Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFRAP : « La France n’est plus riche ».

Agnès Verdier-Molinié, la directrice de la Fondation iFRAP, s’inquiète de la dégradation de la situation économique française. Elle redoute que le gouvernement repousse les réformes, pourtant urgentes et nécessaires, après l’élection présidentielle. Avec le risque de perdre encore un an face au mur de la dette qui se rapproche après quatre années en demi-teinte. Entretien.

Dans un livre choc, « En marche vers l’immobilisme », Agnès Verdier-Molinié encourage le président à accélérer les réformes.

Valeurs actuelles. Après quatre ans de mandat, comment jugez-vous l’action d’Emmanuel Macron ?
Agnès Verdier-Molinié. À l’instant T, la France est d’une certaine manière convalescente tout en restant sous perfusion… par les milliards empruntés, par la politique de la planche à billets. Notre pays souffre toujours de ses faiblesses structurelles même si cela se voit moins en ce moment.

Si les promesses et les projets de loi étaient parfois ambitieux, les réformes ont systématiquement été amputées ou n’ont pas abouti. Il en résulte beaucoup de demi-mesures et une certaine timidité, notamment sur la réforme du code du travail, qui est finalement assez anecdotique. Il faut dire que l’action d’Emmanuel Macron a été vite bouleversée par les crises successives (“gilets jaunes”, grèves, crise du Covid). Des perturbations qui ont abouti à des volets entiers de mesures “conjoncturelles”, non prévues initialement dans le projet présidentiel et qui ne constituent pas des réformes de long terme et certainement pas une stratégie.

Sarkozy, Hollande, Macron… Quelle couronne de lauriers et quel bonnet d’âne leur attribueriez-vous ?
Il est très instructif de mettre en parallèle les performances en matière de dette, de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires des trois quinquennats ; et ce n’est pas forcément ceux qu’on croit qui taxent le plus et dépensent le plus…

Les dépenses publiques ont beaucoup plus augmenté en points de PIB pendant les quinquennats de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron (+ 4,5 et + 4,8) que sous François Hollande (stables). Idem pour la dette publique, avec + 25,7 points entre 2007 et 2012 et + 18 points jusqu’en 2021 face à + 10,6 points pour François Hollande. Ironiquement, alors que les campagnes de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron promettaient des baisses de dépenses, c’est sous le quinquennat de François Hollande que la dépense publique a été la mieux maîtrisée. Évidemment, on pourra toujours dire que Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron ont eu à gérer des crises ( subprimes et Covid) beaucoup plus importantes que celle que François Hollande a eue à gérer (crise des dettes souveraines).

Néanmoins, on voit bien qu’en début de quinquennat Nicolas Sarkozy souhaitait baisser les impôts et qu’il les a beaucoup augmentés en fin de mandat, que François Hollande a contrario les a beaucoup augmentés au début et les a baissés ensuite… Pour Emmanuel Macron, l’histoire n’est pas terminée, mais il a plutôt eu tendance à les augmenter au seuil du quinquennat avec des hausses immédiates (CSG) et des baisses en plusieurs temps (cotisations ou taxe d’habitation). En 2021, le point est plutôt à son avantage puisqu’on constate – 1,8 point de baisse des prélèvements obligatoires par rapport au PIB, grâce surtout aux baisses sur les entreprises. Les ménages ayant vu leurs impôts directs continuer d’augmenter et leurs cotisations baisser.

Quant au chômage, le chiffre n’explose pas uniquement grâce aux mesures de soutien et de chômage partiel, donc il est encore difficile de comparer vraiment avec le + 1,6 de Nicolas Sarkozy et le – 0,2 (la fameuse inversion de la courbe) de François Hollande grâce aux premières baisses d’impôt sur les entreprises… Il faut reconnaître aussi que la baisse de l’impôt sur les sociétés, qui est évaluée dans nos chiffrages à l’actif de l’actuel président, avait déjà été votée pendant le quinquennat précédent – avec un rythme de baisse plus ambitieux pour atteindre les 28 %.

