Le lithium, une alternative au pétrole dans l’UE?

L’UE dispose-t-elle de suffisamment de lithium pour remplacer le pétrole?

L’UE veut réduire sa consommation d’énergies fossiles. Ce choix lui permettrait aussi de mettre fin à sa dépendance aux hydrocarbures russes. Mais ces engagements vont nécessiter un changement des habitudes de consommation et aussi beaucoup de lithium. Toutefois, ce métal est peu présent dans le sol européen. Le danger n’est-il pas de troquer une dépendance contre une autre ?

Les dirigeants européens font du Pacte vert le cœur de leur action climatique. Ce texte fixe pour objectif de parvenir en 2050 à la neutralité carbone. Pour y parvenir l’UE entend réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030, de ramener à zéro les émissions des nouvelles voitures d’ici à 2035 et de porter à 40 % la part des énergies renouvelables.

Le lithium est de plus en plus utilisé dans les batteries des appareils électroniques, des smartphones, des téléviseurs. Il est aussi employé pour stocker l’énergie produite par les panneaux solaires et les éoliennes et dans les voitures électriques.

Petr David Josek/APUn échantillon de lithiumPetr David Josek/AP

Selon la Banque mondiale, la production de graphite, de lithium et de cobalt devrait augmenter de près de 500 % d’ici à 2050 pour atteindre les objectifs climatiques. Les responsables européens estiment que pour atteindre son calendrier climatique, l’Union européenne aura besoin de 18 fois plus de lithium d’ici 2030 et de près de 60 fois plus d’ici 2050.

Autonomie stratégique

Pourtant, l’Europe ne possède qu’une seule mine de lithium, au Portugal. La très grande majorité de ses besoins est actuellement couverte par les importations. Environ 87 % du lithium non raffiné dans l’UE provient d’Australie.

La Chine est un acteur incontournable du marché. Le pays dispose d’environ 7 % des réserves mondiales. 13 % du lithium extrait en 2019 venait de mines chinoises. Toutefois plus de la moitié du métal extrait cette année-là a été transformé dans le pays. Enfin plus de 70% des batteries lithium-ion qui sont arrivées sur le marché l’année dernière ont été produites en Chine.

L’UE est consciente de cette dépendance. Elle a donc ajouté en 2020 le lithium à sa liste des matières premières critiques.

Le Portugal lance un appel d’offres pour la prospection de lithium

Un porte-parole de la Commission précise à Euronews que « la production et le raffinage du lithium sont fortement concentrés dans une poignée de pays étrangers, ce qui augmente notre vulnérabilité à divers risques d’approvisionnement. »

Il ajoute que « compte tenu de la pertinence économique et technologique de cette ressource, ainsi que des dépendances extérieures qu’elle génère, il est de notre responsabilité de veiller à ce que l’économie européenne puisse bénéficier d’un approvisionnement durable et résilient en lithium. »

« Même si l’UE continuera à cultiver ses partenariats internationaux, un important potentiel d’extraction de lithium existe à l’intérieur de nos frontières et son exploitation pourrait créer des milliers d’emplois. Le développement d’opérations locales d’extraction et de traitement du lithium permettra non seulement d’améliorer notre autonomie stratégique et de renforcer notre économie, mais aussi de mieux surveiller et contenir les impacts environnementaux des industries minières, qui sont beaucoup plus difficiles à contrôler au-delà des frontières de l’UE », précise le porte-parole.

Il existe actuellement 10 projets de lithium potentiellement viables dans l’UE : au Portugal, en Espagne, en Allemagne,en République tchèque, en Finlande et en Autriche.

Pour Rene Kleijn, professeur associé à l’Institut des sciences environnementales de l’université de Leyde, « si toutes ces usines devenaient opérationnelles, cela suffirait probablement à notre propre approvisionnement. »

Mais des interrogations subsistent

Il ne sera pas forcément facile de faire décoller cette ressource. Un projet de mine de lithium de 2,2 milliards d’euros en Serbie a été abandonné au début de l’année après une forte opposition locale pour des raisons environnementales. L’exploitation d’une mine de lithium au Portugal suscite également une vive contestation.

Le processus d’extraction du lithium se fait principalement de deux manières. La première consiste à extraire le métal de la roche dure par une méthode traditionnelle à ciel ouvert. La seconde consiste à pomper d’énormes quantités d’eau souterraine à la surface pour extraire le lithium qui se forme lorsque l’eau s’évapore.

Ces deux méthodes sont considérées comme perturbatrices pour le paysage et la population locale avec un risque potentiel de pollution de l’air et de l’eau.

Mais il existe une troisième méthode d’extraction, appelée « extraction directe du lithium ». Cette approche est mise en œuvre dans le cadre du projet possible en Allemagne. Elle s’appuie sur l’énergie géothermique pour permettre l’extraction du lithium.

