Comment l’antisémitisme au parti travailliste a modifié les attitudes au sein de la communauté juive britannique

 

Par Manfred Gerstenfeld

 

Avec près de 60% de suffrages, Jeremy Corbyn a été élu Président du parti travailliste en septembre 2015[1]. Depuis lors, les expressions rapportées d’antisémitisme parmi un certain nombre de représentants élus du parti ont énormément modifié les attitudes publiques de nombreux Juifs Britanniques et de leurs dirigeants.

Corbyn est un sympahisant d’extrême-gauche des organisations terroristes génocidaires et antisémites du Hamas et du Hezbollah. Beaucoup au parti travailliste, le considèrent comme largement responsable de la défaite retentissante du parti, aux élections du 12 décembre. Corbyn a annoncé qu’il démissionnerait du poste de dirigeant du parti, dans un avenir proche. C’est une excellente occasion d’évaluer les changements d’attitude de la communauté juive britannique, au cours des quatre années passées. Traditionnellement, les dirigeants communautaires juifs préservaient un profil public plutôt bas. Sur les questions d’intérêt communautaire, les dirigeants approchaient directement les autorités afin d’obtenir leur appui.

Members of the Jewish community hold a protest against Britain’s opposition Labour party leader Jeremy Corbyn and anti-semitism in the Labour party, outside the British Houses of Parliament in central London on March 26, 2018. (Photo by Tolga AKMEN / AFP)

Selon d’anciens responsables du parti travailliste, qui ont traité les plaintes déposées pour dans le parti, l’antisémitisme a rarement constitué un sujet avant l’avènement de Corbyn au poste de leader[2]. Pourtant, des recherches ultérieures démontrent qu’on a relevé des remarques d’antisémitisme extrême sous le règne du prédécesseur de Corbyn, Ed Milibrand. Ceux-ci provenaient principalement de responsables musulmans[3].

Les premières plaintes pour antisémitisme travailliste après l’élection de Corbyn concernaient un petit regroupement au début de 2016 -le Club Travailliste de l’Université d’Oxford (OULC)[4] [5]. Il n’y a que les principales conclusions de cette enquête, par une paire non-juive du parti travailliste, la Baronne Royall, qui ont été publiées[6] [7] [8]. La totalité du rapport, d’abord dissimulé, a fait l’objet de fuites quelques mois plus tard, sans doute à l’initiative de la Baronne Royall[9].

Des informations supplémentaires sur l’antisémitisme au parti travailliste ont progressivement fait surface. Là-dessus, Corbyn a chargé l’experte non-Juive des droits de l’homme, Shami Chakrabarti, d’enquêter sur ce phénomène[10]. Son rapport, publié le 30 juin 2016, était rédigé de façon très médiocre. Elle a surtout fait la démonstration de sa totale ignorance de la nature de l’antisémitisme[11]. Peu de temps après, sur recommandation spéciale de Corbyn, celle-ci est devenue la Baronne Chakrabarti[12]. La date à laquelle cet anoblissement immérité lui a été promis, est demeurée floue.

La réaction du Bureau des Députés des Juifs Britanniques – la structure représentative de la communauté – à ce rapport bâclé est demeurée modérée[13]. Déjà, cependant, en mai 2016, le Grand Rabbin Ephraïm Mirvis déclarait que la crise qui submergeait le parti travailliste « avait soulevé le couvercle sur le fanatisme[14]« . Après la conférence de Corbyn sur le soi-disant rapport Chakrabarti, le 1er Juillet, Mirvis déclarait que le président du Parti avait provoqué « encore plus d’inquiétude, plutôt que réussi à retisser la confiance au sein de la communauté juive[15] « . L’ancien Grand Rabbin Lord Jonathan Sacks avait décrit les paroles de Corbyn prononcées en cette occasion : « une déshumanisation de premier ordre, une insulte inacceptable[16]« 

La plupart des premières attaques les plus virulentes contre l’antisémitisme du parti Travailliste provenaient de fortes individualités. David Collier a écrit qu’il était évident que la question de l’antisémitisme de Corbyn « allait bien au-delà de la condamnation de quelques conseillers et députés[17]« . David Hirsch fait partie de ces quelques personnalités qui se sont fermement exprimées contre Corbyn[18]. En septembre 2016, la petite organisation, Campagne Contre l’Antisémitisme (CCA), a déposé une plainte formelle contre Corbyn. Elle l’a accusé, ainsi que ses acolytes, d’entretenir une complicité de long terme avec les antisémites[19].

