Ces Russes qui fuient un « nouveau rideau de fer ».

L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe pousse des dizaines de milliers de Russes à fuir précipitamment leur pays de plus en plus isolé sur la scène internationale. Beaucoup d’entre eux craignent une crise économique imminente ainsi qu’un régime de plus en plus autoritaire.

Natalia (son prénom a été modifié), 33 ans, savait qu’elle devait rapidement fuir la Russie quand elle a appris l’invasion de l’Ukraine, le 24 février. “J’étais en vacances en Arménie, je suis rentrée à Moscou chercher ma fille afin de l’envoyer au Canada chez son père et moi, je suis partie en Turquie”, a-t-elle raconté à TV5Monde.

L’exode d’environ 2,7 millions d’Ukrainiens de leur pays déchiré par la guerre préoccupe au plus haut point la communauté internationale. Mais en Russie, le glissement vers de nouvelles profondeurs de l’autoritarisme a provoqué également une fuite de Russes à l’étranger. Mais difficile de donner un chiffre exact en l’absence de données fournies par les autorités russes. Selon Jean Radvanyi, géographe et professeur émérite à l’INALCO, on n’a pas assez de recul sur cette nouvelle vague d’immigration. “Il ne faut pas trop spéculer sur ce sujet, car on ne sait pas si beaucoup partent pour de bon. Pour beaucoup, ce n’est qu’une migration temporaire en attendant de voir comment les choses évoluent,” explique-t-il.

Les prix pour les vols sont exorbitants, ainsi, il n’y a quasiment plus de vols directs, ce sont seulement ceux qui ont les moyens qui arrivent à partir.

Ces dernières semaines, des dizaines de milliers de Russes ont fui vers la Turquie selon des médias anglo-saxons, préoccupés par la possibilité d’une fermeture des frontières russes, la répression grandissante ou encore par le spectre d’une crise économique imminente. Des milliers d’autres, ceux qui comme Natalia n’ont pas de visa européen, se sont envolés vers des pays comme l’Arménie, la Géorgie, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Kazakhstan, ou même Israël pour ceux qui le peuvent.

Des possibilités limitées

Mais quitter la Russie n’est pas si simple. Beaucoup de pays ont fermé l’espace aérien aux vols en direction et en provenance de la Russie et de plus en plus de pays occidentaux limitent le nombre de visas octroyés aux citoyens russes.

“Les prix pour les vols sont exorbitants, car il n’y a quasiment plus de vols directs, ce sont seulement ceux qui ont les moyens qui arrivent à partir. Malheureusement, ce n’est pas mon cas. Je ne sais pas quoi faire,” explique Arthur (son prénom a été modifié), 57 ans, habitant de Moscou qui travaille dans l’informatique. Comme beaucoup de Russes, il craint les conséquences de l’invasion de l’Ukraine.

Le rouble a immédiatement perdu de sa valeur et des dizaines de milliers de personnes comme Arthur et Natalia ont perdu leur emploi du jour au lendemain après que de nombreuses entreprises étrangères ont quitté la Russie. Des longues files d’attente se sont formées devant les distributeurs automatiques de billets, les habitants tentent désespérément de retirer des dollars américains afin de sauver ce qui restait de leurs économies.

“On sent déjà l’inflation ici. Même si les prix des biens de première nécessité restent stables pour le moment, tout le reste est en train d’exploser. Les prix ont augmenté de 50% sur les produits importés ainsi que dans les restaurants et cafés”, raconte Arthur.

Personnellement, je ne veux pas être du mauvais côté de ce nouveau rideau de fer – Ivan, écrivain et scénariste

Une répression politique de plus en plus importante

Mis à part la situation économique, d’autres craignent le régime répressif du président russe, Vladimir Poutine. C’est le cas d’Ivan, 33 ans, écrivain et scénariste qui songe lui aussi à rejoindre ses proches déjà partis à l’étranger. “Mon travail est très intellectuel et j’ai peur que je ne puisse plus m’exprimer librement et faire mon métier. Ce n’est pas que les sanctions qui nous impactent, mais on sent la vis qui se resserre dans tous les aspects de notre vie. Personnellement, je ne veux pas être du mauvais côté de ce nouveau rideau de fer,” explique-t-il.

Depuis le début de l’invasion, les autorités russes ont orchestré une répression brutale contre les manifestants anti-guerre, plus de 14.000 personnes ont été arrêtées en Russie, selon le défenseur des droits OVD-Info.

Les rumeurs d’une possible instauration de la loi martiale par le président Vladimir Poutine en mars ont aussi semé la panique parmi la population. La loi martiale voudrait dire une mobilisation militaire obligatoire des hommes, la fermeture des frontières et diverses restrictions sur la vie et les activités quotidiennes.

“J’ai tout laissé en Russie, mais je ne peux pas rentrer. J’ai peur qu’avec une fermeture des frontières, je ne puisse plus revoir ma fille au Canada, » raconte Natalia depuis Istanbul, “En plus, l’étau se resserre aux frontières. J’ai des amis qui ont été arrêtés à la frontière. Les autorités russes ont confisqué leurs téléphones et ordinateurs en leur disant qu’ils pourraient les récupérer quand ils retourneront en Russie. C’est un moyen d’intimidation.” 

Une adaptation pas toujours facile à l’étranger

Quitter la Russie est déjà un défi pour des milliers de citoyens. Mais beaucoup se heurtent aux difficultés d’une nouvelle vie quand ils arrivent dans un pays étranger. “C’est la principale raison pour laquelle je n’ai pas encore acheté un billet d’avion. Ceux qui partent ont beaucoup de mal à trouver un nouveau travail. Les prix des logements ont explosé en Arménie et en Géorgie, par exemple, où les habitants deviennent de plus en plus hostiles envers nous”, raconte Ivan.

En Géorgie, 20.000 Russes sont arrivés depuis le début de la guerre, selon les chiffres du gouvernement. Mais beaucoup d’exilés ont été confrontés à un environnement hostile. La Banque de Géorgie a exigé que les nouveaux clients russes signent une déclaration dénonçant l’invasion russe, une demande problématique pour tous ceux qui espèrent un jour retourner en Russie.

Natalia explique qu’elle a dû quitter l’Arménie où elle s’est rendue en premier, pour rejoindre la Turquie à cause du coût du logement ainsi que du taux de chômage trop élevé. Aujourd’hui, cette maman voudrait partir en Israël où elle pense qu’il y aura plus de possibilités d’emploi. “Je sais que je ne vais pas pouvoir travailler dans mon domaine, je vais sûrement devoir accepter un travail manuel, comme femme de ménage, par exemple. Je ne retrouverai jamais le confort que j’avais en Russie”, a expliqué Natalia, la gorge nouée. Espère-t-elle retourner un jour en Russie ? “J’attends de voir comment évolue la situation. Mais tout le monde là-bas me dit de ne pas revenir car la situation ne fait qu’empirer.”

JForum et TV5 Monde

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