La fin de l’âge d’or du judaïsme espagnol (2) Vidéos

La fin de l’âge d’or du judaïsme à Madrid (2)

Madrid, une cité-rempart pour Tolède

Fondé au 9ème siècle par l’émir de Cordoue Muhammad Ier, entrée dans le royaume de Castille en 1085 et détruite par les Almoravides une trentaine d’années plus tard, Madrid n’est déclarée capitale de l’Espagne qu’en 1606, au détriment de Tolède, à laquelle elle servait jusque-là de « rempart ».

La première communauté juive de Madrid fut fondée en 1053 et connut son âge d’or le siècle suivant. Mais malgré une présence aussi ancienne que la cité elle-même, la communauté juive de Madrid n’était pas la plus importante du pays, expliquant sans doute le peu de vestiges que l’on peut y trouver aujourd’hui.

Après l’épidémie de peste noire en Europe en 1348, dont ils furent accusés, et les émeutes antisémites de 1391 (voir notre précédent article, Inquisition espagnole, 1478 : la fin de l’âge d’or du judaïsme dans la péninsule ibérique), les Juifs de Madrid tombèrent sous la protection de monarques successifs dont certains, parfois bienveillants à leur égard, les autorisaient même à vivre en-dehors des deux « Juderias » que comptait la ville.

« L’ancienne Juderia » de Madrid était située aux alentours de l’actuel Teatro Real, et ne comptait à l’époque qu’une vingtaine de maisons et un cimetière, où se trouvait aujourd’hui la Plaza de Oriente. La « nouvelle Juderia » quant à elle, jadis autour de l’actuelle cathédrale de la Almudena, abritait également une synagogue, voir sans doute une seconde qui devait probablement se trouver sur l’emplacement même de l’église San Lorenzo.

A l’instar des autres Juifs d’Espagne, les juifs de Madrid subirent eux aussi les persécutions qui vont secouer le pays à la fin du 14ème siècle, et se virent contraints à la conversion ou à la fuite, en dépit de l’intervention d’Isaac Abravanel, pourtant trésorier des souverains, et du grand rabbin Abraham Senior.

A trois reprises, Don Isaac Abravanel intercéda auprès des monarques afin de faire annuler le décret de l’Alhambra, allant même jusqu’à leur offrir des sommes considérables qui servirent à financer l’expédition maritime d’un certain… Christophe Colomb. En vain. Abraham Senior quant à lui choisit la conversion, et, sous le nom de Ferrad Perez Coronel, fut  baptisé à Valladolid, avec Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon comme parrain et marraine.

Vidé de ses Juifs, le ghetto de Lavapiès fut détruit, laissant Madrid, qui comptait à l’époque six médecins — tous Juifs —, sans aide médicale. Une situation qui a contraint les souverains à reconsidérer leur décision, et à autoriser, sous condition de conversion toutefois, un éventuel retour pour les Juifs qui souhaitaient revenir, leur accordant même des compensations financières et la restitution de l’ensemble de leurs biens.

Rares furent ceux qui acceptèrent la « généreuse offre » des rois catholiques, laissant l’Espagne dans une situation économique en chute libre.

Les premiers Juifs ne reviendront en Espagne qu’à partir de 1850, et il faudra attendre près de cinq siècles après leur expulsion pour que sorte de terre la première synagogue de Madrid, Beit Yaacov, située rue Balmes, inaugurée en décembre 1968.

Aujourd’hui, il ne reste quasiment aucune trace de présence juive dans la capitale espagnole. Seuls le Musée de l’Histoire Juive de la Communauté de Madrid, ouvert en 2007 et accessible uniquement sur réservation préalable, évoque à travers quelques photos et documents le retour des Juifs en Espagne après plus de trois siècles d’absence, tandis que le Centre Séfarade-Israël de la Calle Mayor, inauguré un an plus tôt, promeut le riche héritage économique, politique, social et culturel des diverses communautés séfarades à travers le monde.

