Liban : après l’échec de « son » candidat à la présidentielle, la France « en quête d’un plan B »

Alors que l’impasse politique reste totale au pays du Cèdre, où le Parlement a échoué pour la douzième fois en 7 mois à élire un président de la République, Jean-Yves Le Drian, le nouvel envoyé spécial d’Emmanuel Macron pour le Liban, sera en déplacement à Beyrouth la semaine prochaine. Une visite très attendue, la diplomatie française s’étant impliquée pour résoudre la crise, quitte à appuyer dans un premier temps un candidat soutenu … par le Hezbollah pro-iranien. 

Après le nouvel échec du Parlement libanais, mercredi 14 juin, à élire un président de la République, le Liban demeure sans président depuis plus de sept mois. Confronté à une crise économique et financière aiguë, le pays risque une vacance prolongée à la tête de l’État.

Les 128 députés, réunis pour une 12e séance électorale, devaient départager Sleiman Frangié, un ancien ministre de l’Intérieur proche de Damas et soutenu par le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite, et Jihad Azour, un ancien ministre des Finances qui était jusqu’à la fin de la semaine dernière directeur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au FMI. Ce dernier a obtenu 59 voix, contre 51 voix pour son concurrent.

Un deuxième tour n’a pu ensuite être organisé faute du quorum requis, les députés du Hezbollah et ses alliés ayant quitté le Parlement pour empêcher sa tenue.

C’est dans ce contexte que l’ex-ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian, nommé il y a quelques jours « envoyé personnel pour le Liban » d’Emmanuel Macron, doit se rendre à Beyrouth la semaine prochaine. L’Élysée a indiqué qu’il aura pour mission de « faciliter » une solution « consensuelle et efficace » pour sortir le pays du Cèdre de la crise dans laquelle il est plongé depuis la fin du mandat de six ans de Michel Aoun, le 31 octobre 2022.

Paris veut mettre fin à la vacance

La France est la puissance occidentale la plus investie dans la recherche d’une solution à la crise politique au Liban, le seul pays au Moyen-Orient où elle conserve une certaine influence.

Le 6 février, des représentants de la France, des États-Unis, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et du Qatar, réunis dans la capitale française, se sont penchés sur la situation au Liban et notamment sur l’élection du futur chef de l’État, une étape-clé pour sortir le pays de l’impasse politique et lui faire bénéficier de l’aide internationale – et ainsi ressusciter son économie.

« La France conserve une influence politique, économique, sociale et culturelle considérable au Liban, et reste l’un des rares pays qui parle à toutes les parties, puisque contrairement aux États-Unis, elle a des canaux qui sont ouverts et n’hésite pas à dialoguer avec le Hezbollah, rappelle Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut de sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth. De plus, les Français entretiennent depuis quelques années de solides relations avec les pétromonarchies du Golfe, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar qui ont une influence sur le Liban, ce qui lui offre plusieurs leviers pour agir sur la scène libanaise ».

Vendredi, Emmanuel Macron et le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, qui a entamé une visite officielle en France, ont demandé de « mettre rapidement un terme à la vacance politique » au Liban, a indiqué vendredi soir l’Élysée après une rencontre entre les deux dirigeants.

Le président français entend pousser les Saoudiens « à engager la conversation avec les Iraniens et avec d’autres pour créer des conditions favorables à l’élection d’un président » libanais, avait indiqué la présidence avant l’arrivée de MBS en France.

Riyad qui conserve une certaine influence au Liban – mais bien moins importante que celle de l’Iran via le Hezbollah –, a annoncé, début avril à Pékin, la reprise de ses relations avec Téhéran après des années de tensions.

Un candidat soutenu par le Hezbollah … et la France

Si officiellement, Paris affirme ne soutenir aucun candidat, la diplomatie française a opté pour une stratégie qui a consisté à œuvrer, en coulisses, en faveur de l’élection de Sleiman Frangié.

Un soutien au candidat du Hezbollah consenti au nom de la realpolitik « contre certaines concessions et quelques garanties afin de débloquer la crise politique », confie Karim Émile Bitar, également directeur de recherche à l’Iris.

« Précisément, la France s’est placée dans une perspective de realpolitik très classique, avec une approche très pragmatique après avoir pris acte du fait que la classe politique libanaise était encore extraordinairement résiliente et du fait que le Hezbollah, étant toujours le parti le plus puissant, n’était pas enclin à renoncer à faire élire son candidat à la présidence, à défaut de quoi il pourrait bloquer le processus électoral le temps qu’il faudra », souligne-t-il.

Donc la stratégie française a consisté, selon Karim Émile Bitar, « à élargir les paramètres de la négociation et à vouloir arracher, en contrepartie de l’élection de Sleiman Frangié, des concessions comme la nomination d’un Premier ministre proche du courant réformateur qui serait adoubé par l’Arabie saoudite ».

