Cédric Kahn: «Une élite parisienne était pro Goldman»

ENTRETIEN – Rencontre avec le réalisateur du Procès Goldman, portrait captivant du militant d’extrême gauche accusé de meurtre dans les années 1970 et d’une France fracturée.

Cédric Kahn: «J'ai du mal avec le star-system. Il y a plein de stars qui sont de très bons acteurs et très sympathiques. Mais je pense que j'ai fait des films plus intéressants sans stars.»

Cédric Kahn Domine Jerome / Domine Jerome/ABACA
Dans Le Procès Goldman, présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes à Cannes, Cédric Kahn met en scène le deuxième procès, en 1976, du militant d’extrême gauche Pierre Goldman, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont l’un a entraîné la mort de deux pharmaciennes. Avec ce huis clos passionnant, tableau d’une France fracturée qui résonne avec celle de 2023, le réalisateur confirme qu’il n’est jamais là où on l’attend. Making of, son film suivant (sortie en janvier 2024), tourné avant Le Procès Goldman, est encore un contre-pied parfait. Une comédie sur un tournage de film avec Denis Podalydès en alter ego du cinéaste et Jonathan Cohen en star égocentrique. Le film a eu les honneurs de la dernière Mostra de Venise. Enfin, la Cinémathèque française présente une rétrospective du cinéaste jusqu’au 5 octobre. Un vrai festival de Kahn.

LE FIGARO – Vous avez découvert Pierre Goldman à travers son livre, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France (Seuil), écrit en prison avant le procès en appel, dans lequel il clame son innocence.

Cédric KAHN – Oui, j’avais une trentaine d’années. Ce que j’ai ressenti à la lecture est peut-être le cœur du film. C’est la langue qui m’a frappé. Et son esprit. Original, transgressif, iconoclaste. C’est ce qui me plaît le plus dans sa personnalité. Il est toujours sur un fil.

Votre judéité est-elle un point de connexion fort avec Pierre Goldman ?

Certainement mais pas de façon si consciente. Je suis aussi issu d’une famille de gauche juive ashkénaze, donc ça me touche. La question du judaïsme n’est pas centrale dans mon cinéma mais je l’aborde pour la première fois dans un film à travers Goldman.

Dans le dossier de presse, vous faites de Goldman l’incarnation du «juif maudit» et de son avocat Georges Kiejman celle du «juif résilient». Vous, vous êtes plutôt du genre résilient ?

Oui, je ne suis pas marqué au fer rouge par la tragédie. Goldman et Kiejman appartiennent à la génération de mes parents, ce sont des enfants de la Shoah. J’en connais plein. Ce n’est pas neutre d’être issu de cette histoire.

Les minutes du procès n’existent pas. Quelle est la source du scénario ?

Non, en tout cas on nous a dit que les minutes n’existaient pas. Notre source ? La presse, la presse, la presse. On a croisé le maximum d’articles et de verbatim. Avec Nathalie Hertzberg, on a reconstitué la chronologie du procès, en injectant quelques éléments du premier procès et du livre qui nous paraissaient intéressants. On a aussi rencontré Kiejman qui n’a pas répondu à toutes nos questions. Sur la culpabilité de Goldman notamment. On a pris des libertés pour faire le film le plus complet sur Pierre Goldman en 2023.

Un film de procès où la vérité se dérobe, où les preuves manquent et où ne reste que le langage… On pense à Anatomie d’une chute , la palme d’or de Justine Triet.

Il y a des points communs mais la démarche est complètement différente. Justine Triet met en scène un procès fictif au service d’une histoire. Mais oui, le procès est le lieu du langage quand il n’y a pas de preuves matérielles. L’altercation entre Garaud, l’avocat de la partie civile et Kiejman est authentique. J’exagère cette impression par des effets de mise en scène mais ce procès était assez bordélique.

On sort du film sans être convaincu de l’innocence ni de la culpabilité de Goldman…

Chacun est face à lui-même. Kiejman plaide le bénéfice du doute et insiste sur l’incohérence des témoignages mais pas sur leur sociologie. Goldman, lui, se sert du racisme des témoins pour les décrédibiliser. Il s’engouffre dans la brèche. Invectiver la police est la stratégie de Goldman, pas celle de Kiejman, qui est plus modéré.

La presse de l’époque prend fait et cause pour Goldman…

La presse de gauche, c’est une évidence. Mais même la presse de droite n’était pas anti-Goldman. La presse est plus parisienne que de droite ou de gauche. Une élite était pro Goldman. C’est mon sentiment à la lecture des articles.

