Patrick Buisson au procès des sondages à l’Élysée : « Avant moi, c’était les valises de billets ! »

L’ancien gourou de Nicolas Sarkozy, le royaliste venu de l’extrême droite Patrick Buisson, se défend d’avoir été « un prédateur ». Il a livré devant le tribunal un cours de sciences politiques… Où l’on découvre aussi que Mélenchon était sa taupe au sein du PS.

À cette barre en bois clair qui, de loin, ressemble aussi à une barre de gymnastique, Patrick Buisson tente ni plus ni moins qu’un salto arrière. Une figure difficile autant que risquée. Mais crânement, soupçonné de recel de détournement de fonds publics, de recel de délit de favoritisme et d’abus de biens sociaux, il s’époumone à crier son innocence : « Avant moi, c’était des valises de billets ! J’ai voulu un contrat pour justement rompre avec ces vieilles pratiques malsaines, et on me le reproche aujourd’hui ! » C’est une médaille que Patrick Buisson réclame au président de la 32e chambre correctionnelle, Benjamin Blanchet, qui fait montre à son endroit d’une patience affable.

Quatre heures durant, ce lundi, l’ancien gourou de la communication politique venu de l’extrême droite fait feu de tout bois. Buisson alterne la voix doucereuse qui gémit de « l’évidence » de son innocence et la voix qui s’énerve contre « ses ennemis » qui ont voulu sa perte. Ses bras moulinent. Ses pieds s’agitent. Il se retourne vers les avocats et ses coprévenus pour chercher des regards de soutien. Il siffle, dents serrées, en direction du parquet, ce « parquet national financier » honni, bras armé selon lui, de « Hollande » et surtout de « Taubira », comme il appelle l’ancienne garde des Sceaux, sans jamais prononcer son prénom.

D’entrée, Patrick Buisson veut pouvoir présenter sa « version des faits ». Tout commence selon lui, par cette « garde à vue » qui lui aurait été refusée. « Faux, vous vous y êtes opposé », lui répliquera le parquet. « J’étais coupable, forcément coupable », maintient Buisson. Avec lui, le complot n’est jamais loin. Il désigne l’association Anticor, « procureur du parti socialiste », et sa « marraine », Christiane Taubira…

Passées ces préliminaires victimaires, il campe « son » décor. Patrick Buisson se présente comme un homme « de réseau, et d’influence médiatique ». À la fin des années 1990, il crée sa société, Publifact, « incontournable sur le marché des sondages ». Six mois avant le référendum sur la constitution européenne de 2005, alors que tous les instituts donnent le oui gagnant, Patrick Buisson raconte être allé voir le futur président : « Je lui ai dit que le non l’emporterait à 55 %, et si je me trompe, je vous demande de ne plus jamais me recevoir dans votre bureau. » Le soir même de la victoire du « non », Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, l’appelle pour lui annoncer qu’il sera candidat à la présidentielle. « Et pour me dire qu’il aura besoin de moi », glisse Buisson, pas peu fier…

Deux ans plus tard, voilà le conseiller à l’Élysée, dans le bureau de celui auprès duquel il incarne la « ligne Buisson » c’est-à-dire la ligne de droite dure. Le nouveau président lui confie la mission de « restaurer l’autorité du président de la République ». « Cette autorité avait été abîmée, amoindrie par Jacques Chirac, battu à 55 % au référendum et qui n’en avait pas tiré les conséquences. » Le président Blanchet, attentif à ce récit aux allures de cours de Sciences Po, veut en avoir le cœur net : « Nicolas Sarkozy pensait que Jacques Chirac aurait dû démissionner ? » « Voilà, oui, répond Buisson, Chirac a amoindri la fonction présidentielle en se maintenant pendant deux ans, et c’est pour cela que Nicolas Sarkozy me demande de restaurer l’image de la présidence ».

Il va s’y atteler. Notamment via des sondages. Mais en écoutant Buisson dans cette salle d’audience transformée en amphi de Sorbonne, les sondages politiques prennent un autre relief. Il ne s’agit pas de « sonder » l’opinion, mais bien de la façonner. « Avec moi, Nicolas Sarkozy n’achète pas des sondages, il achète un outil de com, insiste Patrick Buisson. La communication politique, c’est cela, le sondage permet de communiquer. » En clair, les rafales de sondages que Buisson commande et écoule dans ses journaux « amis », ne servent pas tant à éclairer le président qu’à conforter ses choix et « le rassurer ».

