The Taiwan delegation in the annual parade in Jerusalem on September 24, 2013. Jerusalem parade take place every year in the holiday of Sukkot, with many delegations from Israel and abroad as they march through the streets of center Jerusalem and lots of spectators from around the country come to see it. Photo by Nati Shohat/Flash90
TAIPEI – Le ciel gris contraste au-dessus de l’arc-en-ciel qui illumine les participants aux célébrations de la Fête nationale de Taïwan, qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci.

Il est difficile d’imaginer l’extravagance des spectacles organisés devant la nouvelle présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, et les représentants de son gouvernement: des soldats torse nu aux côtés de danseuses traditionnelles, des véhicules blindés et des hélicoptères aux côtés de stars de baseball, un défilé des organismes de secours, un récital de chanteurs aborigènes, des poupées géantes, des groupes de pop, des bandes de batteurs et bien plus encore…

SAM YEH (AFP)

SAM YEH (AFP)
« Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise (c) durant les célébrations de la journée nationale devant le palais présidentiel à Taipei, le 10 octobre 2016 »

« La Chine avec un sourire », rapporte la correspondante de la radio belge VRT News Veerle De Vos. « Il semble que tout le monde s’amuse ici », ajoute la journaliste avec étonnement.

La Chine est un pays qu’elle connaît bien, et sur lequel elle fait de nombreux reportages depuis des années. Mais c’est la première fois qu’elle se rend à Taïwan. L’île lui a souri durant tout son séjour, comme à des dizaines d’autres journalistes venus du monde entier, invités à couvrir l’événement.*

Taïwan affiche un grand sourire malgré une situation internationale sinistre. Seuls les nuages omniprésents nous rappellent les lourdes préoccupations qui se cachent derrière ces célébrations colorées.

1. L’angle chinois

De l’autre côté du détroit de Taïwan, les Chinois observent avec attention la cérémonie à Taipei. Ils dévisagent la présidente Tsai, et contemplent une bannière rouge. Rouge vif. Aucun de ses prédécesseurs ayant gouverné l’île, baptisée par Pékin « la province révoltée », n’avait jamais parue aussi « révoltée ».

Elle dirige le parti démocrate progressiste DDP dont le but est de promouvoir l’indépendance de Taïwan. Qui plus est, c’est une femme…

Adar Primor

Adar Primor – « Taiwan célèbre sa fête nationale avec une parade de rue »

Un peu d’histoire s’impose: lors de la guerre civile de 1949, les nationalistes de Tchiang Kai-chek sont battus par les partisans de Mao Zedong. Après la guerre, deux républiques de Chine voient alors le jour: celle des « rouges » de Mao et la République de Chine établie à Taiwan, où le vaincu Tchiang Kai-chek s’est retiré.

Au lendemain de ce conflit, la plupart des pays reconnaissent Taïwan comme le seul gouvernement chinois légal.

Mais en octobre 1971, sur une décision de l’ONU, Taïwan, qui représentait la Chine, est écartée. Pékin vient prendre le siège, occupé jusqu’alors par Taipei, et la République populaire de Chine devient la « véritable Chine ».

Taïwan, qui a depuis connu un processus de démocratisation sans précédent et est considérée aujourd’hui comme « le pays le plus libre d’Asie », est toujours exclue de la scène internationale où la « force prime sur le droit », et où la realpolitik réduit à néant toute justice et morale; dans ce monde 170 nations gèrent des relations diplomatiques avec Pékin et seuls 22 pays – la plupart des micro-Etats des îles Caraïbes et de l’océan pacifique – reconnaissent officiellement Taipei (qui en retour, leur accorde une aide financière généreuse).

Adar Primor

Adar Primor « Célébrations du Jour de l’indépendance à Taïwan »

Depuis l’édification de « la République populaire de Chine », le contrôle sur Taïwan est devenu l’une des principales priorités de ses dirigeants : de Mao et Deng Xiaoping à Jiang Zemin et Hu G’intao, tous se sont fixés comme objectif d’unir les deux Républiques.

C’est maintenant au tour de Xi Jinping, et il doit faire face à une « femme révoltée ». Elle a beau être professeure de droit, diplômée de l’Université Cornell et de la London School of Economics, être une femme remarquable et être considérée comme l' »Angela Merkel asiatique », aux yeux des Chinois, la présidente Tsai Ing-wen est « instable », « émotive » et « extrémiste ».

Après son investiture en mai cette année, un journal chinois semi-gouvernemental écrit: « en tant que femme politique célibataire, elle ne répond à aucune obligation émotionnelle, ou familiale, et n’a aucune attache aux enfants ».