Vous pointez un mépris de classe à l’égard des «petits blancs», familles de victime ou policiers.

Le film parle du pouvoir du langage. Les familles n’ont pas ce pouvoir. J’étais très attaché à montrer ça. Je dirai même que le rapport de classe est mon seul sujet. Je pense qu’il y a plus de différence entre un blanc pauvre et un blanc riche qu’entre un noir riche et un blanc riche. Le racisme masque une fracture sociale.

On aperçoit les «people» qui soutiennent Pierre Goldman: Simone Signoret, Régis Debray et son demi-frère, Jean-Jacques Goldman, alors jeune inconnu de 25 ans. Avez-vous lu le livre d’Ivan Jablonka consacré au chanteur ?

Non mais je pense qu’il fait le même antagonisme entre Pierre Goldman et Jean-Jacques Goldman que moi entre Pierre Goldman et Georges Kiejman. À partir de la même histoire, l’un fait une force, l’autre ne s’en sort pas. Goldman est un révolutionnaire de pacotille. Il reconnaît lui-même qu’il n’a pas fait grand-chose. C’est un hasard de calendrier incroyable que Jablonka sorte son livre en même temps que Le Procès Goldman. Je ne sais pas si Jean-Jacques Goldman a vu le film, je ne suis pas entré contact avec lui.

Il y a des tentations insurrectionnelles dans la société Cédric Kahn

Le Procès Goldman illustre le crépuscule des idéaux de l’extrême gauche révolutionnaire.

C’est une lecture possible. On va voir si les jeunes s’emparent du film. Chez la nouvelle génération, il y a une envie de ressusciter quelque chose de l’ordre de la radicalité. L’extrême-gauche, les alter, les écologistes… Il y a des tentations insurrectionnelles dans la société.

Pourquoi avoir choisi Arthur Harari, un cinéaste, pour interpréter George Kiejman?

J’ai pressenti qu’Arthur Harari allait être très bon en Kiejman. C’est la seule raison. Ça aurait été suicidaire de le prendre parce que j’aime bien ses films. Il avait un tout petit rôle dans La Bataille de Solférino et Sibyl de Justine Triet, je l’avais repéré. Il avait peur mais il a fait des essais et il s’est préparé pendant un an. Et, pour revenir à votre question sur Anatomie d’une chute, je n’avais aucune idée de ce qu’il était en train d’écrire avec Justine Triet.

Vous pensez qu’il a pu être influencé par Le Procès Goldman ?

Non, ils avaient déjà commencé à écrire le scénario. On n’en a pas discuté après. D’ailleurs, Anatomie d’une chute n’est pas un pur film de procès.

Vous-même, vous êtes un réalisateur devenu acteur sur le tard: Alyah , Tirez la langue mademoiselle , Un homme à la hauteur , L’Économie du couple , Cold War , Novembre …

Ça ouvre le champ des possibles. Mais je ne me prends pas pour un acteur. Par respect pour les gens qui ont choisi ce métier, qui se sont formés, ont connu des années d’apprentissage, je ne peux pas me considérer comme un acteur. J’ai eu beaucoup de chance qu’on me le propose et je le fais avec beaucoup de sérieux par amour pour le cinéma. Le premier à m’avoir fait confiance est Elie Wajeman pour Alyah en 2012. Je lui en suis très reconnaissant. Il a ouvert une porte émotionnelle dans ma vie.

Je me dis que les acteurs se prennent la tête pour pas grand-chose. Ce n’est pas si sorcier de jouer Cédric Kahn

Est-ce que vous êtes plus compréhensif avec les acteurs depuis ?

Je l’étais avant. Je me dis que les acteurs se prennent la tête pour pas grand-chose. Ce n’est pas si sorcier de jouer. Pas la peine d’en faire des caisses.

Une seule fois vous avez joué dans l’un de vos films, Fête de famille .

J’étais très inquiet avant de le faire. Je me disais que j’allais couler. C’était la première fois que je travaillais avec Catherine Deneuve. Mais sur le plateau, c’était jubilatoire de trouver des deux côtés de la caméra. J’ai envie de le refaire.

Vous auriez pu jouer le rôle du réalisateur dans Making of , la comédie sur un tournage de film que vous avez tournée avant Le Procès Goldman …

Le rôle m’était tout destiné. Je l’ai écrit pour moi mais c’était trop évident, trop égocentrique. Je trouvais intéressant de prendre un acteur qui décale le personnage. Et j’ai une passion pour Denis Podalydès. Il amène de la tendresse, de la drôlerie. Je ne voulais pas que ce soit un film règlement de compte.

De Making of au Procès Goldman , vous faites le grand écart.