Clairement, on peut dire qu’aucun des trois quinquennats n’est convaincant pour faire repartir le moteur de l’économie française, car on reste sur un très haut niveau de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques et que la dette ne baisse jamais… On est bien loin (pour l’instant -il n’est jamais trop tard pour bien faire) de la révolution du modèle annoncée.

En résumé, ces quatre années ne sont-elles pas finalement l’incarnation économique parfaite du “en même temps” ?
Nos voisins européens, Pays-Bas ou Allemagne, ont, eux, profité des années 2015 à 2019 pour équilibrer leurs comptes publics et se désendetter à coup de – 9 milliards, – 20 milliards de dette par an respectivement. Pendant ce temps-là ? La France s’endettait, elle, à coup de 40 à 60 milliards d’euros par an, en jouant les alternances entre hausses et baisses d’impôts pour les ménages et les entreprises. Cherchez l’erreur.

Résultat, la France est arrivée face à la crise avec des armes bien émoussées : près de 98 % de dette par rapport au PIB, son mégacode du travail aux 35 heures toujours bien là quoi qu’on en dise, son code général des impôts de plus en plus lourd… Bref, les fameux cent premiers jours du quinquennat d’Emmanuel Macron (ni la suite d’ailleurs) n’ont pas été mis à profit à tort pour mettre en œuvre les réformes urgentes. “En même temps”, le ministre des Finances, Bruno Le Maire, tient bon à ce stade (mais jusqu’à quand ?) sur la stabilité fiscale tout en soutenant les entreprises. Il faut lui rendre hommage pour cela. Cela dit, la question du financement de tous ces milliards – qui ne sont pas magiques – se posera d’ici quelques mois et il faudra prendre les bonnes décisions, des « décisions difficiles » comme le dit le président de la République, si l’on ne veut pas continuer à foncer dans le mur de la dette qui se profile pour 2023.

Quelle a été, selon vous, la pire des décisions prises ou le plus gros manquement d’Emmanuel Macron ? Et quelles en seront les conséquences ?
Incontestablement, ce sera la non-réforme des retraites. Le report de la réforme dès les premiers mois du mandat d’Emmanuel Macron a été une grave erreur. Les mois de consultations qui ont suivi pour accoucher d’un projet alambiqué, mal ficelé et incompréhensible ont été inutiles. C’est d’autant plus insupportable que les mouvements de grève durs dans les services publics de transports ont pénalisé les commerces et la vie des Français à la fin de l’année 2019, fragilisant notre économie avant la pandémie.

Quelle aurait dû être la première priorité pour le bien de la France ?
La réforme à poursuivre en numéro 1 et ce, depuis plusieurs années, nous la connaissons tous : c’est la réforme des retraites avec le report de l’âge de départ à 65 ans et plus et la convergence des modes de calcul du public vers le privé. C’est cette réforme qui donnera le plus d’oxygène à nos finances publiques tout en maintenant le niveau des pensions et en augmentant la durée du travail et l’activité. C’est cette réforme qui permettra aussi de conserver la confiance dans la signature de la France sur les marchés pour continuer à nous financer. Nous devons réhabiliter en France la valeur travail, tout au long de l’année et tout au long de la vie, c’est vital pour la reconstruction du pays. Il y a trop de chefs d’entreprise qui cherchent en ce moment à embaucher et ne trouvent pas de candidats, alors que les postes en question sont peu qualifiés. Quand on va vers les 10 % de chômage, cela pose question.

Le programme de LREM prévoyait de porter un effort sur le régalien,. La dégradation des conditions de sécurité ne traduit-elle pas finalement le fait que la sécurité n’est pas une priorité pour Emmanuel Macron ?
Le régalien souffre aujourd’hui de l’absence de vision globale. On enchaîne plein de petites lois sur la sécurité alors qu’il faudrait une grande loi de programmation. La France détient pourtant, avec la Belgique, le triste record des crimes et délits dans l’Union européenne. Loin, très loin devant les Italiens, les Britanniques et les Espagnols, le Danemark est à 69… Le taux de criminalité, rapporté à la population, a bel et bien augmenté. Il est passé de 12-15 pour 1 000 dans les années 1950-1966 à 56 pour 1 000 aujourd’hui. Soit une multiplication par 5 alors que la population ne croissait que de 56 %. Quant au taux de récidive, ce n’est pas mieux : 59 % dans les cinq ans après une incarcération, selon le Conseil de l’Europe, quand c’est 48 % en Allemagne.

