Le résultat des dernières élections législatives turques ont causé la surprise. Tous les observateurs s’attendaient à une victoire écrasante du parti islamique du président Recep Tayyp Erdogan. Tous pronostiquaient une victoire tellement large qu’elle devait permettre une transformation constitutionnelle du régime, sa présidentialisation.
 
Il n’en fut rien. Le parti islamique a perdu la majorité absolue. Au-delà de ce résultat deux faits méritent d’être relevés : la poussée du parti kurde ; l’élection de 96 femmes sur 550 députés, un record malgré la dégradation de la situation des femmes depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir.
 
Pour comprendre ce résultat, les raisons avancées par les commentateurs sont nombreuses : usure du pouvoir, sursaut d’une population encore marquée par le kémalisme, développement de la corruption, personnalisation excessive du régime, mégalomanie d’Erdogan…Et la cause économique ?
 
La croissance économique a fait de la Turquie la première puissance économique du proche orient devant l’Arabie saoudite et l’Iran. Elle lui a permis d’intégrer le G20, le groupe des CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie et Afrique du sud), pays en voie de devenir émergents. Elle est 15ème puissance économique avec pour objectif de devenir la 10ème.
 
Mais de la même façon que cette affirmation économique a conforté le pouvoir islamique, le retournement conjoncturel constitue probablement une des explications de la défaite.
 
Après une croissance exceptionnelle de 9,1 % en 2010, et de 8,5 % en 2011, le taux de croissance a connu un très net infléchissement : 2,1 % en 2012, 4,0 % en 2013, 2,9 % en 2014.
 
La vigueur économique s’est accompagnée d’une forte inflation, de 8 à 9 % depuis 2010. Tant que la croissance était au rendez-vous, elle était acceptable. Mais avec le ralentissement et l’augmentation du chômage à 10,7 %, les turcs ont enregistré une baisse de leur pouvoir d’achat, et ce malgré une forte résilience de la société dû à un très large secteur informel. Il représenterait près de la moitié du PIB et concernerait 40% des forces de travail, ainsi que des dizaines de milliers d’entreprises.
 
Le succès turc reposait sur :
–   Un marché de 78 millions de consommateurs
–  Un taux d’investissement élevé avec 20 % du PIB en 2010 qui sont principalement le fait de grandes familles turques, avec une faible contribution des investissements directs étrangers à moins de 1% du PIB
– Une ouverture sur l’extérieur avec des échanges pour près de la moitié du PIB
– Une activité basée sur quelques secteurs : l’industrie manufacturière, et notamment l’industrie textile, l’hôtellerie et la restauration, le BTP, les transports, les services, les télécommunications
 
Cette croissance a mis en lumière les faiblesses de l’économie turque :
–  Avec un indice de développement humain à 0,699 en 2011, la Turquie est classée 92ème
– L’accentuation des disparités entre les catégories sociales et les régions a créé une Turquie à deux vitesses entre les grandes villes de l’ouest et l’est, et plus particulièrement le sud-est qui a un chômage de 50 % et un revenu annuel par habitant de 500 $ contre une moyenne nationale de plus de 10 000 $
– La structure de la production de la Turquie est caractérisée par une trop grande importance des services, près des deux tiers de la richesse nationale, contre un quart pour l’industrie, et moins d’un dixième pour l’agriculture
– Une recherche et développement insuffisante avec seulement 0,73 % du PIB, ce qui se traduit par des exportations de produits de haute technologie représentant moins de 2 % des exportations de biens manufacturés
 
Pour relancer l’économie, les autorités utilisent une dette publique limitée à la moitié du PIB pour engager une politique de grands travaux, avec la construction de milliers de kilomètres de voie de chemin de fer, de trois centrales nucléaires, de grands ports, du plus grand aéroport du monde avec le 3ème aéroport d’Istanbul, le tunnel sous le Bosphore, le gazoduc Trans anatolien entre l’Azerbaïdjan et l’Europe…
 
Dans le même temps, les autorités turques veulent obtenir de la banque centrale un assouplissement de la politique, et les critiques fusent contre le gouverneur. Les autorités prennent un risque élevé car l’effet collatéral pourrait être une envolée de l’inflation et un effondrement de la livre turque qui vient d’atteindre son plus bas record face au dollar, après avoir perdu 50 % de sa valeur au cours des deux dernières années.
 
Cette posture est d’autant plus risquée que la principale vulnérabilité de la Turquie est sa dépendance aux capitaux et financements étrangers. Les autorités n’ont pas intérêt à accentuer cette faiblesse à un moment où tous les pays émergents craignent la remontée des taux américains.
 
Après 13 ans de pouvoir quasiment sans partage, Erdogan devra constituer un gouvernement de coalition. S’ouvre pour la Turquie une période d’incertitudes politiques qui va avoir des effets économiques. Et il sera probablement difficile d’engager l’indispensable modernisation de l’économie turque pour avoir une meilleure attractivité des investissements directs étrangers et accroître le contenu technologique de ses produits.
 
 
 
220px-Dov_Zerah,_Directeur_général_de_l'AFD
 
Dov ZERAH
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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