Oui. Encore que, ce sont deux films sur la meute. Comment le groupe écrase l’individu, comment l’individu tente de résister… En termes de dispositif et de mise en scène, les deux films ne sont pas si différents. Il s’agit dans les deux cas d’une organisation du chaos. Le rapport de classe est aussi au cœur de Making of. Le personnage central est le petit gars de la cité qui rêve de faire du cinéma. Bien sûr, le ton est différent. J’adore la comédie. Si je pouvais finir ma vie en réalisateur de comédie, je serai très heureux.

Jonathan Cohen joue une star égocentrique alors qu’il tourne un film social. C’est une allusion à Guillaume Canet que vous avez dirigé dans Une vie meilleure ou à Mathieu Kassovitz dans Vie Sauvage ?

Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat. C’est un mix. Je vais les avoir ces questions, il faut que je me prépare… Je vais répondre : «Chacun y verra qui il veut».

Vous avez un rapport ambivalent au star-system. Encore la lutte des classes ?

Pas ambivalent. J’ai du mal avec le star-system. Il y a plein de stars qui sont de très bons acteurs et très sympathiques. J’ai eu la curiosité d’essayer mais c’est moins mon cinéma que d’autres. Je pense que j’ai fait des films plus intéressants sans stars. C’est compliqué de réinventer une star. Mes films sont plus personnels quand je vais chercher des gens qu’on ne connaît pas. Rien ne remplace pour moi le plaisir de découvrir un acteur. Comme Anthony Bajon dans La Prière (Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale en 2018, NDLR), Sophie Guillemin dans L’Ennui ou Stefano Cassetti dans Roberto Succo. Je pourrai faire une interview entière sur ce thème. Making of ne parle que de ça, du rapport du metteur en scène à la star dans un film.

La Cinémathèque française organise une rétrospective de vos films. Ça vous rend fier?

Je n’ai rien demandé. Là, je suis ambivalent. Ça me fait plaisir et ça me fait flipper. Je me dis «déjà ?». Je ne me sens pas si vieux ni établi.

14 films en 32 ans, on peut parler de carrière. Et d’une filmographie très éclectique (drame, film noir, conte fantastique, comédie…)

Je suis un chercheur d’or ! J’ai besoin de me sentir en mouvement, de continuer à explorer, de me planter.

Quelle est votre place dans le cinéma français ?

Je n’appartiens pas à l’establishment et je ne suis pas non plus hors système. Je suis très bien accepté, les acteurs ont envie de tourner avec moi… Je ne saurais pas trop comment me définir. Électron libre? Ce n’est pas à moi de le dire mais ça me plairait bien.

Au cœur de votre cinéma, on trouve la figure récurrente d’un homme obsessionnel et tourmenté. Pas très juif résilient ?

C’est vrai. Je dois chercher mon double maléfique. Il y a sans doute en moi deux juifs, le résilient et le maudit ! Merci Docteur. Combien je vous dois ?

JForum avec Etienne Sorin  www.lefigaro.fr

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Asher Cohen

Merci à Jforum pour avoir remis cette affaire dans l’actualité. L’affaire Goldman est importante pour nous les Juifs et riche d’enseignements.

Si l’on avait trouvé la moindre preuve objective de culpabilité de Goldman dans les meurtres de la pharmacie du BD Richard Lenoir, la Justice française aurait condamné à mort sans hésitation ce  »sale youpin » et envoyé à l’échafaud. Or il n’y avait aucune preuve objective, et cela montre combien le premier jugement de 1974, qui l’avait condamné à la réclusion à perpétuité, et donc tous les policiers et magistrats ayant participé à ce jugement, étaient des antijuifs enragés. La France des années 70 n’avait pas changé par rapport à la France de 1941 qui avait condamné arbitrairement, à la prison à vie, l’enjuivé Jean Zay, pour prétendue désertion dans l’affaire du Massilia, ou le Juif Léon Blum pour la défaite de 1940.

Je revois les manifestations de 1976, hurlant dans les rues des villes françaises  »libérez Goldman’. Le libérer n’a servi à rien puisqu’il a été rapidement abattu, en pleine rue et en plein jour, à Paris, par un commando de 3 hommes qui n’ont jamais été inquiétés. Vive la police et la Justice française ! Col Israël arevim ze-la-ze, tout Israël est responsable l’un pour l’autre. La communauté juive de France s’était mobilisée pour faire rejuger le Juif Goldman, mais les Juifs n’ont pas vengé son assassinat, comme Golda Leur avait fait venger l’assassinat de nos athlètes pour Munich 1972.