Les incohérences les plus criantes sont les suivantes : la promesse oubliée de 15 000 créations de places en prison, qui va se traduire, en 2022, par 370 créations réelles de places en prison (hors quartiers préparatoires à la sortie), le fait que le gouvernement commence à peine à faire respecter les obligations de quitter le territoire et la sous-évaluation dangereuse du risque terroriste. Entre 2020 et 2022, 153 détenus pour actes de terrorisme seront libérés et le gouvernement prévoit dans la nouvelle loi antiterroriste de ne surveiller que pendant deux ans ces anciens détenus alors qu’il faudrait les expulser quand c’est possible ou les surveiller à vie via des bracelets électroniques. Ce sera indéniablement un sujet central de la campagne 2022.

Peut-on quand même saluer une ou plusieurs mesures ?
Bien sûr ! Le très bon point du quinquennat, c’est la lutte contre le sous-travail dans la fonction publique. En 2016, le rapport Laurent démontrait qu’en moyenne, les trois fonctions publiques travaillent 23 heures par an et par agent au-dessous du service légal (et payé) des 35 heures. Le gouvernement a demandé le réexamen de tous les accords locaux avec un délai d’un an, à compter des prochaines élections locales. Cela voulait dire mars 2021 pour les agents des communes… mais le décalage des élections locales a bousculé le calendrier : aujourd’hui, les communes ont jusqu’au 1er janvier 2022 pour trouver un accord. Sinon, ce sont les préfets qui prendront le relais. C’est une très bonne mesure car l’enjeu est colossal : si tous les agents territoriaux effectuaient réellement les 1 607 heures, cela représenterait le travail de 50 000 agents à temps plein, soit 1,5 milliard d’euros d’économies potentielles pour une qualité de service équivalente.

Il faut saluer aussi la baisse de la fiscalité du capital avec la transformation de l’ISF en IFI, (même si la suppression de l’ISF aurait été plus cohérente) et la mise en place d’une taxation forfaitaire (30 %) des revenus du capital (et non plus au barème). Dommage que le gouvernement n’ait pas supprimé en même temps la taxation soi-disant “exceptionnelle” sur les hauts revenus et ne soit pas allé jusqu’au bout de la logique en incitant par des mesures de déduction fiscale à investir dans les TPE et PME (avec des mesures de type IR PME et IFI PME). Saluons aussi la baisse des impôts de production pour les entreprises de 10 milliards d’euros par an dans le plan de relance, même s’il faudrait programmer trois fois plus de baisse pour être compétitif.

Enfin, la suppression de l’Ena est aussi une bonne nouvelle à condition d’aller jusqu’au bout de la logique qu’affiche le gouvernement de “casser les grands corps” en passant par des embauches sous contrat pour les hauts fonctionnaires (hors magistrats) et la fin de la possibilité de s’engager en politique tout en gardant son statut à vie.

Ne craignez-vous pas que la loi sur la transition énergétique rallume le ras-le-bol fiscal, qui était une des raisons qui a donné naissance au mouvement des “gilets jaunes” ?
Pendant le quinquennat, il était prévu initialement que la fiscalité environnementale augmente de 14 milliards, les “gilets jaunes” ont eu pour effet de geler l’augmentation et de déclencher la réponse gouvernementale de la Convention citoyenne sur le climat dont les conclusions ont abouti, en juin 2020, à 150 mesures… et 10 milliards de hausses d’impôts proposés. La boucle est bouclée et il semble qu’on se dirige (de nouveau) vers une augmentation massive de la fiscalité dite “verte” dans les années à venir. D’ailleurs, l’étude d’impact de la loi climat évite soigneusement de donner des chiffres et n’affi che pas clairement la couleur… À ce stade, soyons clairs, toute hausse de la fiscalité peut réactiver le ras-le-bol fiscal.

