Réservé aux femmes : ce tourisme d’un nouveau genre

Par Sophie Vincelot

Selon le SHe Travel Club, la population féminine représenterait 64 % des globe-trotteurs.

Selon le SHe Travel Club, la population féminine représenterait 64 % des globe-trotteurs. Ulza/Shutterstock

 

ENQUÊTE – S’ils constituent encore un marché de niche, les voyages exclusivement féminins prennent peu à peu de l’ampleur, et répondent à des enjeux plus actuels que jamais. Focus à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

«Je voulais partir sans ma famille depuis longtemps. Et ce, pour plusieurs raisons : me ­libérer de ma charge mentale quotidienne, en tant que femme et maman, et parce que j’aime voyager.» Juliette, bientôt 50 ans, a voulu s’entourer d’autres femmes pour réaliser une envie profonde : celle de se ressourcer. Mais pourquoi uniquement des femmes ? «On est plus à l’aise entre soi. On peut parler de tout, s’entraider, s’encourager. Avec des hommes, on n’aurait pas eu la même liberté», confie-t-elle. ­Elle se tourne alors vers une agence, L’Odyssée du papillon, qui organise des voyages exclusivement féminins. En septembre 2022, elle s’envole pour Bali avec six autres voyageuses. «Je suis prête à le refaire sans hésiter !», s’enthousiasme-t-elle.

L’initiative de Juliette est loin d’être isolée. Les femmes vadrouillent plus que jamais. Un premier chiffre met en lumière cette tendance : le nombre de voyageuses en solo est passé de 59 à 139 millions entre 2014 et 2017, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Plus récemment, le SHe Travel Club, ­label qui certifie les hôtels répondant à des critères d’accueil pour les clientes voyageant seules, a avancé une autre donnée : la population féminine représenterait 64% des globe-trotteurs. Si #MeToo a permis un élan émancipateur et salvateur pour les femmes, le phénomène est en réalité loin d’être nouveau. Les voyageuses ont toujours existé, malgré les ordres établis, nous rappelle l’écrivaine Christel Mouchard.

Mais le marché du «women only» a mis du temps à se former. Après quelques années hésitantes, il semble désormais se structurer. Si les voyagistes historiques ne se sont pas encore emparés de la thématique, d’autres acteurs ont déjà imprimé leur marque, à l’image de Copines de voyage. L’idée ? Faire partir ensemble des inconnues qui deviendront des «copines de voyage». La société a prévu de faire partir 15.000 femmes d’ici à la fin de l’année 2023. Et elle vise, pour les 10 ans de la marque, en 2026, les 60.000 voyageuses, soit six fois plus qu’à ses débuts. «Ce qui fait notre succès, ce sont nos compétences au niveau du digital, du marketing et du tour operating. Nous comptons aujourd’hui 1 million de membres sur le site», se félicite Olivier Masselis, cofondateur de Copines de voyage. La recette séduit un public plutôt jeune, âgé de 32 ans en moyenne, selon le site. Mais, avec des voyages pouvant rapidement atteindre le millier d’euros, avion et train non compris, toutes les bourses ne peuvent bénéficier de ces services. «Le positionnement se situe généralement au niveau des catégories socioprofessionnelles ­supérieures. Mais les voyages organisés impliquent souvent un surcoût», analyse Valérie Boned, secrétaire générale des Entreprises du voyage.r

«Se réconcilier avec les hommes»

Mais qu’offrent ces acteurs tournés vers le 100 % féminin ? À L’Odyssée du papillon sont conçus des voyages en immersion dans la culture des femmes d’un pays. Il ne s’agit pas seulement de réunir des voyageuses, mais de permettre des rencontres d’un autre ordre. «En Corse, nos clientes ont pu parler avec la fille d’un berger, qui lui avait transmis toute sa connaissance des herbes et des fleurs. Elles ont pu échanger aussi avec une viticultrice. Au Japon, il y a eu des rencontres avec des geishas et des pêcheuses “ama”», raconte Pascale Orsola-Petit, fondatrice de L’Odyssée du ­papillon.

