Comme chaque année, une multitude de séries télévisées viennent rythmer le ramadan sur les chaines arabophones. Parmi elles, la série égyptienne Haret El Yahoud crée un tollé, en donnant à voir pour la première fois des juifs dans le rôle des « gentils ».

Les relations entre juifs et arabes sont définitivement une source d’inspiration pour les scénaristes égyptiens. Alors que ceux-ci s’étaient habitués à dépeindre sur le petit écran les éternelles « manipulations » ou « traîtrises » des juifs de la diaspora, le scénariste Madhat Al Adl a pris le contre-pied du récit télévisé national. Quartier Juif (Haret El Yahoud), diffusé depuis le 18 juin sur AlHayah TV, donne ainsi à voir la cohabitation entre juifs et musulmans dans l’Égypte des années 1950, avant le panarabisme nassérien, alors que la naissance de l’état d’Israël bat son plein. Ali, un officier de l’armée égyptienne incarné par Lyad Nassar, tombe amoureux de Layla, une jeune femme juive jouée par Mona Shalabi. Une romance qui prend des airs d’union impossible dans un contexte où les prémices du nationalisme arabe et la montée du sionisme engendre des tensions politiques et sociales.

« La série ne traite pas seulement des juifs, mais d’un quartier égyptien connu comme le quartier juif, où les musulmans, les chrétiens et les juifs ont vécu ensemble », a déclaré Medhat al-Adl au quotidien égyptien al-Masry al-Youm, en février dernier. « On n’a jamais dit ‘celui-ci est un chrétien ou un musulman ou un juif’ ; ils étaient tous Égyptiens. Par conséquent, nous devons pas appeler les juifs autrement qu’Égyptiens ».

Le rôle du « méchant » traditionnellement accordé aux juifs est cette fois incarné par un membre des Frères musulmans, joué par Hassan el-Banna. Dans la bande annonce, il apparaît récitant un verset du Coran évoquant la mise à mort de non-musulmans. Un scénario très politique, à l’heure où les Frères musulmans sont violemment réprimés en Égypte, alors que le régime d’Abdel Fattah Al-Sissi a obtenu le soutien du gouvernement israélien.

« L’Égypte était grande »

Le scénariste assume ses positions très engagées et va même jusqu’à initier une comparaison entre le mythique dirigeant égyptien Nasser et Al-Sissi : « Nous voyons l’histoire se répéter. Les Frères Musulmans ont essayé de prendre le dessus sur la révolution de juillet (23 juillet 1952 , coup d’état des officiers libres) mais ont échoué parce que Nasser était un leader avec une stratégie. C’est arrivé à nouveau avec la révolution du 25 janvier (2011 : début du Printemps égyptien) comme les évènements le prouvent. »

« Quand une telle coexistence existait, l’Égypte était grande », a déclaré nostalgique, Medhat Al Adl. Cet « âge d’or » magnifié par la mémoire est d’ailleurs souligné par certaines déclarations des personnages. « Je suis un frère pour les Musulmans, ma religion me le dit », affirme un jeune homme juif dans un des premiers épisodes. « Nous avons vécu toute notre vie au centre du Caire et n’avons jamais connu de racisme », affirme de son côté une femme âgée dans la bande-annonce de la série.

Un « portrait humain » des juifs

Plus que la cohabitation et l’histoire d’amour à l’eau de rose, c’est le message politique de la série qui retient l’attention des spectateurs. Les critiques de cinéma égyptiens louent le travail du réalisateur. « Cette série est essentielle dans notre période actuelle », juge même la journaliste Ola al-Shafi dans le quotidien Al-Youm as-Sabi.

De leur côté, les médias israéliens ont, sans surprise, unanimement applaudi la série et salué un travail qui ne porte pas un regard antisémite sur les juifs. L’ambassade d’Israël en Égypte a elle aussi réagi sur son compte Facebook. « Nous avons vu les premiers épisodes de la série, et nous sommes fiers de voir une série arabe qui brosse un portrait humain des juifs, félicitations ! »

Un produit de propagande pro-Israël pour certains

Mais en Égypte, la série donne lieu à une controverse de taille. Certains dénoncent « un produit médiatique de la nouvelle ère dans les relations israélo-égyptiennes », comme le rapporte Al Jazira. De fait, pour beaucoup d’Égyptiens, la série est perçue comme une consécration de la nouvelle alliance israélo-égyptienne depuis le coup d’état d’Al-Sissi.  Sur les réseaux sociaux, des internautes se lâchent, qualifient le président égyptien de traître, et partagent des photos des exactions de Tsahal en ironisant sur « l’héroïsme juif ».

Egypte

« Et les Israéliens sont si généreux et aimants en partageant leurs terres avec les Palestiniens. C’est dégoûtant et hors de propos. #Quartierjuif © Capture d’écran © Twitter

Capture d'écran © Twitter

« Quartier Juif vise à améliorer l’image des juifs et distordre l’image des frères musulmans, qui attendent encore un signe au nom de cette sale justice » © Capture d’écran © Twitter

 

 

La polémique est telle que l’actrice Menna Shalabi interviewé par la presse égyptienne a été priée de se justifier sur son rôle. Elle a exhorté les spectateurs à ne pas confondre Israël et les juifs, le sionisme et le judaïsme. « Le but de la série n’est pas d’embellir la face d’Israël, ce n’est en aucun cas un hommage à Israël mais un retour sur une période de notre histoire ». Et d’ajouter : « Les gens devraient apprendre à différencier l’État colonisateur d’Israël, d’une part, et  le judaïsme avec les juifs en tant qu’êtres humains, d’autre part ».

Rien n’y fait, et la série aura du mal à se faire une place dans le paysage audiovisuel panarabe. Les chaines du Qatar ont d’ailleurs d’ores et déjà décidé qu’elles ne la diffuseraient car jugée trop ouvertement pro-israélienne…

J.A

 

 

 

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