La France a présenté son plan de relance à Bruxelles pour espérer recevoir des fonds européens. A-t-elle fait les bons choix ?
Déjà, le mode de calcul des 40 milliards pour la France pose question. En effet, entre 2017 et 2027, la participation de la France au budget de l’Union européenne aura augmenté de 73 %… et nous sommes caution de l’emprunt européen pour 67 milliards d’euros. En retour, la France reçoit 40 milliards contre 69 milliards à l’Italie, par exemple. Cela alors que la France a un des PIB le plus impactés en Europe (- 7,9 % en 2020).

Nous sommes face à un paradoxe : étant donné la chute de sa richesse nationale, la France pourrait prétendre à bien plus que les 40 milliards qui nous sont alloués, mais nos partenaires sont méfiants vis-à-vis de notre pays et refusent de nous mettre sous perfusion pour financer des dépenses de fonctionnement. On voit bien qu’ils n’ont pas totalement tort à la lecture du rapport du Haut Conseil des finances publiques, qui montre que sur les 66 milliards de hausses de dépenses entre 2020 et 2021, 41 sont des dépenses de fonctionnement pérennes et pas des dépenses d’urgence ou de relance… Cela dit, c’est maintenant qu’il faudrait négocier un bon deal de redressement de nos finances publiques et de désendettement avec nos partenaires européens, avec un calendrier de baisses de dépenses et de réformes sur lesquelles la France s’engagerait en contrepartie de 15 à 20 milliards d’euros supplémentaires de subventions européennes à mettre quasi intégralement sur la baisse des impôts des entreprises pour relancer le moteur de l’économie.

La situation actuelle résulte des promesses de réduction de déficit et de dettes non tenues depuis des décennies. Comment expliquez-vous les procrastinations successives gouvernementales ? Y aurait-il un moyen d’en finir une fois pour toutes ?
C’est souvent la peur de la rue qui empêche de réformer. L’idée que l’on peut déclencher une révolution avec la moindre mesure. Cet imaginaire est ancré à droite, à gauche et au centre. D’où le fait que les réformes restent des demi-mesures quel que soit le gouvernement au pouvoir. L’administration française pousse aussi au maximum pour maintenir le statu quo et pèse de tout son poids pour ralentir ou bloquer les réformes. Pour enjamber cette crainte maladive, il faut d’abord associer les Français au diagnostic. Déjà, admettre que la France n’est plus riche (115,7 % du PIB d’endettement public et 156 % d’endettement des agents privés au 4e trimestre 2020, d’après la Banque de France). Si elle veut le redevenir, il faut poser, par référendum, à nos concitoyens les questions qui fâchent : travailler plus longtemps ou baisser les pensions ? Augmenter les impôts ou baisser les dépenses ? Embaucher sous statut ou sous contrat dans le public ? Inscrire dans la Constitution le principe du frein à l’endettement ? Nous ne pouvons pas permettre que la peur de la rue, des syndicats et les blocages (voire les saccages) de quelques-uns anesthésient notre démocratie. Certes, avec la fin du “quoi qu’il en coûte”, les tensions risquent d’être fortes. Raison de plus pour ne pas décaler les réformes… en y associant les Français et en les responsabilisant !

À un an de l’élection présidentielle, croyez-vous le gouvernement encore capable de faire des réformes nécessaires ou sommes-nous déjà entrés dans une période de statu quo ?
C’est le statu quo qui nous emmènerait dans le mur. Il faut pousser de toutes nos forces pour que cette année ne soit pas une année perdue. C’est maintenant qu’il faut décider de reprendre la main sur la gestion publique et donc sur notre destin commun. Sans cela, le pire peut arriver avec une dette devenue insoutenable, une signature de la France qui se dégrade et le risque que tout le modèle s’effondre. C’est cela qu’il faut anticiper et éviter. C’est tout à fait possible à condition de penser plus intérêt général qu’agenda politique.

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