Certains députés travaillistes juifs ont aussi progressivement commencé à révéler l’antisémitisme régnant au sein du parti. La députée Ruth Smeeth a brusquement quitté la conférence de presse sur le soi-disant rapport Cakrabarti, après s’être fait insulter par un reporter[20]. Smeeth a affirmé que Corbyn n’avait pas daigné intervenir, alors que des injures antisémites lui étaient adressées juste en face de lui.

Ruth Smeeth, Margaret Hodge, Louise Ellman

Le Mouvement Travailliste Juif (JLM) a été établi en 1901. Il a été affilié au parti travailliste depuis environ 100 ans. A l’origine, quand l’antisémitisme du parti est sorti du bois, il a tenté de noyer le poisson dans l’eau. Au cours de ces dernières années, il est, finalement, devenu une force anti-Corbyn particulièrement tenace.

Au fil des années, beaucoup d’électeurs traditionnels juifs du parti travailliste l’ont déserté. En avril 2019, un sondage mené par le groupe de défense juif, le Conseil du Leadership Juif, a démontré que 87% des Juifs Britanniques pensaient que Corbyn était indiscutablement antisémite. Assez soudainement, au cours de ces dernières années, beaucoup de Juifs britanniques se sont exprimés pour dire qu’ils envisageaient sérieusement l’éventualité d’immigrer, pour peu que Corbyn soit élu premier ministre. L’enquête révélait que ce nombre s’élevait à 47%. Même si on met en doute le nombre exact de Juifs qui auraient réellement quitté le Royaume Uni en cas de victoire du parti travailliste, le simple fait de l’évoquer couramment était, en soi, une évolution radicale[21].

Une rencontre des dirigeants du Bureau des Députés et du Conseil dirigeant des Juifs de Grande-Bretagne avec Corbyn, en avril 2018, s’est conclue en disant que les propositions de Corbyn « ne satisfaisaient pas aux niveaux minimaux exigibles d’action[22]« . Quelques semaines plus tôt, ces deux organisations juives ont écrit dans une lettre ouverte : « Encore et encore, Jeremy Corbyn s’est solidarisé avec les pires antisémites plutôt qu’avec les Juifs ». Le 26 mars, le Bureau des Députés a organisé  une manifestation à l’extérieur du Parlement de Londres[23].

En juillet 2018, le Jewish Chronicle, le Jewish News et le Jewish Telegraph, tous pourtant rivaux, ont pris la mesure sans précédent de publier la même page d’accueil. Elle déclarait que cette mesure était motivée par la « menace existentielle contre la vie juive dans ce pays, qui poserait un gouvernement dirigé par Jérémy Corbyn »[24].

Plusieurs députés juifs ont payé le prix le plus lourd pour l’opposition juive contre Corbyn. Ruth Smeeth n’a pas été réélu lors des récentes élections parlementaires. Déjà lors de la conférence annuelle du parti travailliste, en septembre 2016, elle avait dû arriver avec un garde du corps, après avoir reçu 25.000 messages outrageants[25]. La députée Luciana Berger a reçu des milliers d’e-mails de haine dans la période d’avril 2016, dont certains la menaçaient de viol et de meurtre[26]. Plus tard, elle a quitté le parti travailliste et àété défaite par la suite, , en tant que candidate démocrate libérale au Parlement. Une troisième députée juive, Louisa Ellman, a quitté le parti en octobre 2019[27]. La seule députée juive restante au parti travailliste est Dame Margaret Hodge. En 2018, elle a trait »é Corbyn de raciste et d’antisémite dans le hall du parlement[28].