Il était un temps question d’obtenir la nomination de l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies Nawaf Salam, « un juge au sein de la Cour internationale de justice proche des milieux de la contestation ».

« Ce n’est pas tout, ajoute-t-il, la France avait également demandé des garanties à Sleiman Frangié en vertu desquelles il ne ferait pas obstacle à la nomination d’un gouverneur de la Banque centrale qui ne serait pas du même camp politique que lui, ni aux principales réformes structurelles que le gouvernement devait mettre en place, notamment l’accord avec le FMI ».

Sleiman Frangié, chef du mouvement Marada, lors d'une conférence de presse, à Bkerké, au Liban, le 30 octobre 2021.

Sleiman Frangié, chef du mouvement Marada, lors d’une conférence de presse, à Bkerké, au Liban, le 30 octobre 2021. © Mohamed Azakir, Reuters (archives)

Selon Karim Émile Bitar, cette démarche a été assez mal perçue par une partie des amis de la France au Liban qui ont vu, au-delà de la realpolitik, « un certain cynisme » et qui ont refusé que Paris ne vienne avaliser le candidat du Hezbollah pro-iranien, un parti classé comme organisation terroriste par Washington, les pays du Golfe et la Ligue arabe, qui domine de facto, grâce à son arsenal militaire, la scène politique locale.

C’est en partie ce qui a conduit les principaux partis chrétiens, malgré leur grande rivalité, à se mettre d’accord pour proposer une alternative avec la candidature de Jihad Azour. Même le député Michel Moawad, jusqu’alors candidat de l’opposition, a annoncé son retrait au profit de l’ancien ministre des Finances.

« Nous avons été en désaccord avec la stratégie française qui a essayé, au nom du pragmatisme, de soutenir un candidat nommé par le Hezbollah en échange de la désignation d’un Premier ministre réformiste, libéral et souverainiste, explique Michel Moawad. C’est une formule qui ne fonctionne pas, pis, il s’agit d’une erreur fondamentale car elle revenait à accepter une mainmise totale du Hezbollah sur le Liban, et nous l’avons dit à nos partenaires français ».

Et de poursuivre : « Nous nous sommes opposés à une telle perspective, car nous savons ce que valent les garanties données par le Hezbollah, qui ne valent que pour ceux qui les croient. Pour moi, les garanties doivent être données par un président qui puisse représenter l’État et les Libanais, et non par une personne qui représente le Hezbollah et ses intérêts à l’intérieur de l’État ».

L’ancien candidat à la présidentielle estime que la France « a été prise à un jeu, sans aucun doute de bonne foi », qui ne répond pas « à l’aspiration des Libanais ».

Ce n’est pas la première fois que la France tente en vain de démêler les fils inextricables de la politique libanaise avec des dirigeants plus enclins à faire durer les traditionnels marchandages politiciens qu’à chercher à résoudre les crises qui plombe un pays en faillite financière.

Après les explosions au port de Beyrouth, en août 2020, Emmanuel Macron s’est rendu à deux reprises au Liban pour proposer l’aide de la France et exhorter des dirigeants libanais incapables de mener des réformes à mettre leurs divisions de côté pour sortir le pays du gouffre.

« Après ces explosions, Emmanuel Macron en avait fait une affaire personnelle et avait œuvré pour la formation d’un gouvernement de mission composé de réformateurs indépendants pour sortir le pays de la crise, après avoir secoué la classe politique locale, rappelle Karim Émile Bitar. Mais Paris s’est heurtée aux mensonges, à la rouerie et la roublardise des leaders traditionnels libanais qui l’ont abreuvé de fausses promesses : alors que le président français n’était même pas encore remonté dans l’avion du retour, ces derniers essayaient déjà de lui savonner la planche et de faire échouer son initiative ».

Le Drian attendu à Beyrouth avec une nouvelle approche française

Un échec qui a sans doute poussé la France à avancer, sur le dossier de la présidentielle, une équation teintée de realpolitik. Sauf que le scénario de la séance électorale du 14 juin au Parlement a démontré l’impossibilité de la candidature de Sleiman Frangié. Son échec était devenu inéluctable après la levée de boucliers des leaders de la communauté maronite – à laquelle est traditionnellement réservé le poste de président –, pour une fois réunis derrière le même étendard.

Pour Karim Émile Bitar, la nomination de Jean-Yves Le Drian « pourrait indiquer que la France est en train de changer son fusil d’épaule, de chercher un plan B, après avoir réalisé que sa première tentative était vouée à l’échec ».