Pour ces spécialistes, un défi est de taille : celui de ne pas tomber dans les stéréotypes. Certaines initiatives ont subi des critiques : le Som Dona Women Only Hotel, ouvert en 2019 à Majorque, n’a pas su éviter l’écueil. Au-delà de proposer un entre-soi féminin, le lieu mettait à disposition divers accessoires très genrés, comme des lisseurs, des ­espaces de rangement pour les bijoux. Quand le faux féminisme vire à l’opportunisme… Outre les agences de voyages, d’autres acteurs œuvrent pour rassembler les femmes et donnent une nouvelle dimension au voyage en solo ou en groupe.

Pour ces spécialistes, un défi est de taille : celui de ne pas tomber dans les stéréotypes. Kikujiarm/Shutterstock

C’est le cas de NomadSister (ex-La Voyageuse). Le site, qui se veut un «couchsurfing» au féminin, met en lien des voyageuses avec des hébergeuses. Fondée en 2019 par Christina et Derek Boixière, la plateforme propose 2 000 accueillantes validées et en vise cinq fois plus d’ici à la fin de l’année. Pour Christina Boixière, ce type d’initiative est essentiel. Car les raisons d’être entre femmes sont nombreuses. Fuir des rapports de séduction non voulus, échanger autour de sujets communs, ressentir une forme de sororité… Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’idée n’est pas nécessairement de rejeter les hommes. Mais de se retrouver dans des espaces sûrs pour mieux appréhender le monde. «Une voyageuse, qui avait subi des agressions, a été logée chez une dame et son compagnon. Cette expérience lui a permis de se réconcilier avec les hommes», confie la cofondatrice de NomadSister.

Désormais, l’hôtellerie aussi s’empare de ces problématiques. Sécurité, confort, services, restauration : le label SHe Travel Club passe au crible 70 critères pour offrir un meilleur accueil à la clientèle féminine. « Il s’agit d’avoir des personnes à la réception 24 heures sur 24, d’installer des judas et des verrous à l’intérieur des chambres ou encore de mettre à disposition des protections périodiques. Des propositions concrètes dont peuvent s’emparer les hôtels », martèle Valérie Hoffenberg, la présidente du label. Il y a du pain sur la planche. Selon une étude menée par SHe Travel Club auprès de 5000 femmes dans cinq pays, neuf sur dix estiment que le secteur hôtelier n’a pas adapté son offre à leurs besoins…

 

Christel Mouchard : «Le voyage au féminin n’était pas censé exister»

Écrivaine et journaliste, Christel Mouchard s’est plongée dans l’étude des femmes voyageuses. Connues ou plus anonymes, ces personnalités n’ont cessé de lutter contre l’ordre établi, à des époques qui les condamnaient souvent au foyer.

LE FIGARO. – Le voyage semble avoir été l’apanage des hommes. Pourquoi ?

Christel MOUCHARD. – Le voyage au féminin a été une vraie conquête, car il n’était pas censé exister. Il a fallu que les femmes démontrent qu’elles en étaient capables. On parle souvent des voyageuses en solo, comme Alexandra David-Néel (première femme occidentale à atteindre Lhassa, la capitale du Tibet, NDLR) et Ella Maillart, mais d’autres ont également leur part dans l’histoire. Quand on lit les récits des migrantes qui ont traversé les Grandes Plaines, aux États-Unis, au XIXe siècle, le périple est souvent loin d’être subi.

Quelles sont les premières traces de ces vadrouilleuses ?

Les femmes ont voyagé de différentes façons. Il y a bien sûr les exploratrices aux XIXe et XXe siècles. Mais on retrouve aussi certaines traces au Moyen Âge, comme celles des pérégrines. Puis, celles des missionnaires. Outre la dimension patriarcale, le fait que les femmes n’aient pas fait d’études a souvent contribué à l’effacement du voyage au féminin dans l’histoire. Elles n’avaient aucune connaissance scientifique. Alexandra David-Néel a, par exemple, voyagé sans être capable de faire un relevé topographique.

Les femmes ont-elles traditionnellement voyagé en groupe ?

Pas vraiment. Une femme, quand elle voyageait, le faisait avec son père ou son mari. Celles qui partaient par ­elles-mêmes ne voulaient pas «s’encombrer» d’une autre. Mais quelques-unes ont choisi le collectif, comme Ella Maillart. Elle a voyagé en groupe à deux reprises. Lors d’une croisière en Méditerranée, où à cinq, elles ont barré un voilier. Puis avec Annemarie Schwarzenbach, pour rouler à deux dans une Ford jusqu’en Afghanistan.

Par Sophie Vincelot, pour Le Figaro

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