Corbyn démissionnera très bientôt. Le Grand Rabbin Mirvis a déclaré que l’antisémitisme et là pour perdurer[29]. Au cours de ce processus, les attitudes publiques au sein de la communauté juive ont énormément changé. Ce qui sort de la bouteille ne peut pas y être réintroduit.

 

Par Manfred Gerstenfeld

 

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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[1] www.theguardian.com/politics/2015/sep/12/jeremy-corbyn-wins-labour-party-leadership-election

[2] https://jewishnews.timesofisrael.com/labour-antisemitism-whistleblowers-reveal-spike-in-cases-after-corbyn-election/

[3] www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/18841

[4] http://cherwell.org/2016/02/15/oulc-cochair-resigns-citing-antisemitism-within-club/

[5] www.independent.co.uk/student/news/oxford-university-labour-club-anti-semitism-report-baroness-royall-jewish-students-a7170446.html

[6] www.thejc.com/news/uk-news/baroness-royall-report-reveals-oxford-labour-students-engaged-in-antisemitism-1.61720

[7] https://jewishnews.timesofisrael.com/labour-accused-of-cover-up-over-suppressed-royall-inquiry/

[8] www.thejc.com/news/uk-news/labour-nec-bans-publication-of-royall-report-into-oxford-university-labour-club-antisemitism-1.57112

[9] www.thejc.com/news/uk-news/baroness-royall-report-reveals-oxford-labour-students-engaged-in-antisemitism-1.61720

[10] www.theguardian.com/politics/2016/apr/29/jeremy-corbyn-sets-up-inquiry-into-labour-antisemitism-claims

[11] www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/19312

[12] www.theguardian.com/uk-news/2016/aug/04/shami-chakrabarti-peerage-labour-tensions-corbyn

[13] www.bod.org.uk/jonathan-arkush-reacts-to-report-by-shami-chakrabarti-inquiry-on-antisemitism/

[14]  www.theguardian.com/world/2016/may/04/chief-rabbi-labour-has-severe-problem-with-antisemitism

[15] www.bbc.com/news/uk-politics-36676018

[16] Ibid

[17] http://david-collier.com/antisemitism-root-labour-party/ from 10 May 2016

[18] www.thejc.com/comment/comment/the-chakrabarti-report-failed-again-and-again-1.60223

[19] www.independent.co.uk/news/uk/politics/jeremy-corbyn-anti-semitism-complaint-a7326551.html

[20] /www.dailymail.co.uk/video/news/video-1303488/MP-Ruth-Smeeth-walks-party-s-anti-Semitism-event.html

[21] www.israelhayom.com/2019/11/04/almost-50-of-jews-in-uk-say-will-leave-if-labours-corbyn-wins-general-elections/

[22] timesofisrael.com/uk-jewish-leaders-corbyn-meeting-was-a-disappointing-missed-opportunity/

[23] www.reuters.com/article/us-britain-labour-antisemitism/british-jews-protest-against-labours-corbyn-over-anti-semitism-idUSKBN1H21H1

[24] www.thejc.com/comment/leaders/three-jewish-papers-take-the-unprecedented-step-of-publishing-the-same-page-on-labour-antisemitism-1.467641

[25] www.independent.co.uk/news/uk/politics/labour-membership-new-rules-abuse-online-jeremy-corbyn-trolling-a7319906.html

[26] www.timesofisrael.com/jewish-labour-mp-posts-anti-semitic-abuse-she-received-online/

[27] www.theguardian.com/politics/2019/oct/16/louise-ellman-quits-labour-party-over-antisemitism

[28] www.timesofisrael.com/jewish-labour-mp-who-called-corbyn-an-anti-semite-wins-contest-to-run-again/

[29] www.timesofisrael.com/uk-chief-rabbi-election-is-over-but-concerns-over-anti-semitism-racism-remain/

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Bonaparte

Beaucoup de Juifs  » assimilés  » oublient qu’ils le sont .

L’antisémitisme les raméne à la réalité et ils retrouvent la mémoire .

Premier réflexe : Israël .

On le voit dans l’article .