À la veille du second tour, mieux vaut connaître l’ADN de chaque candidat, et connaître aussi ceux envers qui ils ont des dettes. Si Macron en a envers la finance française, Marine en a envers des personnages tout aussi moins recommandables. Si Poutine pouvait apparaître comme quelqu’un de déterminé, ce qui était aux yeux de certains une qualité, cela devient un défaut, quand elle est poussée à l’extrême. Sa détermination à combattre Daech, voire les islamistes tchétchènes a masqué sa folie meurtrière, alors que l’Occident était sourd aux appels au secours de ses victimes. Le monde ne peut pas avoir des valeurs à géométrie variable, ce sont alors nos propres contradictions que nous payons cher. La morale, l’éthique restent des points d’appui sur lesquels nul ne peut transiger, faute d’accepter à en payer le prix.

Rencontre secrète avec Poutine, prêts bancaires… Marine Le Pen, ses liaisons russes

La candidate du RN à l’élection présidentielle aimerait faire oublier ses liens financiers et son alignement sur les positions du Kremlin.
Aéroport de Paris-Orly, 8 avril 2022, deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Thierry Mariani s’apprête à embarquer pour Perpignan. Cette fois, le député européen du Rassemblement national (RN) n’a pas mis le cap vers Moscou, Astana, au Kazakhstan, ou Damas, en Syrie. L’ex-ministre de Nicolas Sarkozy, tee-shirt noir et passeport bleu Europe à la main, vient soutenir sa candidate, Marine Le Pen, pour son dernier meeting avant le vote. « Où étiez-vous passé, monsieur Mariani ? », l’interroge-t-on. Ce bon client des médias se fait discret depuis quelques semaines, évitant les journalistes et leurs questions.

Quelques jours plus tôt, il a décommandé une interview sur France Info. « Je suis là où je suis utile à ma candidate », sourit l’intéressé, qui mâchonne une barre chocolatée. Comprendre : en retrait. Tout juste livre-t-il à L’Express : « Je relis Le Désert des Tartares, vous connaissez ? » On connaît, oui. Dans le chef-d’oeuvre de Dino Buzzati, l’officier Drogo attend une guerre invisible depuis un fort lointain. Le récit d’une vie gâchée à surveiller un ennemi inconnu, dans l’attente d’une gloire qui n’arrivera jamais. Toute ressemblance… « Voyons-nous au lendemain du premier tour », lâche-t-il avant d’embarquer dans son vol.
Thierry Mariani n’est pas un bleu en politique. Il traîne sa valise à l’odeur de soufre depuis quatre décennies entre la droite et l’extrême droite. Sa fascination pour les régimes autoritaires et les dictateurs aurait pourtant de quoi le rendre infréquentable. Côté russe, le parlementaire admire Vladimir Poutine, entretient des relations privilégiées avec le premier cercle du président, dont le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Le sexagénaire est d’ailleurs coprésident du Dialogue franco-russe, une association de lobbying pro-Kremlin, dont le siège est situé sur les Champs-Elysées, où il reçoit parfois, dans un parfum de clope et de vodka. Côté syrien, on ne compte plus ses visites à Bachar al-Assad, y compris en pleine guerre civile. Les soupçons d’affairisme collent à la peau de celui qui fréquente aussi bien les palaces de Bagdad que de Chisinau (Moldavie).
Rallié à Marine Le Pen en échange d’une place aux élections européennes de 2019, cet ex-sarkozyste devait constituer, dans la course à l’Elysée, un atout majeur pour Marine Le Pen, qui le présentait régulièrement, en privé, comme un potentiel ministre des Affaires étrangères. Avant l’invasion russe en Ukraine, début mars, l’homme cochait toutes les cases de la parfaite recrue mariniste : expérience gouvernementale, envergure internationale, capacité à attirer cadres et électeurs des Républicains… C’était avant la guerre, déclenchée le 24 février. Depuis, cinq millions de déplacés ukrainiens ont fui les bombes et les soldats de Vladimir Poutine, provoquant un vent de panique sur une Europe endormie par la paix.
Pendant ce temps, Thierry Mariani continue de jouer son rôle de super VRP du Kremlin, appelant à ne pas juger trop vite (« Poutine a peut-être des infos qu’on n’a pas »), à « mesurer l’exaspération des Russes dans le Donbass », tout en maintenant que la Russie reste « un partenaire incontournable » (La Croix, 31 mars). Le 1er mars, quand tous les députés européens du RN reçoivent l’ordre de voter en faveur des sanctions contre la Russie (une première dans l’histoire du parti, Marine Le Pen s’était toujours opposée aux précédentes vagues décrétées contre Moscou), Thierry Mariani s’abstient. La vedette devient, à mesure que le conflit s’aggrave et s’enlise, un personnage encombrant pour une candidate en quête de respectabilité.
Le 22 mars, sur BFMTV, Marine Le Pen est interrogée à son sujet : Thierry Mariani pourrait-il devenir, en cas d’élection, son ministre des Affaires étrangères ?
– Je pense que le ministre que je choisirai devra être dans la ligne d’indépendance et d’équidistance.
– Thierry Mariani ne l’est pas ?
– Non.
Un lâchage en règle, commandé par l’impératif du moment. Après l’émission, le téléphone de la candidate sonne :
– Tu as bien fait de me flinguer, c’est ce qu’il fallait faire.
– Merci, Thierry pour ta compréhension, lui répond-elle.
Si Marine Le Pen planque ainsi le soldat Mariani, c’est que l’homme attire la lumière sur ses propres accointances avec la Russie. Dans un contexte d’entre-deux-tours à l’élection présidentielle, où l’actualité est chaque jour marquée par son lot de drames (carnages de civils dans de nombreuses villes ukrainiennes, viols massifs sur les populations par les soldats de Poutine), la question russe est devenue le boulet diplomatique aux pieds de Marine Le Pen.
Depuis le début du conflit, la patronne de l’extrême droite française ne cesse de temporiser. Bien sûr, elle condamne fermement l’invasion russe. Bien sûr, elle souhaite accueillir les réfugiés sur le sol français. Sa seule nuance a été de se prononcer contre l’application des sanctions liées à l’énergie, mais seulement au motif, selon elle, qu’elles provoqueraient des conséquences terribles sur les Français, victimes de l’inflation du prix du gaz et du pétrole. Pourquoi, alors, ce sentiment de malaise et de dissimulation chez la fille de Jean-Marie Le Pen ?
Après dix années vouées à dédiaboliser son mouvement et sa personne, la guerre en Ukraine oblige Marine Le Pen à un exercice de contorsionniste. Fin mars, elle s’est mise en rogne contre un journaliste du Journal du dimanche, lors d’un entretien sur le sujet. Lorsque son directeur de cabinet, Renaud Labaye, relit l’interview avant publication – une pratique courante pour corriger d’éventuels contresens -, il reformule toutes les réponses de sa candidate sur la Russie. Pire, l’homme de confiance de la députée renvoie une version expurgée de la question suivante : « Pensez-vous qu’une Europe des nations puisse se construire avec Matteo Salvini, qui arbore au Parlement européen un tee-shirt à l’effigie de Vladimir Poutine ? » Après l’insistance du journal, le passage sera réintroduit, mais l’épisode illustre le malaise du clan Le Pen sur les questions internationales.

