Margelidon Philippe-Marie, De quelques vertus oubliées: Religion, chasteté, pénitence. Le Cerf, 2023.

Philippe-Marie Margelidon - De quelques vertus oubliées : religion, chasteté, pénitence

Nous avons affaire à un riche volume sur des notions présentées par Thomas d’Aquin (1225-1274) dans sa Somme théologique. Et on commence évidemment par une analyse historique serrée du terme religion. Mais ce n’est pas le seul, il y a de nombreux thèmes qui s’y rapportent. J’avoue que ma très légère érudition dans ce domaine précis ne fait pas de moi le meilleur recenseur d’un ouvrage aussi important.

Mais une lecture la plus appliquée possible m’a permis de discerner quelques rapprochements entre les mêmes notions théologiques traitées en milieu juif. Toute âme religieuse tient à rendre hommage à Dieu et à lui rendre culte de la façon la plus parfaite dont les humains sont capables. Le terme religion recouvre donc une diversité d’actes, d’attitudes et de croyances ; et c’est par le culte que les religions se distinguent les unes des autres.

Cette idée de culte a aussi joué un certain rôle dans la philosophie juive du Moyen Âge, et notamment dans une œuvre majeure dont le titre abrégé est Le kuzari de Juda Halévi (1075-1141). Il s’agit dans cette œuvre d’un néoplatonicien juif, adversaire de la philosophie quoique doté d’une solide culture dans ce domaine, de prendre publiquement la défense et l’illustration d’une religion méprisée (fi nasr al-din al- dalil), le judaïsme… Un roi des Chasares est visité chaque nuit par la divinité qui lui communique le message mystérieux suivant : tes intentions sont bonnes et acceptables mais tes actes ne le sont pas… Les actes correspondent chez l’Aquinate au culte proprement dit, rendu à Dieu. Dans ce cas précis, le but recherché par le penseur juif est de légitimer le corpus juridico-légal de la Bible hébraïque, les fameuses mitswot, dont le roi des Chasares ignore tout. Le monarque adresse ses meilleures pensées et ses actes les plus recommandables à Dieu mais cela n’aboutit pas à la bonne adresse, si j’ose dire.

Assurément, ce culte est tout autre dans le christianisme thomiste ; et l’auteur de ce livre consacre de longs développements à ce sujet. On réalise alors que des termes comme foi, sainteté, culte et religion ont plus d’un sens. Cette polysémie a été longtemps ignorée.

Les chapitres suivants traitent de la dévotion, de la révérence et de l’adoration. Sans oublier la prière. Je m’arrête un instant sur le thème de la prière car c’est ce qui confère à la recherche du Créateur son caractère le plus sacré. Dans et par la prière, dans sa forme la plus étendue ou condensée dans une oraison jaculatoire, l’orant adresse à son Dieu ses vœux les plus intimes de paix et de bonheur, sans oublier la rémission de ses péchés. La prière contient un processus de purification, une sorte d’imitatio Dei permettant à l’homme des transcender sa nature charnelle et d’épancher son âme devant Dieu.

Dans le judaïsme rabbinique on rencontre les mêmes idées, sauf que le terme hébraïque tefilla, infinitif le-hitpallél, généralement rendu par prier et prière, signife quelque chose de différent : soumettre son cas à Dieu, plaider devant Lui pour le dépassement de notre nature peccamineuse. Assurément, il existe aussi des demandes, des pétitions privées. Par exemple, demander le rétablissement d’un proche malade, le repos de l’âme d’un défunt proche, la libération d’un prisonnier, etc… La prière en tant que telle dépasse donc le cercle étroit de la satisfaction de pétitions individuelles.

Le domaine de la prière est aussi celui où spéculation philosophique et envolée mystique se séparent. Il existe dans le judaïsme et le christianisme et même en islam, une mystique de la prière, notamment dans la kabbale lourianique. Une philosophie de la prière, certes, existe, mais n’a pas de fortes traces dans les missels ou les livres de prière. Encore une remarque sur la notion de prière ou de liturgie dans le judaïsme : Ismar Elbogen, grand liturgiste allemand, auteur de Der jüdische Gottesdienst… qui fait autorité en la matière recourt au terme allemand signifiant le service divin, notion proche de ce que dit saint Thomas. Ce n’est pas le fruit d’un pur hasard ; cela recoupe aussi la notion déjà mentionnée de culte. Pour conclure sur ce point, la tefila ressemble à une comparution devant Dieu qui doit nous juger. C’est, sans conteste, l’élément dominant des Psaumes. Le roi David, grand pécheur devant l’Éternel, implore le pardon divin pour toutes les fautes commises.

Examinons encore un bref passage de ce livre qui est d’une érudition écrasante : La religion n’est pas d’abord un fait social et culturel, elle est une vertu morale, une forme de justice. Il y a une forme de justice à rendre à Dieu, elle s’appelle religion. C’est une forme d’éthique qui gît au fondement même du phénomène religieux. Mais le problème avec l’éthique, c’est qu’elle a presque entièrement phagocyté le contenu pratique de la religion, à savoir ce qu’on nomme le culte. Ce cas de figure vaut principalement pour le protestantisme allemand du XIXe siècle. Hermann Cohen lui-même en fut affecté, lui qui a placé l’éthique au sommet de ses préoccupations philosophiques. Rien d’étonnant à cela quand on sait qu’il fut le fondateur de l’école néo-kantienne de Marbourg.

Pour finir ce bref compte-rendu d’un livre si riche et si bien documenté, je mentionnerai deux vertus théologales, la pénitence et la repentance. Deux notions assez proches mais qu’il ne faut pas confondre entièrement. Assurément, l’éclairage ici est exclusivement chrétien mais on découvre certains recoupements avec la théologie juive.

La pénitence est une vertu presque exclusivement catholique et témoigne d’une certaine conception de l’existence et de le vie sur terre. On trouve là-derrière cette notion de péché originel, de la culpabilité du genre humain. La repentance est une notion moins métaphysique et permet sous certaines conditions, la rémission des péchés.

Le présent compte-rendu ne prétend pas avoir épuisé la grande richesse de ce livre. Je ne livre ici qu’un simple saupoudrage portant sur grand texte…

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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