Deux monuments sont cependant érigés dans le parc Juan Carlos Ier ainsi que dans les jardins du Retiro, rendant hommage aux victimes de la Shoah et au docteur Angel Pulido, qui œuvra au début du 20ème siècle au renforcement des liens entre la communauté séfarade et l’Espagne.

Le cimetière anglais de la calle Comandante Fontanes compte quant à lui une trentaine de tombes juives.

La fin de l’âge d’or du judaïsme à Tolède (3)

 

3/5. Tolède, capitale et bastion des Rois Catholiques

Reprise aux musulmans à la fin du XIème siècle lors de la Reconquista, Tolède, dominée par son imposant et austère alcazar, sera la capitale de Castille durant près de quatre-cents ans.

Après les siècles de tolérance d’Al-andalus, où les trois religions monothéistes vivaient en parfaite harmonie et ont apporté à la ville puissance et richesse, la situation s’inverse. Les Musulmans, puis les Juifs qui refuseront de se convertir au christianisme se verront persécutés, assassinés ou expulsés.

Si Madrid n’a conservé que peu de vestiges de sa présence juive, il n’en est pas de même pour Tolède, qui fait d’ailleurs de cet héritage culturel unique l’un de ses principaux centres d’intérêt pour les quelques trois millions de touristes qui arpentaient ses ruelles étroites et escarpées chaque année.

L'Espagne dépoussière son patrimoine juif

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1986, la capitale de la Castille abritait en effet à l’époque la plus importante Juderia d’Espagne, comptant à son âge d’or jusqu’à dix synagogues. Ville la plus peuplée mais aussi la plus riche du royaume, ouverte et tolérante, les Juifs de Tolède n’étaient pas obligés de vivre dans les quartiers qui leur étaient réservés, comme c’était souvent le cas ailleurs.

Il n’était pas rare de posséder des maisons et des commerces en-dehors de la Juderia. Mais avec la Reconquista, initiée au 8ème siècle, et le règne des Rois Catholiques, la ville la tolérance allait céder le pas à la persécution.

Ancien quartier juif de Tolède, Espagne Photo Stock - Alamy

En 1355, puis en 1391, suivant les émeutes de Séville, la Juderia de Tolède est attaquée, et des milliers de Juifs forcés de se convertir ou assassinés. Connues sous le nom de « pogrom de Tolède », ces violences firent suite aux prédications de Ferran Martinez, archidiacre de la ville d’Ecija, farouche antisémite prêchant la destruction des synagogues et la saisie des livres saints Juifs.

Parmi le riche héritage laissé à la postérité, la Juderia, signalée au sol par cinq-cents carreaux représentant en bleu et blanc divers symboles du judaïsme, deux synagogues et une mosquée, toutes reconverties en église, permettent de mieux imaginer ce que devait être la ville lors de l’âge d’or d’Al-andalus.

 

La première d’entre elles, la magnifique synagogue Majeure, Santa Maria la Blanca, à l’origine appelée Yossef ben Shoshan, fut construite en 1180, sous le règne d’Alphonse VIII. Ceux qui connaissent la grande mosquée-cathédrale de Cordoue ne manqueront pas de faire le parallèle, bien que sa taille ne soit pas comparable.

 

Édifiée dans le style Mudejar, elle est composée de cinq nefs séparées par des rangées de colonnes surmontées d’arc en fer à cheval aux motifs végétaux et géométriques. Ressemblant plus à une mosquée qu’à une synagogue — on notera l’absence de galerie pour les femmes —, il ne fait aucun doute que des architectes et artisans musulmans ont contribué à son édification. Un style qui influencera d’autres synagogues, notamment Corpus Christi, à Ségovie.

Probablement sous l’impulsion de Vincent Ferrier, un prêtre dominicain célèbre pour ses prédication publiques, elle sera reconvertie en église en 1405.

