à la présidentielle ukrainienne pousse les Ukrainiens à descendre dans la rue lors de la « révolution orange ». Le soutien des Occidentaux permet d’obtenir l’annulation du scrutin et marque un rapprochement entre l’Ukraine, l’Otan et l’UE, rappelle Arte.

En 2010, Viktor Ianoukovitch devient finalement président et promet d’assurer la continuité des négociations pour un accord de coopération avec l’UE. Mais sous pression du Kremlin, il fait volte-face et annonce la fin des échanges. Une vague de protestations pro-européennes débute alors en 2014. La révolution de Maïdan (du nom de la place centrale de Kiev) pousse le président ukrainien à fuir en Russie et il finit par être destitué de ses fonctions.

En riposte à cette mobilisation, et en violation du droit international, la Russie annexe la Crimée en mars 2014. Les habitants de la péninsule se prononcent en faveur de ce rattachement lors d’un référendum dont la légalité n’est pas reconnue par les pays occidentaux. Afin de déstabiliser davantage le pays, Moscou soutient un mois plus tard les séparatistes pro-russes dans le Donbass à l’Est. Deux entités de ce territoire proclament leur indépendance : la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Cette situation a conduit à une guerre qui a fait plus de 13 000 morts à ce jour.

Quelle est la stratégie de Vladimir Poutine ?

Depuis la chute de l’URSS en 1991, « Vladimir Poutine considère que les anciens pays satellites doivent rester dans le giron russe. Il pense même que les Ukrainiens et les Russes ne forment qu’un même peuple, que l’Ukraine n’est pas un véritable Etat, et que le Kremlin est légitime pour décider de son sort », analyse Alexandra Goujon. Vladimir Poutine souhaite ainsi que Kiev rejoigne ses projets d’intégration comme l’Union économique euroasiatique ou l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) (qui est notamment intervenue au Kazahkstan).

Le président entend en fait empêcher tout élargissement de l’Otan dans les anciens pays de l’URSS. Il estime qu’il s’agirait d’une menace pour la Russie, via notamment l’installation de matériel militaire capable d’atteindre son pays. « Vladimir Poutine veut former un cordon de sécurité autour de la Russie, formé de pays non-hostiles. Mais sa définition de ‘l’hostilité’ est large », complète Olivier Schmitt, directeur d’études et de recherches à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

« Un ex-pays de l’URSS qui peut choisir ses alliances et possède une démocratie fonctionnelle est perçu comme hostile. »  Olivier Schmitt, directeur d’études et recherches à l’IHEDN 

Par ailleurs, la politique étrangère du Kremlin « a toujours été liée à des facteurs internes », rappelle Vera Ageeva, professeure associée à l’Ecole des hautes études en sciences économiques (EHESE) à Saint-Pétersbourg. « Depuis trois ans, le président fait face à un mécontentement très fort de la population, la situation économique s’est détériorée, la crise sanitaire liée au Covid-19 est très mal gérée. »

« Le président russe cherche à rétablir sa légitimité en interne en faisant des démonstrations de force à l’extérieur. Diaboliser l’Otan est une façon de consolider la société russe sur un ennemi. » Vera Ageeva, professeure associée à l’EHESE de Saint-Pétersbourg 

Quel est le positionnement de l’Ukraine ?

Lors de son élection en 2019, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que sa mission première était de rétablir la paix dans le Donbass et d’intégrer l’Otan.

« Avant 2014, la volonté d’intégrer l’Otan était plutôt minoritaire. Mais la guerre a renforcé le sentiment européen des Ukrainiens. Ils ont compris que l’Otan était fondamental en terme de protection face à la Russie. » Alexandra Goujon, maîtresse de conférences à l’université de Bourgogne 

Certains habitants peuvent être d’accord pour avoir des relations commerciales avec la Russie, « mais être rattachés à la Russie, même dans le Donbass, la population ne le souhaite pas forcément », poursuit la chercheuse. De plus, l’Otan fournit depuis 2016 à l’Ukraine un soutien en matière de cybersécurité, de logistique, de communication. Elle participe aussi à l’entraînement de soldats ukrainiens, note La Croix (article payant).

Y a-t-il vraiment un risque d’invasion russe ?

Tout dépend de ce que l’on entend par invasion. Pour Olivier Schmitt, une invasion avec la prise d’un territoire et l’instauration d’une administration est peu probable. En revanche, des frappes aériennes ou au sol pour détruire des infrastructures ukrainiennes sont plus envisageables. « Quand on regarde la Syrie, on voit bien que la Russie n’a aucun problème à soumettre la population en la visant par des frappes », pointe-t-il.

Un soldat ukrainien le 8 décembre 2021 à Marïnka dans le Donetsk ukrainien. 

Un constat partagé par Alexandra Goujon, qui estime que la Russie veut imposer son agenda diplomatique mais qu’une intervention terrestre est une hypothèse peu probable : « Pour récupérer quoi comme territoire ? Cela générerait des combats extrêmement meurtriers et impopulaires en Russie, où personne ne veut la guerre. » Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes à la Fondation pour la recherche stratégique, se veut plus prudente : « C’est difficile de privilégier une hypothèse plutôt qu’une autre. La Russie pourrait prendre le prétexte d’une non-réponse ou d’une réponse insatisfaisante de la part des Occidentaux pour tenter quelque chose militairement. »

« L’intransigeance de la posture russe fait qu’on ne peut rien exclure. »  Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes  

Côté russe, le négociateur Sergueï Riabkov a assuré que son pays n’avait pas l’intention d’« attaquer l’Ukraine ». Mais pour Kiev, l’offensive a déjà débuté avec le piratage subi par ses administrations le 14 janvier. Une attaque qu’elle qualifie de « manifestation de la guerre hybride que la Russie livre à l’Ukraine depuis 2014 ».

