Scénario à la libanaise pour l’Égypte ?

CHRONIQUE. Le modèle économique égyptien contemporain se distingue par un gigantisme sans précédent des dépenses en comparaison des ressources et des revenus du pays, et ce depuis l’accession au pouvoir en Egypte du Président Abdel Fattah Al-Sissi.

Le Président Abdel Fattah Al-Sissi et son gouvernement agissent, en fait, comme si l’Égypte bénéficiait d’une rente pétrolière ou gazière à l’instar des Pétromonarchies, ou comme si son pays était un géant de l’industrie et de l’exportation à l’instar de la Chine. Alors que l’Égypte ne peut hélas se targuer ni de l’une ni de l’autre puisque son déficit commercial est de l’ordre des 45 milliards de dollars par an.

Sous l’impulsion de Sissi, l’Égypte se comporte néanmoins comme une mendiante aux appétits pharaoniques, tout en exerçant une intense pression sur ses propres citoyens à la (dé)faveur de réductions d’aides sociales, d’une taxation défavorable aux moins bien lotis et d’un renchérissement de la tarification de ce qu’il est indécent de continuer à qualifier de «services publics», dans un contexte où 30 millions d’Égyptiens vivent à présent avec 3 dollars par jour. Pour mémoire, le PIB du pays par habitant est 140e sur 213.

Dès lors, du haut de sa dette ayant quadruplé en 10 ans et qui se monte actuellement à 375 milliards de dollars, l’Égypte dépend intégralement pour sa survie de financements étrangers, et le règlement des seuls intérêts sur sa dette vis-à-vis des créanciers nationaux et internationaux consume plus du tiers de son budget annuel. Tandis que l’Égypte est largement dépendante de l’extérieur pour subvenir aux besoins alimentaires essentiels de sa population puisqu’elle importe plus de blé que n’importe quel autre pays au monde et qu’elle ne produit que le tiers de ce que mangent ses citoyens. Les goûts de luxe et de l’extrême opulence de son Président se déclinent, au même moment, en une nouvelle capitale administrative dans le désert à la périphérie du Caire ayant coûté près de 60 milliards de dollars, en un réacteur nucléaire à 25 milliards pour un pays en excédent électrique, en des travaux à 8 milliards permettant l’augmentation de la capacité du canal de Suez alors que les revenus y sont stagnants depuis plusieurs années, enfin en une boulimie en bonne et due forme d’acquisitions d’armements faisant de l’Égypte le cinquième plus gros acheteur au monde dans ce domaine.

Le syndrome libanais

L’Égypte est-elle condamnée à sombrer dans un scénario catastrophe à la libanaise, elle qui – exactement comme le pays du cèdre – est dépendante d’influx de dollars «frais» pour nourrir sa population, et alors que les investissements étrangers en faveur du pays ont été divisés par deux en 40 ans ?

Souvenons-nous du Ponzi libanais ayant fonctionné et fait illusion tant qu’il était financé par les saoudiens, et de l’infâme «ingénierie financière» entreprise par la Banque du Liban pour maquiller ses comptes et qui semble inspirer les autorités monétaires égyptiennes. Leur inventivité permet aujourd’hui à l’État en Égypte de ne déclarer que la moitié de sa dette envers l’étranger, le reste étant réparti entre la banque centrale et les entreprises publiques qui doivent le reste. C’est simple : le pays est le second plus important débiteur du FMI après l’Argentine, sachant qu’il est également redevable à la Banque Mondiale, à la Banque africaine de Développement et même à l’Allemagne de sommes faramineuses. Il est, pourtant, une différence fondamentale entre le Liban et l’Égypte en cela que cette dernière revêt une importance stratégique primordiale pour les États-Unis, pour la Russie, mais également et de plus en plus pour la Chine.

Le Président Al-Sissi monnaie du reste avec maestria ces attributs géopolitiques en démontrant un fort activisme diplomatique régional, en achetant pour faire bonne figure des armes à tout le monde, et même en menaçant l’Europe de lâcher sur elle les 6 millions de réfugiés abrités par son pays. Du haut de ses 6 millions d’habitants, on le constate, le Liban ne pèse donc pas lourd en regard d’une nation comme l’Égypte qui en compte plus de 100. Une liquéfaction libanaise serait en effet sans commune mesure avec les conséquences – pour la région et pour le monde – d’un effondrement de l’Égypte, considérée avec raison comme une «too big to fail».

Michel Santi www.latribune.fr

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».

Le Président Abdel Fattah Al-Sissi. (Crédits : Amr Dalsh)

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