Et en quoi aurait péché l’insoumise? Depuis son élection, Tsai a refusé d’approuver le principe du « consensus de 1992″ : une formule magique diplomatique stipulant qu’il n’existe qu' »une seule Chine », que chaque partie est en droit d’interpréter à sa manière, tant que le différend n’est pas résolu. Pour Pékin, Tsai, qui réticente à reconnaître ce principe, a franchi une ligne rouge.

Devant à sa politique « irritante », la Chine a décidé de geler tout dialogue avec Taïwan, de bloquer le passage de millions de touristes chinois vers l’île, et de lui nuire dans les institutions internationales en empêchant sa participation à diverses réunions telle que la Conférence internationale sur la sécurité aérienne, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, et d’autres encore.

Les dégâts politiques et économiques que Pékin a infligés à Taïwan ces derniers mois sont énormes. Les drapeaux de Saint-Vincent agités fièrement dans tout Taipei en sont une triste preuve: Le Premier ministre de ce pays minuscule de 100.000 habitants était le seul chef d’Etat a participé aux célébrations de la Fête nationale de Taïwan. Il a bien entendu eu droit à tous les honneurs possibles, comme s’il était à la tête de l’Empire britannique.

2. L’angle américain

« Le 21ème siècle ne sera pas américain », avaient affirmé les analystes au début du millénaire. Beaucoup prétendent que ces prophéties ont été accomplies. La Chine a fait un bond en avant et les Etats-Unis se sont retirés. Ce sont les récentes tensions en mer de Chine méridionale qui l’illustre peut-être le plus clairement : des îles artificielles et les radars qui y ont été placés sont la preuve de la puissance que Pékin a exhibé au visage de ce qui est perçu aujourd’hui par beaucoup en Asie comme “l’épouvantail » Américain.

Les Taïwanais reconnaissent eux aussi la faiblesse américaine, « et ils en sont inquiets », selon un observateur local. Naturellement, le 8 novembre, Taïwan suivra de près les résultats des élections aux Etats-Unis, qui sont le fournisseur traditionnel de son parapluie sécuritaire. Le vainqueur déterminera la politique de la superpuissance, le niveau de son engagement pour la défense de son petit allié, ainsi que la conduite face à son grand rival chinois, qui cherche à imposer sa souveraineté sur l’île.

« Les États-Unis ont joué un rôle important au cours des dernières années et je suis convaincu que le vainqueur continuera à soutenir Taïwan et lui fournir des armes pour sa défense », a expliqué à i24news le vice-ministre taïwanais des Affaires chinoises Chiu Chui-Cheng.

Adar Primor

Adar Primor
« Joseph Wu, conseiller en matière de sécurité nationale de Taïwa: « Les différences entre les administrations démocrate et républicaine ne sont pas si importantes » »

Le conseiller en matière de sécurité nationale de Taïwan, Joseph Wu, qui fut autrefois représentant de son pays à Washington avait affirmé, lors d’une conversation que nous avions eu en 2012, qu’en fin de compte, « les différences entre les administrations démocrates et républicaines ne sont pas si importantes : avant son élection, Reagan avait promis d’établir des relations diplomatiques avec Taïwan et de geler celles qui unissent son pays avec la Chine, ce qu’il n’a évidemment pas fait. Bill Clinton était très populaire ici après son discours sur les ‘bouchers de Tiananmen’, mais il a dû lui aussi aligner sa politique. George W. Bush a signé avec nous le plus important contrat d’armement, mais quand le Premier ministre chinois est venu le voir aux Etats-Unis, il a fini par critiquer la politique de notre président Chen Shui-bian, au prétexte qu’il aurait été allé trop loin, selon lui, dans ses aspirations à l’indépendance. Et enfin, Obama qui était aussi très amical avec nous au début de son mandat, a commencé à rééquilibrer sa politique à partir de 2010. »

Finalement, et en d’autres termes, les Etats-Unis appliquent une politique hypocriteou realpolitik selon les appréciations comme la plupart des pays dans le monde.

 3. Les angles israéliens et palestiniens

Dans ce contexte, Israël ne fait bien sûr pas exception. A Jérusalem, on met en avant les « excellentes relations » avec Taïwan, les échanges commerciaux qui s’élèvent à 1,3 milliard USD, le développement des relations bilatérales, la hausse du tourisme et de nouveaux accords dans le domaine de l’éducation, de la culture et de l’agriculture, de l’économie et de la science.

La présidente Tsaï est considéré comme une « admiratrice d’Israël », qu’elle est venue visiter en 2013, avant son élection. On raconte qu’elle a également acquis vingt exemplaires du livre « Start-up Nation », et qu’elle les a distribués à ses assistants. Pourtant, dans toutes les discussions qui se sont tenues entre Israéliens et Taïwanais, un « éléphant » était dans la pièce. Cet éléphant s’appelle « Chine » bien sûr, et c’est lui qui dicte la nature des relations avec Taïwan.