De l’extraction à la production

L’exploitation minière n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Une fois extrait, le lithium doit être raffiné, les batteries fabriquées et finalement recyclées. En fait, c’est dans ce dernier cas que le lithium est particulièrement intéressant.

« L’une des principales sources de pollution en Europe et d’émissions de CO2 est le transport routier », explique Julia Poliscanova, responsable des véhicules et de l’e-mobilité pour l’ONG Transport & Environment.

« La meilleure façon de décarboner l’un des plus grands problèmes climatiques, c’est l’électrification, et pour cela, nous avons besoin de batteries. Et pour cela, nous avons besoin de lithium. « 

Nick Ut/APLe lithium est nécessaire pour les batteries des voitures électriquesNick Ut/AP

« Cependant, il est important de souligner que toute exploitation minière, toute extraction de matières premières, pétrole, nickel, lithium, gaz, a un impact. En ce qui concerne le lithium, l’impact par voiture est nettement moindre. Lorsque vous avez une voiture, vous brûlez 17 000 litres de pétrole pendant toute la durée d’utilisation de cette voiture », précise-t-elle.

« Pour une batterie, un véhicule électrique, il faut environ cinq ou six kilogrammes de lithium que l’on peut ensuite recycler et réutiliser à l’infini. Il suffit de l’introduire dans les premières batteries et, au bout d’un certain temps, la boucle peut être bouclée. L’impact du lithium est donc nettement inférieur à celui du pétrole. »

Les États-Unis et la Chine vont plus vite

Mais là encore, l’Europe est en retard sur l’ensemble de l’infrastructure de la chaîne d’approvisionnement.

La directive européenne sur les batteries de 2006 a été rédigée avant que les batteries au lithium ne prennent autant d’ampleur. Le texte ne fixe pas d’objectif pour le recyclage du métal. Aujourd’hui, presque aucun lithium n’est récupéré dans l’UE alors que les rendements de recyclage sont estimés à environ 95 % pour le cobalt et le nickel et à 80 % pour le cuivre.

« Nous aurions pu anticiper ce phénomène bien plus tôt. Par exemple, aux États-Unis, nous avons maintenant des politiques qui datent essentiellement de l’époque de la guerre froide et qui sont mises en œuvre par le président (Joe) Biden afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement pour les batteries et les véhicules électriques », explique Rene Kleijn.

Les « champs de lithium » d’Amérique du Sud loin d’être anodins

La loi sur la production de défense de Washington permet à la Maison Blanche d’exercer un contrôle sur les industries nationales en temps de crise. Elle a été utilisée par le président Donald Trump pour limiter les exportations de produits médicaux au début de la pandémie et par Joe Biden pour accélérer la vaccination.

« Il s’agit en fait d’une ingérence musclée de l’État dans les marchés pour s’assurer que les industries soient en mesure de survivre et qu’elles ne dépendent pas d’États autocratiques ou d’autres États dont vous ne voudriez peut-être pas être dépendants. Et ce n’est pas le genre de politiques pour lesquelles l’Europe est réputée », ajoute le professeur.

« Et je ne parle même pas de la Chine. Je veux dire, en Chine, cela est complètement géré par l’État. De grandes sociétés minières d’État chinoises participent à l’extraction de tous ces matériaux dans le monde entier, qu’il s’agisse du cobalt en Afrique ou du lithium en Australie. La plus grande société minière australienne de lithium, par exemple, appartient pour un quart à une société d’État chinoise. Vous pouvez donc voir comment le gouvernement chinois est également fortement impliqué dans la sécurisation des chaînes d’approvisionnement à l’étranger », a-t-il ajouté.

2030 et au-delà

Des investissements sont réalisés dans toute l’Europe pour la production de batteries afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger.

Environ 24 giga-usines de cellules de batteries lithium-ion devraient ouvrir dans l’UE entre 2021 et 2030. Tesla, par exemple, a ouvert le mois dernier une de ces immenses usines en Allemagne.

L’association des fabricants européens de batteries automobiles et industrielles estime que le marché européen des batteries devrait passer de 15 milliards d’euros en 2019 à 35 milliards d’euros en 2030. La valeur du marché mondial devrait augmenter de 90 milliards d’euros à 150 milliards d’euros.

Pourtant, même avec l’ouverture de toutes les mines potentielles d’ici 2025, « je ne vois pas comment l’Europe pourra atteindre la suffisance au cours de la décennie », constate Julia Poliscanova.

Toutefois, elle estime qu’après «  2030, en fonction de l’intelligence de notre politique de recyclage, l’Europe peut devenir autosuffisante ».

Par Alice Tidey  & Euronews
Le lithium est employé dans les batteries de voiture électrique   – Manu Fernandez

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