Ces guerres secrètes que la Russie continue à mener au cœur de l’Europe

À travers des campagnes d’espionnage, d’ingérence et de cyberattaques, la Russie intensifie ses opérations de renseignement et de déstabilisation au sein des pays européens.

Rasmus Paladan, un extrémiste suédo-danois, a brûlé un exemplaire du Coran près de l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21 janvier, provoquant l’ire d’Ankara. Selon plusieurs observateurs, il aurait des liens avec la Russie. Que savons-nous vraiment de cette affaire ? Et surtout, en quoi cela peut-il profiter à Moscou ?

Michael Lambert : On ne sait pas encore quelle est la relation entre Rasmus Paladan et la Russie, ou plutôt avec les médias russes comme RT. À ce titre, de nombreux partisans de Poutine et de la Russie en Occident ne le sont pas en raison d’une stratégie d’influence préétablie par le Kremlin, mais davantage parce que la Russie est une société qui incarne des valeurs plus traditionnelles, ce qui séduit certaines personnes qui n’apprécient pas les changements sociaux survenus ces dernières décennies.

Quant à l’affaire du Coran brûlé devant l’ambassade de Turquie à Ankara, elle sert naturellement les intérêts de la Russie dans la mesure où il y a un enjeu pour le Kremlin à accroître les tensions entre la Suède/Finlande et la Turquie. Il est important de rappeler que pour adhérer à l’OTAN, la Suède et la Finlande doivent recevoir l’approbation de la totalité des Etats membres de l’Alliance. La Turquie peut par conséquent entraver l’intégration de la Suède et de la Finlande pour diverses raisons (demande d’extradition de réfugiés kurdes, mauvaise entente, obtention d’avantages économiques). Les tensions entre Ankara et Stockholm arrivent à un moment critique et ralentissent l’élargissement de l’OTAN, ce qui est donc dans l’intérêt des autorités russes.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Suède joue un rôle stratégique essentiel en mer Baltique, en raison de sa proximité avec l’enclave de Kaliningrad (Russie). Il faut ajouter que le pays est leader dans le domaine militaire et notamment dans le renseignement, mais aussi dans la recherche et les études militaires avec l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) et l’Agence suédoise de recherche sur la défense (FOI). La Suède dispose par ailleurs d’excellents équipements, dont le Saab JAS 39 Gripen, un avion de combat polyvalent et abordable. Par ailleurs, le groupe Saab offre une gamme de systèmes militaires pour la mer, la terre et l’air qui pourraient repousser une attaque russe en mer Baltique. Pour toutes ces raisons, la Russie souhaite retarder l’adhésion de la Suède le plus longtemps possible.

Espionnage, ingérence, cyberattaques… La Russie semble, ces dernières années, avoir intensifié ses opérations de renseignement et de déstabilisation au sein des territoires européens. Quels sont les derniers exemples connus à ce jour ?

Il est difficile de savoir exactement quand le Kremlin, c’est-à-dire l’État russe, tente d’interférer directement dans la politique d’un État. Cependant, on sait que le gouvernement russe soutient les partis d’extrême droite/anti-OTAN/anti-UE en Europe, et qu’il concentre son attention sur les pays ayant des difficultés économiques et culturelles. Dans ce contexte, l’Italie est naturellement une cible privilégiée de la Russie car le pays est en pleine crise démographique et économique. On peut observer une ingérence de la Russie dans les récentes élections italiennes de 2022.

La liste des tentatives de déstabilisation politique est exhaustive, mais il est possible d’affirmer que la Russie est directement ou indirectement impliquée dans les activités des partis d’extrême droite à travers l’Europe.

Simultanément, le Kremlin pousse au séparatisme en soutenant des personnalités en Catalogne, au Tyrol du Sud, en Belgique, en Estonie orientale, en Lettonie (pays avec une importante population russophone) ou encore en Écosse et en Irlande du Nord. Cela ne signifie pas que ces mouvements n’ont pas de légitimité pour revendiquer une autonomie plus large, mais que le Kremlin les observe car ils déstabilisent la cohésion européenne.

Au niveau du cyberespace, la Russie a récemment lancé une campagne de grande envergure contre l’Estonie en 2022, que Tallinn a réussi à repousser. Malgré cet échec, la Russie connaît de nombreux succès dans le domaine des cyberattaques dans des pays moins avancés que l’Estonie. 

In fine, l’objectif de Poutine est-il de déstabiliser l’Occident ? Dans quel but ?

À terme, l’objectif des autorités russes est de générer des tensions entre les États européens, d’où l’intérêt, par exemple, de soutenir la politique anti-française du gouvernement d’extrême droite en Italie ou encore anti-allemande du gouvernement polonais, ce pour enrayer la cohésion européenne et affaiblir l’OTAN et l’Union européenne.

En divisant les Européens sur des sujets sensibles tels que la reconnaissance de nouveaux Etats dont la Catalogne, l’extension de l’UE et de la zone euro, la Russie souhaite limiter la solidarité des pays. Cette stratégie n’est pas nouvelle et les mécanismes sont similaires à ceux utilisés par l’URSS en Europe pendant la guerre froide, comme en témoignent les rapports de la CIA sur cette période (CIA FOIA).

Quelle est l’efficacité de la stratégie de guerre hybride de Vladimir Poutine ? A court terme, les perturbations provoquées semblent-elles porter leurs fruits ?

Les succès sont palpables dans les pays en crise comme l’Italie et la Hongrie, mais moins dans les États bien gouvernés comme les pays nordiques dont notamment l’Estonie, ou encore en Allemagne. Les résultats de la Russie sont également peu probants dans les pays qui connaissent un regain de puissance économique, comme la Pologne et la République tchèque. Par conséquent, les tentatives de déstabilisation dans plusieurs pays d’Europe n’ont pas encore porté leurs fruits (contrairement aux États-Unis avec les élections de 2016). Il faudra cependant garder un œil sur les élections françaises de 2027 qui s’annoncent chaotiques avec le départ d’Emmanuel Macron.

Dans l’ensemble, ce sont les pays en crise – Espagne, Italie, Grèce, Hongrie, Roumanie et Bulgarie – qui font l’objet d’opérations de déstabilisation au sein de l’UE.

ATLANTICO

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Moses

La France et l’Europe feraient mieux de s’ allier avec la Russie pour combattre l’islamisme mondial plutôt que de la combattre. Elles se trompent d’ennemi, entraînées par l’Amerique de Biden.