Le soutien à la Russie : la boussole du parti depuis dix ans

Officiellement, Marine Le Pen se réclame d’une vision gaullienne, et ne jure que par « l’équidistance ». Mais loin de la position « d’indépendance » revendiquée, le soutien à la Russie constitue la boussole du parti en matière de relations internationales. Dix ans d’allégeance à Moscou, pendant lesquels la ligne officielle du mouvement se confond avec les revendications du Kremlin. De quoi faire dire à certains, comme Bruno Tertrais, que « le Rassemblement national, contrairement à son appellation, est le parti de l’étranger ». Le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique s’explique : « Il y a une contradiction flagrante au sein des forces politiques qui prétendent défendre la souveraineté de la France et qui entretiennent dans le même temps des liens financiers, une séduction permanente, vis-à-vis d’une grande puissance autoritaire. »
Reprenons le fil de l’histoire. Lorsque Marine Le Pen arrive à la tête du Front national (FN), en 2011, le parti a déjà une position prorusse assumée depuis plusieurs années, Jean-Marie Le Pen ayant, à la faveur de la chute de l’URSS, opéré un rapprochement avec les ultranationalistes russes. Marine Le Pen multiplie alors les déclarations d’allégeance à la Russie. En octobre 2011, elle confie au quotidien russe Kommersant : « Je dis depuis longtemps que nous devons développer des relations avec Moscou, et non avec Washington, parce que nous avons avec la Russie des intérêts civilisationnels et stratégiques communs. » Dans le même entretien, elle reconnaît « une forme d’admiration pour Vladimir Poutine ». Dans son projet présidentiel de 2012, la candidate prône « une alliance trilatérale Paris-Berlin-Moscou ».
Mais la bascule a lieu en 2014. Cette année-là, déjà, la crise russo-ukrainienne s’enflamme, et conduit à l’annexion de la Crimée par la Russie. Au même moment, le FN signe deux prêts en provenance de Russie, tous les deux révélés et très largement documentés par Mediapart. D’abord, deux millions d’euros versés via une holding au microparti de Jean-Marie Le Pen, Cotelec, qui alimente les campagnes frontistes. Ensuite, neuf millions d’euros d’une banque tchéco-russe pour le FN. Des emprunts – dont tous les spécialistes s’accordent à dire qu’ils n’ont pu être octroyés sans l’accord du Kremlin – qui alimentent les soupçons de mainmise russe sur le parti à la flamme. Les dirigeants russes ont-ils voulu remercier la fille de Jean-Marie Le Pen pour son soutien sans faille ? Le geste est-il accordé en échange de contreparties ? Il n’est pas exclu que les deux assertions soient valables.