Tous les soirs, « sauf trois ou quatre soirs dans le quinquennat », précise-t-il pour donner la mesure de la fréquence de leurs relations, Nicolas Sarkozy l’appelle « entre 22 h 30 et 23 heures ». « On parle de tout. Le président a des hauts et des bas. Parfois il doute, il peut être en plein désarroi », confie son ancien conseiller de l’ombre. « Il attend de vous du réconfort ? » interroge le juge Blanchet. « Oui, il y a cet aspect », reconnaît Buisson, même s’il ne se compare pas à une cellule d’assistance psychologique. Mais admet que la plupart des sondages qu’il commande, vont apporter du réconfort. « Les sondages ont une fonction de réassurance », dit-il. « Ils agissent comme un outil de réassurance psychologique sur le président. » Ce n’est plus seulement un cours de Sciences Po, c’est un amphi de psycho… Patrick Buisson dresse aussi, en creux, un portrait de son unique « client ». Celui d’un homme inquiet…

Via des sondages dont il connaît à l’avance les réponses aux questions posées, Patrick Buisson raconte comment il manie « des outils de communication » au service du président. « Jacques Pilhan, qui arrivait en Jaguar couleur framboise dans la cour de l’Élysée sous François Mitterrand ou Jean Marc Lech, sous Chirac, qui en repartait avec des valises pleines de billets, faisaient la même chose que moi… Lech donnait des sondages aux journaux, que l’Élysée avait payés », poursuit-il.

UN PRÉSIDENT « TRÈS ADDICT »

Avec Sarkozy à l’Élysée, le conseiller admet avoir eu fort à faire avec « un président très addict ». L’incontournable Buisson dit avoir été sollicité non-stop. Il ponctue son récit « d’exemples » comme il le ferait devant un auditoire d’étudiants attentifs. « Après la réforme des retraites de 2010, Nicolas Sarkozy me demande de suivre six personnalités pendant plusieurs semaines. À la fin, je lui ai préconisé de reconduire François Fillon à Matignon. »

« Mélenchon s’apprête à quitter le Parti socialiste, il m’appelle souvent, c’est mon informateur au sein du PS »

À l’époque, le conseiller de l’ombre, qui met en avant la nécessité de « confidentialité », se dit « la cible du PS ». Il affirme que dans son livre sur sa présidentielle ratée, Ségolène Royal consacre même « 63 pages à la bataille perdue des sondages ». « Sarkozy a organisé un plébiscite chaque jour » y écrit la candidate, citée par Buisson, qui y voit un bel hommage. À la même époque, « j’ai des contacts étroits avec Jean-Luc Mélenchon qui partage mes analyses et mes convergences ». Buisson révèle devant une salle médusée le « courant de sympathie » entre lui, le royaliste venu de l’extrême droite et l’actuel leader de la France Insoumise. « Mélenchon s’apprête à quitter le Parti socialiste, il m’appelle souvent, c’est mon informateur au sein du PS. Il me dit de faire attention, au sein de son parti, il faut abattre Buisson ». Un ange passe dans la salle d’audience.

Toujours déroulant sa leçon de sciences politiques, le professeur Buisson poursuit sur les « missions du conseiller ». La première est « de viser le bien commun ». La deuxième « l’art de gérer les symboles ». Là encore, il se propose de donner deux exemples. « Quand éclate l’affaire Kerviel, le président de la Société générale, un ancien du cabinet Juppé, dit qu’il n’était au courant de rien ». Buisson prévient Sarkozy : « il n’est pas possible que tu n’interviennes pas, les Français ne veulent plus que les élites fuient leurs responsabilités… » Le président, sur le sujet Kerviel, suivra le conseil. « Deuxième exemple », poursuit Buisson, quand Obama vient en France pour célébrer l’anniversaire du Débarquement. Il est question d’une intervention du président français « devant un pupitre américain ». « J’ai dit à Nicolas Sarkozy, tu ne peux pas t’exprimer devant un pupitre avec un aigle américain, les Français ne te le pardonneront pas ». Le président Blanchet écarquille les yeux : « mais il ne pouvait pas comprendre cela tout seul ? » Buisson tourne autour du pot. Il insiste sur « les symboles », sa façon de voir, « différente ». « La doxa médiatique, c’est la boussole qui indique le sud », dit-il, jamais avare d’une pique en direction des journalistes « non-amis ».

