Boycott de restaurants parce que « nous sommes juifs »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE Un impact de balle dans la vitre du restaurant Falafel Yoni, rue Saint-Viateur

Une liste de restaurants montréalais « à boycotter » en raison de leurs « liens avec Israël » circule depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux. Face aux propos haineux et aux appels à la violence qui se multiplient à l’encontre des restaurateurs et, plus généralement, de la communauté juive, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes tire la sonnette d’alarme.

Chloé Bourquin

« Tous les restaurants sur cette liste sont de petits restaurateurs, des entreprises familiales. Ce ne sont pas de grandes chaînes de restauration. Et la seule chose que nous ayons en commun, c’est que nous sommes juifs », lance Louise*, propriétaire de l’un des restaurants montréalais visés par un appel au boycottage lancé sur les réseaux sociaux, qui a préféré garder l’anonymat par crainte de représailles.

« L’antisémitisme ne devrait pas être toléré, comme toute autre forme de haine envers un groupe de personnes. Mais aujourd’hui, ça l’est. Et c’est terrifiant », confie-t-elle.

La liste, qui a été largement diffusée et cumule des milliers de mentions « J’aime » sur les réseaux sociaux, détaille les « liens » que ces restaurants auraient avec Israël, et qui justifieraient un boycottage.

Une pizzéria est visée uniquement parce qu’elle suivrait « un influenceur israélien » sur les réseaux sociaux, un autre restaurant simplement parce que son propriétaire a la nationalité israélienne. D’autres auraient mis un « plat israélien » sur leur menu – des recettes qui auraient été « volées à la Palestine ». « Quiconque soutient un sioniste ou fait affaire avec lui sera exposé », peut-on lire.

« Je n’ai pas de réseaux sociaux, je n’ai jamais fait aucun commentaire politique, ni personnellement ni avec mes restaurants. C’est vraiment contre ma façon de faire et de penser: ce sont des restaurants, pas des plateformes politiques », affirme Yoni Amir, propriétaire de plusieurs des restaurants qui figurent sur cette liste et lui-même d’origine israélienne.

« C’est vraiment n’importe quoi. Ils veulent juste nous faire du mal pour rien », lâche Simon*, un autre propriétaire.

Le groupe à l’origine de la liste, que nous n’identifions pas à la demande des restaurateurs pour ne pas en faciliter la diffusion, n’avait pas répondu à la demande d’entrevue de La Presse au moment de publier.

De la haine au passage à l’acte ?

Sous ces publications diffusées sur les réseaux sociaux, les propos haineux et les appels à la violence se multiplient. Plusieurs propriétaires ont également raconté avoir reçu des vagues de messages et de votes négatifs. « On a eu des commentaires disant qu’on encourage les territoires occupés, qu’on appuie tel ou tel camp… raconte Simon. Ce n’est vraiment pas évident. »

Le 19 juin, Yoni Amir a trouvé des impacts de projectiles dans la vitrine de l’un de ses restaurants. Un événement qui aurait, selon lui, un lien avec cet appel au boycottage.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE La vitrine du restaurant Falafel Yoni, marquée par trois impacts de balles

Il explique avoir été contacté par les médias au cours des derniers mois en raison de cette liste, mais qu’il avait décliné leurs demandes d’entrevue, par peur d’attirer encore plus l’attention sur lui. Mais le 19 juin, « ça a vraiment été comme franchir une ligne rouge », lâche-t-il.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) poursuit son enquête pour déterminer si ces impacts de projectiles étaient un acte haineux. « La motivation réelle est toujours indéterminée. L’enquête suit son cours », a indiqué Véronique Dubuc, agente relationniste médias du SPVM.

Un boycott antisémite ?

Pour Julien Corona, directeur associé aux communications et aux relations avec les médias du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, le caractère « antisémite » de cet appel au boycottage ne fait aucun doute.

« Ce genre de liste intimide les gens, les forçant à se cacher. Ça ne peut qu’inciter des loups solitaires à agir de manière violente. Ce n’est pas acceptable, surtout à notre époque, dans une ville censée être pacifique. »

Son caractère haineux est cependant difficile à prouver, explique-t-il.

[Les auteurs de cette liste] se disent antisionistes [mais] c’est une façon détournée pour dire antisémites. Ils utilisent cette sémantique pour se protéger, mais on sait très bien l’intention qu’il y a derrière.

Julien Corona, directeur associé aux communications et aux relations avec les médias du Centre consultatif des relations juives et israéliennes

De façon plus globale, il note une recrudescence des propos et des actes antisémites perpétrés à l’encontre de la communauté juive, dans le monde, mais également au Québec. « Il faut que les politiciens posent des actions décisives. Nous avons déjà demandé à la mairesse d’agir vraiment de manière plus forte contre l’antisémitisme », explique-t-il.

Interrogé à ce sujet, le cabinet de Valérie Plante a, quant à lui, affirmé être « choqué d’apprendre que certaines entreprises auraient reçu des messages haineux ».

« L’intimidation et l’antisémitisme n’ont pas leur place dans notre métropole », a-t-il ajouté. « Nous devons tous dénoncer ce type d’actions. Le droit de militer pour une cause est fondamental, mais il ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des individus. »

Les trois restaurateurs à qui La Presse a parlé ont soutenu que leurs employés et eux-mêmes ne craignaient pas pour leur sécurité en se rendant à leur travail. « Je n’ai pas peur, mais je suis triste, nous confie Louise. C’est une période difficile pour les Juifs du monde entier, de voir cette montée de l’antisémitisme, de voir partout des crimes commis contre des innocents. »

*Prénom fictif pour protéger l’identité de l’intervenant, qui craint des représailles.

Jforum.fr avec www.lapresse.ca

Une croix gammée dessinée avec des pierres, au cimetière juif Kehal Israel de Montréal, fin juin 2024. (Crédit : Jeremy Levy @jerlevi / X)Une croix gammée dessinée avec des pierres, au cimetière juif Kehal Israel de Montréal, fin juin 2024. (Crédit : Jeremy Levy @jerlevi / X)

Des vandales ont profané le plus ancien bâtiment de la synagogue de la province de Québec avec des croix gammées nazies, en mars 2023 (Crédit : B’nai Brith Canada via la JTA)

 

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KIGEM

N EST CE PAS LA FAUTE D UN GOUVERNEMENT DE LAISSER PROSPÉRER L ANTISEMITISME EN DÉTOURNANT SES YEUX?
UNE GUERRE PEUT ÊTRE GAGNÉE SI ON Y MET LES INGRÉDIENTS.