Les liens entre Israël et la Chine se sont subitement renforcés : en mars dernier, la vice-Première ministre chinoise Liu Yandong s’est rendue en Israël. A cette occasion, les deux pays ont annoncé l’ouverture de négociations en vue de l’établissement d’une zone de libre-échange commune.

Parallèlement, toutes les tentatives de Taïwan d’élever le niveau de ses relations sont, dès le départ, vouées à l’échec au nom des sacro-saints « paramètres convenus » : pas de visites officielles, pas de négociations politiques approfondies, pas de drapeaux et pas d’exhibition de symboles des deux pays. Des relations « illusoires ».

Le vice-ministre taïwanais des Affaires étrangères François Chih-Chung Wu a indiqué à i24news qu’il comprenait parfaitement les liens entre Israël et la Chine. En bon diplomate aguerri, il est même allé jusqu’à les soutenir. Pourtant, il a estimé qu’il n’y a pas de raison au rejet international de Taïwan, comme il n’y a pas de raison pour qu’Israël ne renforce pas ses liens avec Taipei.

Adar Primor

Adar Primor
« Le vice-ministre taïwanais des Affaires étrangères Francois Chih-Chung Wu critique la realpolitik et souhaite un renforcement de relations avec Israël « 

« La communauté internationale agit souvent selon le principe de realpolitik, mais elle agit aussi souvent en ne tenant pas compte des réalités : des pays nient l’existence d’un autre pays qui existe (Taïwan) au nom du prétendu « réalisme ». C’est là une réalité déroutante. Sur 200 pays, nous sommes la 22ème économie mondiale en termes de PIB nominal. Notre économie est aussi importante que l’économie suédoise ou polonaise, et nous demandons à être traités en conséquence. Je demande à Israël de faire tout son possible pour renforcer ses liens avec Taïwan, en parallèle du développement de ses relations croissantes avec la Chine ».

La politique du « vide » ne peut tenir bien longtemps. Certains se demandent si, à l’avenir, Israël perdra la sympathie que lui accorde Taïwan. Alors que les Palestiniens accumulent les succès sur la scène internationale (comme à l’Unesco par exemple), certains, à Taipei, souhaite que le gouvernent s’inspire de Ramallah, et même qu’il s’en rapproche.

« Il extrêmement frustrant de se rendre compte que la communauté internationale ne trouve pas de façon innovante pour intégrer Taïwan dans l’arène mondiale », a récemment affirmé le politologue Vincent Wei-Cheng Wang dans le New York Times.

Adar Primor

Adar Primor
« Le côté récréatif de la parade de la fête nationale de Taïwan »

« Un compromis a été trouvé dans le passé, qui a permis aux deux Corées d’intégrer l’Organisation des Nations Unies, et en 2012, la communauté internationale a accordé aux Palestiniens le statut d’observateur », a-t-il fait remarquer.

De son côté, l’ancien ministre de la Défense Michael Tsai, qui conduit les négociations internationales pour que Taïwan intègre l’ONU, a déclaré que son pays doit « apprendre de la Palestine pour avancer à petit pas chaque année, jusqu’à ce que nous atteignons notre objectif ».

Un haut fonctionnaire taïwanais, qui a requis l’anonymat, est allé jusqu’à déclarer que « de la même manière que Taïwan mérite un État, les Palestiniens aussi méritent un Etat ».

Cependant, beaucoup ici considèrent encore que Taïwan est l' »Israël du Pacifique », ou encore le « David de l’Extrême-Orient » qui doit affronter le « Goliath chinois ».

Ces mêmes personnes voient Israël et Taïwan comme deux petits pays avec une démocratie vivante, qui partagent des valeurs communes, qui doivent gérer des problématiques existentielles de sécurité, qui sont exposés aux menaces d’un grand ennemi à l’extérieur et qui dépendent de la protection américaine.

Entre Pékin et Taipei, Israël devra manœuvrer afin de trouver le bon équilibre qui lui évitera de perdre des points face aux Palestiniens, qui eux sont en train d’engranger des succès et de gagner le titre de « Nouveau David du Moyen-Orient”.

Cet article est le dernier d’une série consacrée à l’Asie du Sud-Est.

*Adar Primor, directeur de la chaîne d’i24news en anglais, s’est rendu à Taipei, suite à l’invitation du gouvernement Taïwanais.

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aval31

Tout citoyen du monde qui n est pas pret a se battre pour Israel ou pour Taiwan est voue a finir comme un mouton.