Selon lui, l’ancien ministre des Affaires étrangères français « connaît la situation libanaise depuis longtemps et avait tenu par le passé un langage de vérité aux leaders libanais, un langage assez dur contre la classe politique ».

En mai 2021, lors d’un déplacement à Beyrouth, Jean-Yves Le Drian, ulcéré par l’immobilisme de la classe politique qui tardait à former un gouvernement, l’avait menacée de sanctions. « Je constate que les acteurs politiques n’ont pas encore assumé leurs responsabilités et ne se sont pas mis à travailler sérieusement au redressement du pays. […] S’ils n’agissent pas dès aujourd’hui, ils devront assumer les conséquences de cet échec », avait-il lancé devant des journalistes.

Alors que l’impasse est totale à Beyrouth – le président du Parlement et allié du Hezbollah Nabih Berri n’a pas fixé de prochaine date pour une nouvelle cession électorale –, l’arrivée prochaine de « l’envoyé personnel [d’Emmanuel Macron] pour le Liban » peut permettre de relancer le processus. 

De son côté, Michel Moawad espère le voir arriver avec une nouvelle approche française.

« Jean-Yves Le Drian est un homme politique d’expérience qui connaît bien le Liban et les complexités de la région. Sa nomination est donc porteuse d’espoirs, juge-t-il. Nous attendons de sa visite une évolution, pour ne pas dire un changement, de la position française de sorte qu’elle puisse prendre en compte nos appréhensions et l’échec de la logique qui disait que l’élection du candidat du Hezbollah était la seule formule possible, puisque le nombre de votes récolté par notre candidat Jihad Azour a prouvé le contraire ».

Le député de Zghorta (nord), fils de l’ancien président René Moawad, assassiné le 22 novembre 1989, compte toujours sur l’aide de la France pour sortir le pays du Cèdre de la paralysie politique. En plus de la vacance à la présidence, le Liban est dirigé par un gouvernement démissionnaire depuis les élections législatives de mai 2022, qui ne peut qu’expédier les affaires courantes.

« Il y a entre le Liban et la France une relation historique que plus personne n’ignore, et nous tenons à ce que ce pays continue à jouer un rôle positif, surtout dans une période où il y a un désintéressement global pour la cause libanaise, confie-t-il. Même si nous comptons d’abord sur nous-mêmes pour nous en sortir, nous sommes pour que la France essaie d’aider le Liban. Car malheureusement, je pense qu’il faut qu’il y ait un soutien international pour qu’on puisse parvenir à débloquer la présidentielle prise en otage par le Hezbollah et son parrain iranien ». 

C’est peu dire que la mission de Jean-Yves Le Drian s’annonce compliquée, voire impossible. Contacté par France 24, le Quai d’Orsay n’a pas répondu aux questions sur le programme de l’ancien chef de la diplomatie française, et sur l’hypothèse d’une rencontre avec des responsables du Hezbollah.

« La France reste un acteur incontournable au Liban. Si Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian souhaitent véritablement s’investir dans un règlement de la crise, ils ont encore pas mal d’atouts dans leur jeu, conclut Karim Émile Bitar. Encore faut-il qu’ils trouvent le juste équilibre entre les exigences de la realpolitik et les revendications légitimes du peuple libanais de voir un renouvellement de sa classe politique qui s’accroche depuis des décennies au pouvoir et qui a conduit le pays à la ruine ».

Bellamy: Soutenir le candidat du Hezbollah, c’est confondre solution et problème.

Alors que Jean-Yves Le Drian, envoyé du président français Emmanuel Macron pour le Liban, entame la semaine prochaine une nouvelle initiative à Beyrouth en vue de débloquer l’échéance présidentielle, François-Xavier Bellamy, député français au Parlement européen (LR/PPE) a accusé le Hezbollah de bloquer l’élection d’un président libanais. Il a en outre déclaré, lors d’une intervention mercredi dernier devant le Parlement européen que  » soutenir aujourd’hui le candidat du Hezbollah, c’est évidemment confondre la solution et le problème « .

On rappelle que la France a œuvré pendant les mois en faveur de l’élection du chef des Marada, Sleiman Frangié, soutenu par le mouvement Amal et le Hezbollah, à la présidence de la République.

JForum.fr AFP

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Merci

Le Hezbollah dont les membres saluent comme les nazis , la France aurait elle oubliée son passé sous la botte nazie durant 5 ans ? Mais c’est n’importe quoi de soutenir ce pays qui mérite ce qui lui arrive !ou Le Liban doit être nettoyé de ses islamistes par les français tout simplement ou alors incapable qu’ils se mêlent pas du Liban ….

Rosa SAHSAN

Quelle honte! quelle honte!!!
ROSA

Moses

La France de Macron, loin de protéger les chrétiens libanais, ce qui était son rôle, s’est soumise au pire islamisme