La guerre et la Shoah racontées par Spirou au Mémorial de la Shoah

Au Mémorial de la Shoah, à Paris, Émile Bravo expose les planches de sa formidable BD sur la jeunesse de Spirou. Où il fait ressurgir la mémoire de l’artiste juif Felix Nussbaum.

Quel point commun entre Spirou et le peintre Felix Nussbaum ? Bruxelles, capitale de la Belgique et de la bande dessinée !

Le petit groom en rouge y a été inventé en 1938. L’artiste allemand et juif s’y cacha pendant la Seconde Guerre mondiale, avant d’être déporté et assassiné à Auschwitz.

Felix Nussbaum, Autoportrait au passeport juif. Belgique, vers 1943 (détail). | © MUSEUMSQUARTIER OSNABRÜCK, PHOTOGRAPHE CHRISTIAN GROVERMANN.

Le dessinateur Émile Bravo a imaginé leur rencontre dans L’espoir malgré tout, sa formidable série sur la jeunesse de Spirou sous l’Occupation allemande. Quatre albums qui prouvent, une fois de plus, la force de la BD pour raconter l’histoire aux plus jeunes… et la rappeler à leurs parents.

Comparée à raison avec Maus , le chef-d’œuvre d’Art Spiegelman, elle a reçu le Fauve d’Or de la meilleure série au festival de la BD d’Angoulême. Un grand nombre de planches originales et quelques tableaux de Felix Nussbaum sont réunis au Mémorial de la Shoah, à Paris.

L’exposition n’est pas immense (deux salles) mais il faut y courir. Son intitulé, Spirou dans la tourmente de la Shoah, qui sonne comme une nouvelle aventure du personnage de fiction, tient ses promesses.

« Ne laissez pas mes peintures me suivre »

On y apprend une foule de choses sur la Belgique pendant la guerre, ses mouvements fascisants collabo, l’action des réseaux de résistance… Et le rôle du communiste Jean Doisy, alors rédacteur en chef du Journal de Spirou.

Faute de papier pour continuer à faire paraître l’hebdomadaire, il imagina un théâtre itinérant de marionnettes à l’effigie de Spirou et Fantasio pour distraire les enfants. En sillonnant la Belgique, la Troupe du Farfadet facilita grandement les déplacements et la communication de la Résistance…

Émile Bravo devant une vitrine montrant les marionnettes de la Troupe du Farfadet qui distrayait les enfants pendant la guerre, et couvrait les activités de la Résistance. | DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE

Tout ce contexte est présent dans la tétralogie d’Émile Bravo, publiée à partir de 2018. Le dessinateur pétri des valeurs humanistes de son père Emilio, républicain espagnol, y fait grandir un Spirou dont il avait déjà esquissé la personnalité en 2008, dans Le journal d’un ingénu« Un p’tit gars bien », employé à l’Hôtel Moustique et « éveillé au monde » par Kassandra, son amoureuse, une jeune juive d’origine allemande et polonaise, membre du Komintern.

Émile Bravo dit, en plaisantant, avoir vécu « quatre ans d’Occupation » , pour imaginer la suite. Comprendre quatre ans de travail de documentation, de crayonnés, pour plonger son héros dans la guerre, développer « son libre arbitre », sa résistance « humaniste ».

Et le frotter à l’horreur de la Shoah. Sans l’envoyer à Auschwitz. « En admettant qu’il survive, ce n’aurait plus été Spirou. Il aurait perdu toute son innocence et sa foi en l’humain. Il fallait trouver un autre moyen. »

C’est là qu’intervient Felix Nussbaum. « Je ne le connaissais pas avant de tomber par hasard sur un livre intitulé L’Art face à l’histoire. Au chapitre de la Shoah, une double page montrait son tableau Le triomphe de la mort , illustrant ce qu’a été le nazisme, la destruction de la civilisation, de la culture, avec ses ruines des bâtiments, les corps décharnés… Je me suis aperçu que cet artiste avait passé toute l’Occupation à Bruxelles et y avait peint son angoisse. Jusqu’à ce tableau final. Une sorte de prémonition puisque c’est le dernier qu’il a peint avant de partir à Auschwitz… »

Voilà comment Félix, d’abord sous son seul prénom, est entré dans les cases de L’espoir malgré tout, en compagnie de ses nombreux autoportraits et de son épouse Freda. C’est grâce à eux, devenus les amis d’un Spirou empathique et solidaire, qu’Émile Bravo a pu expliquer « ce qu’a été la persécution des juifs, les arrestations, la déportation et l’extermination ».

« Si je meurs ne laissez pas mes peintures me suivre mais montrez-les aux hommes ! » avait écrit, avant de disparaître, l’artiste qui a aujourd’hui son musée dans sa ville natale d’Osnabrück, en Allemagne. Émile Bravo, terrifié par les bégaiements de l’Histoire, fait aussi sa part du devoir de mémoire. De la plus vivante des façons.

Emile Bravo devant les papiers de son père Emilio, combattant républicain de la guerre d’Espagne. Ironie de l’histoire : réfugié en 1939 en France, il fut interné au camp d’Argelès-sur-Mer, près de celui de Saint-Cyprien où Felix Nussbaum, réfugié en Belgique, fut envoyé en 1940, en tant, aussi, que ressortissant d’une puissance ennemie. Et donc potentiellement suspect ! | DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE

Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy–l’Asnier. Paris 4e. Jusqu’au 30 août.

Source : ouest-france.fr

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