Qu’en dit la communauté internationale ?

Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, en déplacement à Kiev le 19 janvier, a plaidé en faveur de la « voie pacifique ». Les Etats-Unis ont débloqué 200 millions de dollars d’aides supplémentaires pour l’Ukraine et la France a promis qu’elle « ne laissera pas les Ukrainiens seuls ». Le Royaume-Uni a de son côté annoncé l’envoi d’armements à l’Ukraine.

Les Américains et Européens refusent toutes les exigences russes et plaident pour un « processus » de discussions plus long centré sur le contrôle des armements et la limitation des manœuvres militaires, mais Moscou refuse. Pour sortir de l’impasse, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a déclaré avoir invité la Russie et les alliés de l’alliance transatlantique à de nouvelles discussions.

 

Des sanctions sont-elles possibles ?

Des sanctions économiques, financières et militaires visent déjà la Russie depuis 2014. Mais cette fois-ci les Occidentaux menacent d’aller plus loin. Les Etats-Unis envisagent des sanctions bancaires sans précédent et l’impossibilité de faire des transactions en dollars. Un renforcement des capacités ukrainiennes pourrait aussi être envisagé en livrant plus d’armements. Quoiqu’il en soit, même si la Russie souffre des sanctions depuis 2014, « elle a su s’adapter sur certains aspects, émis des contre-sanctions. En tout cas, Moscou a montré que ça ne changeait pas son comportement sur la scène internationale », prévient Isabelle Facon.

Y aura-t-il des conséquences en Europe ?

« Dans le monde où nous vivons aujourd’hui, il n’y a plus de guerre ‘des autres’, personne ne peut se sentir en sécurité quand il y a une guerre en Ukraine, quand il y a une guerre en Europe », a prévenu Volodymyr Zelenzky devant l’ONU en 2019. Si la guerre en Ukraine ne semble « pas une menace existentielle pour les Européens », elle menace toutefois leur zone de prospérité politique et économique, analyse Olivier Schmitt.

Elle a également mis au jour des divisions internes au sein de l’Union européenne, notamment sur le projet Nord Stream 2, un gazoduc qui doit relier la Russie à l’Allemagne. Longtemps ambigu sur le sujet, le chancelier Olaf Scholz s’est finalement engagé auprès des Américains à bloquer sa mise en service si la Russie attaquait l’Ukraine. Berlin et Paris restent opposés à une entrée de l’Ukraine dans l’Otan, de peur de mécontenter la Russie avec qui ils favorisent le dialogue, alors que les pays baltes et la Pologne y sont favorables.

« A travers l’Ukraine, la question posée aux Européens est quel modèle de démocratie sont-ils prêts à défendre, et jusqu’à quel point ? » Olivier Schmitt.

Je n’ai pas eu le temps de tout lire, vous me faites un résumé ?

Le conflit entre les séparatistes russes et l’armée ukrainienne connaît un regain de tensions depuis l’automne 2021. L’Ukraine et les Etats-Unis accusent Moscou d’avoir massé 100 000 soldats à la frontière russo-ukrainienne en vue d’une possible invasion. De son côté, la Russie affirme se défendre contre toute expansion de l’Otan à ses portes et exige des engagements des Occidentaux pour reprendre les négociations.

Les origines récentes de ce conflit remontent à 2014, lorsque Vladimir Poutine a annexé la Crimée et soutenu des séparatistes pro-russes à l’est de l’Ukraine, conduisant à une guerre dans le Donbass qui dure depuis huit ans. Si les Européens et les Américains font front commun pour défendre Kiev, ils sont divisés sur les moyens d’y parvenir. L’Allemagne, la France, les Etats-Unis veulent maintenir le dialogue avec la Russie, tandis que les pays baltes et la Pologne voient davantage Moscou comme une menace existentielle.

A ce jour, les négociations sont au point mort. Washington a alerté sur une attaque russe possible « à tout moment » tandis que Moscou réclame des réponses « concrètes » à ses exigences avant tous nouveaux pourparlers. L’UE et Washington menacent la Russie de sanctions importantes en cas d’agression de l’Ukraine, une menace balayée par le Kremlin.

 

Le ministre des Affaires étrangères russe et son homologue américain doivent se rencontrer, vendredi 21 janvier à Genève (Suisse).

La Russie continue de montrer les muscles et assure que c’est elle qui est menacée, alors que le ministre des Affaires étrangères russe et son homologue américain doivent se rencontrer, vendredi 21 janvier à Genève (Suisse). Moscou fustige notamment la livraison d’armes occidentales à l’Ukraine. En fin de semaine dernière, un haut diplomate russe disait que les négociations étaient bloquées.

Éviter une Ukraine dans l’Otan

Et pourtant, la Russie est de retour à la table des discussions, notamment parce que cela lui permet de s’afficher en face des États-Unis, au premier rang sur la scène internationale. Moscou veut des garanties de sécurité : empêcher l’Ukraine de rejoindre l’Otan. Cela ressemble beaucoup à un partage du monde. Les Russes sont-ils prêts à aller jusqu’à une invasion militaire en Ukraine ? Ou s’agit-il de mesures d’intimidation ? C’est là toute la question, explique le journaliste de France Télévisions Luc Lacroix.

FranceInfo – Elise Lambert

France Télévisions

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