Des dizaines de livres ont été écrits pour prétendre que Goldman était coupable, mais aucun n’a jamais apporté de preuves objectives de sa culpabilité, et aucun ne démontre les causes réelles de son assassinat.

Ensuite, il paraît capital de noter combien Goldman ne se définissait pas comme un français de religion israélite, mais plutôt comme un Juif polonais né en France. Il ne revendiquait pas les droits d’un français, mais les droits d’un Juif polonais, né en France de parents probablement apatrides durant la guerre. La Justice française l’avait, en 1974, chassé de la communauté politique française, mais non du Peuple Juif, et donc il n’avait pas perdu son rôle dans le Monde. Incarcéré à vie, Goldman s’était replacé dans la position du Juif apatride, dans laquelle s’étaient probablement trouvés ses parents durant la guerre. Je le comprends d’autant mieux que j’ai moi-même subi les antijuifs de France qui émettaient des certificats psychiatriques de complaisance pour essayer de m’intimider, me calomnier, me diffamer, m’exclure de l’internat alors que j’étais très performant à mon travail, et bien sûr m’écraser et chercher à me casser socialement. L’on m’excluait ainsi en tant que sale youpin, de la communauté nationale française, et bien sûr les coupables antijuifs ne seront jamais punis.

Tout cela, c’est la France antijuive, avec une police et une justice antijuives, et dans laquelle, nous les Juifs, n’avons rien à y faire, alors que le Monde est immense.

Au sens d’Edmund Burke, les droits que nous pouvons revendiquer sont les droits d’un Juif, et naissent  » au cœur de la Nation Juive ». L’État Juif nous reconnaît clairement ces droits nationaux. A la Libération, les survivants des camps d’extermination, les détenus des camps de concentration et d’internement, et même les apatrides, brandissaient le drapeau portant le Magen David, insistant sur leur nationalité juive, cet ultime vestige de leur citoyenneté perdue, leur dernier lien existant et reconnu par l’Humanité. Seul le passé avec son héritage héréditaire attestait qu’ils continuaient à faire partie du Monde civilisé. Aussi s’étaient-ils accrochés désespérément à leur nationalité juive réelle, dès qu’ils avaient perdu les droits et la protection que leur avaient conférés les nationalités des pays européens où ils avaient vécu.

Il faut replacer l’affaire Goldman dans le contexte de l’époque. En 1976, nous n’étions qu’à 31 ans de la Libération de 1945, et les gens de 40-50 ans d’alors avaient parfaitement vécu l’époque vichyste. De Gaulle était parti du pouvoir depuis 7 ans. Pompidou avait en 1971 amnistié les collabos tueurs de Juifs, comme Paul Touvier, pour  »rétablir la paix civile ». L’antisémitisme était clairement exprimé publiquement après la victoire israélienne de 1967, et encore plus après octobre 1973. La France était gouvernée par un Giscard d’Estaing qui dès sa présidence, n’a pas hésité à faire interdire le film de Max Ophuls,  » le chagrin et la pitié » dans lequel Mendès France révélait le pétainisme des giscards. On avait construit le mythe d’un Giscard d’Estaing patriote, entré en libérateur à Paris, en 1944.

Son premier ministre était Raymond Barre, professeur d’économie à la Sorbonne qui n’a jamais rien découvert de rare. Il critiquait la théorie des jeux publiée en 1944 par les Juifs Von Neumann et Morgenstern, et sur laquelle même le français Jean Tirole a rebondi pour obtenir son prix Nobel. Barre réclamait une politique de rigueur économique, tout en chauffant son compte en Suisse sur le dos des pigeons qui se levaient tôt le matin pour produire de la valeur ajoutée, le triomphe de l’hypocrisie catholique. En 1976, les trente glorieuses c’était fini. Le cap du million de chômeurs était déjà largement dépassé, et l’on voyait aux portes des ANPE, d’immenses files d’attente de  »demandeurs d’emploi’ venant pointer et mendier pour aller produire de la valeur ajoutée dans les entreprises, afin de financer les comptes en Suisse de Raymond Barre et de la médicaillerie merdeuse. Au chômage des esclaves potentiels, s’ajoutait en prime une inflation galopante et durable, qui grevait la consommation des ménages et que le grand économiste Barre ne savait pas juguler, tandis que l’autre grand économiste, Giscard, prétendait donner des cours d’économie aux français, cherchant à leur apprendre ce qu’il ne savait pas lui-même, une performance.

Voilà brièvement l’état de la France antijuive au moment où se déroulait l’affaire Goldman. Les Juifs restant vivre dans ce pays étaient vraiment des ratés et des pigeons.