Rien n’est trop beau pour plaire à l’ami russe

Car, à la même période, Marine Le Pen et ses proches multiplient les gestes symboliques à l’égard de la Russie. Plusieurs cadres du parti se rendent notamment dans le Donbass, en Ukraine, pour soutenir les séparatistes prorusses. A l’époque, Aymeric Chauprade, conseiller de la présidente du FN sur les questions internationales, affirme à Mediapart que ce voyage « était une contrepartie au prêt », censé offrir une légitimité au référendum russe sur la Crimée. Un scrutin considéré comme illégal par Kiev, l’Union européenne et les Etats-Unis, mais que la patronne du FN estime, elle, conforme au droit. Les parlementaires et les cadres du FN, pour leur part, multiplient les déclarations publiques et les votes en faveur du Kremlin, et s’engagent fermement contre toutes les sanctions imposées à l’allié russe.
En coulisses, la patronne du FN fait même le siège de Vladimir Poutine, sollicitant à plusieurs reprises une rencontre publique avec lui. A l’époque, Marine Le Pen considère qu’il s’agit d’un élément stratégique pour parfaire sa stature de présidentiable, capable de s’asseoir à la table des grands de ce monde. Outre la recherche de légitimité, les raisons de cette fascination de l’extrême droite française sont aussi à chercher dans la nature même du régime russe. « Son Etat fort, voire autoritaire, y séduit les plus durs, son souci de se démarquer de l’Occident plaît aux nationalistes-révolutionnaires et aux partisans d’une grande Europe de Dublin à Vladivostok, la proximité du pouvoir avec l’Eglise orthodoxe russe très axée sur la tradition et le refus du sécularisme enchantent les courants antimodernes », écrivent les journalistes Caroline Monnot et Abel Mestre dans Le système Le Pen (Denoël, 2011).
La russophilie décomplexée de Marine Le Pen finit par payer. Selon plusieurs sources russes et françaises, elle rencontre Vladimir Poutine au moins à une reprise, en 2014, sans caméra ni appareil photo. Un entretien relayé par son conseiller de l’époque, Aymeric Chauprade, en direct sur BFMTV en novembre 2014 (avant que Marine Le Pen ne le contredise). La présidente du FN obtiendra finalement du président russe une rencontre publique, en mars 2017, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Mercredi 13 avril, interrogée par L’Express lors de sa conférence de presse consacrée à sa vision des relations internationales, Marine Le Pen affirme pourtant, manifestement mécontente, n’avoir rencontré Vladimir Poutine « qu’une seule fois, en 2017 ». Une déclaration contredite auprès de L’Express par plusieurs cadres actuels et anciens du mouvement, ainsi que par un proche du Kremlin. Dans le décor rococo des salons Hoche – un marbre rose aux allures de métro moscovite – du haut de son estrade baignée de lumière, Marine Le Pen marche sur des oeufs lorsqu’elle détaille son programme, consciente qu’un examen minutieux de ce dernier peut réduire à néant sa stratégie de dédiabolisation. La candidate ne s’appesantit pas sur la Russie. « Dès que la guerre russo-ukrainienne sera achevée et aura été réglée par un traité de paix, je me prononcerai en faveur de la mise en oeuvre d’un rapprochement stratégique entre l’Otan et la Russie », déclare-t-elle seulement, sans qu’on comprenne bien comment elle pourrait obtenir une telle inflexion, qui plus est en étant sortie du commandement intégré de l’Otan, ce qui limiterait son influence en son sein. L’affirmation prouve surtout que, malgré ses condamnations de principe, la candidate RN n’a en rien renoncé à son projet de coopération renforcée avec la Russie.

Une faiblesse identifiée par les stratèges d’Emmanuel Macron

Autour d’Emmanuel Macron, cette faiblesse a été clairement identifiée. Fin mars, des visuels ont circulé sur les réseaux sociaux. On y voit un visage, pour moitié celui de Marine Le Pen, moitié celui de Vladimir Poutine, avec le slogan « Marine Poutine ». En sous-main, l’idée qu’élire la première reviendrait à placer le second à la tête de l’Etat. Une crainte affichée en Une de Charlie Hebdo, le 6 avril, avec cette question : « Le drone de Poutine peut-il gagner ? » Sur le dessin, le président russe commande à distance une grosse tête blonde à hélices.
Au sein du RN, on veut croire que l’argument ne portera pas. « S’il y avait un problème avec notre positionnement sur la Russie, Marine Le Pen ne serait pas au second tour, Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas fait 22% et Eric Zemmour 7%… » veut se convaincre le fidèle lieutenant mariniste Jean-Lin Lacapelle. Un argument valable pour le premier tour, où Marine Le Pen s’adressait en priorité à ses partisans, peu portés sur l’actualité internationale. Mais il s’agit désormais pour elle de convaincre une majorité de Français de lui confier la maîtrise de la politique étrangère du pays. Sinon, la fille de Jean-Marie Le Pen pourrait bien, comme le capitaine Drogo, passer sa vie à attendre en vain qu’il se passe quelque chose.
L’Express

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Daniel

Et la photo de macronator qui sert chaleureusement la pate à Putine celle-là on se garde bien de la montrer