« Je n’aimais pas la représentation que Nicolas Sarkozy donnait du président avec son épouse, ce spectacle avec Carla Bruni »

« Y avait-il des choses que vous vous interdisiez ? » questionne le juge Blanchet. Buisson commence par répondre qu’il préférerait « ne pas porter d’appréciation critique » contre Nicolas Sarkozy, mais admet « avoir une conception du président de la République différente ». Un instant, le cours de Sciences Po promet de sortir un peu des sentiers battus de la théorie si Benjamin Blanchet pousse un peu sa question. Il n’a pas besoin d’insister, Buisson poursuit de lui-même : « Je n’aimais pas la représentation que Nicolas Sarkozy donnait du président avec son épouse, ce spectacle avec Carla Bruni ». Il cite Sacha Guitry, « un homme heureux, cela se déteste ». Il conseille au chef de l’État de se « montrer au travail », pas en vacances. « Un président doit être dans le service, pas dans la jouissance » …

Et le dossier judiciaire dans tout ça ? Buisson y vient. Dès juin 2007, il obtient de l’Élysée un contrat, (« Vois ça avec Guéant », lui a lancé Sarkozy) que le PNF la semaine dernière a qualifié de « torchon ».  Toute la défense Buisson est dans cette phrase : « Ce contrat qu‘on me reproche aujourd’hui était une première dans l’histoire de la Ve République ! C’était une rupture avec un passé malsain ».

« Si j’avais écouté Nicolas Sarkozy (…) ce n’est pas un million et demi qu’aurait payé l’Élysée, mais 3 ou 4 millions »

Concernant ses « tarifs », curieusement découpés en deux, 10 000 euros de conseils mensuels, et un million et demi par an pour des sondages, Buisson se défend d’avoir poussé à la roue. « Si j’avais écouté Nicolas Sarkozy, qui ne terminait quasiment jamais une de nos conversations du soir par la phrase, « tu devrais faire un sondage là-dessus », ce n’est pas un million et demi qu’aurait payé l’Élysée, mais 3 ou 4 millions ». Il insiste là-dessus : « j’ai été un frein à la dépense ! J’ai fait économiser de l’argent à l’Élysée ». Son autre leitmotiv est d’avoir « cassé le monopole qu’avait l’Ipsos » sur la présidence, depuis « 25 ans ». « Avec moi, six instituts ont pu travailler avec l’Élysée », se félicite Buisson.

« JE NE SUIS PAS UN PRÉDATEUR »

Reste à comprendre, après le passage de la Cour des comptes, (« autorisée pour la première fois à contrôler la présidence de la République sous Nicolas Sarkozy ») pourquoi « l’Élysée tangue » sur son contrat. Patrick Buisson, en 2009, change de société, signe un nouveau contrat avec la présidence, et décide finalement d’arrêter les sondages. Mais il dément les « surfacturations » de sondage qui lui sont reprochées. « J’ai refusé à cette époque d’aligner mes prestations sur celles de Pierre Giacometti, qui gagnait six fois plus que moi », dit-il. À la barre, Buisson continue de ne pas comprendre pourquoi à l’Élysée, « personne ne lui a jamais rien dit sur l’illégalité de ses contrats en regard du code des marchés publics ». « Il aurait fallu passer un appel d’offres, présidence cherche politologue de droite proche de Nicolas Sarkozy ! Mais cela n’avait pas de sens ! » ironise-t-il. Buisson raille aussi les présidences suivantes, restant selon lui, toujours hors des clous des appels d’offres. Il cite « le coiffeur de Hollande, ou le piscinier de Macron à Brégançon ou sa maquilleuse… »

Buisson le martèle, s’il avait voulu « faire de l’argent », il aurait accepté les demandes de « 14 ministres » de Nicolas Sarkozy dont il égrène les noms à la barre. « Je n’étais pas dans une logique commerciale », insiste-t-il. Son fils, Georges, avec lequel il est brouillé, a toujours dit de lui qu’il était un homme d’argent, mais Patrick Buisson s’en défend longuement : « ce sont les propos d’un homme en colère, d’un enfant malheureux qui a tué le père à 35 ans… La politique est une redoutable broyeuse d’homme, s’excuse-t-il presque. Mais je ne suis pas un prédateur ». Et puis à l’entendre, « le président Sarkozy voulait un homme à lui, qui ne travaille que pour lui ». A-t-il évoqué toute cette « intendance » avec le chef de l’État ? « Pas une seconde », affirme Buisson. Il le répète comme un mantra : « avant moi, il n’y avait jamais eu de contrat de sondage, je suis une première sous la Ve République. Et celui qui rentre dans les clous, est aujourd’hui celui sur lequel il faut tirer ! »

Fin du salto arrière. Convaincra-t-il les magistrats ? Première réponse avec les réquisitions du PNF, prévues le 8 novembre. Deuxième avec le jugement de la 32e chambre.

Publié le 26/10/2021 à 11:36  Par Laurent Valdiguié  www.marianne.net

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