« Les apôtres qui ont conquis le monde ne portaient ni lances ni couteaux. Les chrétiens ne doivent pas tuer les juifs avec le couteau, mais avec la parole et pour cela les émeutes qu’ils font contre les juifs, ils les font contre Dieu même, car les juifs doivent venir d’eux-mêmes au baptême. » Vincent Ferrier, début du 15ème siècle.

Aujourd’hui encore propriété de l’église catholique, le Vatican aurait négocié avec l’Etat d’Israël dans le but d’ « échanger » la synagogue Santa Maria la Blanca contre la salle du Cénacle, située dans les murs du tombeau du Roi David, à Jérusalem.

La seconde synagogue antique, la synagogue du Transito, abrite quant à elle le musée Séfarade. Aisément repérable dans la Juderia en raison de sa hauteur et de son toit caractéristique à quatre pans, elle fut la seule synagogue construite en Castille au 14ème siècle (entre 1336 et 1357, année de son inauguration), à une époque où leur édification était interdite. Protecteur des Juifs et des Musulmans, Pierre Ier de Castille, connu sous le nom de Pierre le Cruel, fit une exception en remerciement du soutien financier de son trésorier, Samuel Ha-Lévi, propriétaire de la demeure voisine, qui abrite aujourd’hui le musée El Greco. Un privilège que Samuel Ha-Lévi paiera cher cependant…

Tout comme pour la synagogue Santa Maria la Blanca, il est aisé de voir la contribution et l’influence musulmanes dans son architecture tant tout ici rappelle l’art islamique : zelliges, stucs finement sculptés qui devaient jadis revêtir diverses couleurs, arcs aux formes polylobées, plafond en bois de cèdre…, sans oublier les textes gravés dans les frises du plafond, où l’hébreu et l’arabe défilent autour des blasons de la couronne de Castille.

En 1492, le bâtiment est transféré à l’ordre militaire de Calatrava, qui le christianisera. Il servira ensuite d’hôpital aux soldats de l’ordre, sera déclaré monument national en 1877, puis finalement transformé en Musée National de l’Art judéo-espagnol en 1970.

Le Musée Sefarade présente aujourd’hui des articles de la vie courant dans la judaïsme — rouleau de la Torah, manuscrit du 13ème siècle, kétoubot, mézouzot…—, et conserve dans son Jardin de la Mémoire, dans le patio nord, des pierres tombales retrouvées dans la ville au cours de différentes fouilles archéologiques.

Sur la parcours reliant les deux synagogues, on peut également découvrir, au numéro 4 de la Traversa Juderia, la « maison du Juif », propriété d’Ishaq, un notable de la ville qui prêta à Isabelle la Catholique, en échange de ses bijoux, l’argent pour financer l’expédition de Christophe Colomb. Au même titre qu’Isaac Abravnel d’ailleurs…

Assez rare, la demeure d’Isaac possédait un mikvé pour l’usage exclusif de son propriétaire, situé dans le sous-sol de cette demeure. Il est possible de le visiter, uniquement sur rendez-vous.

Certes, l’étape suivante n’a rien de réjouissante, mais pour les plus curieux — et les moins sensibles —, un petit détour par le musée de la torture peut s’avérer une découverte forte intéressante. Avec des appareils tous plus invraisemblables les uns que les autres, ce petit musée de cinq salles seulement présente divers accessoires utilisés au temps de l’Inquisition afin de pousser aux « aveux ». La simple vue de ces appareils devait, on l’imagine, conduire à des délations ou des révélation en un temps record, leur véracité n’étant que relative.

Arrêté et ramené à Séville sur ordre du même Pierre Ier de Castille qui lui avait accordé trois ans plus tôt le droit de construire sa synagogue, Samuel Ha-Lévi, soupçonné de détourner des fonds publics, fut lui aussi torturé, et préféra mourir dans d’atroces souffrances plutôt que de révéler l’endroit où se cachait sa fortune.

Enfin, non loin de l’imposante cathédrale Primada, construite à l’emplacement d’une ancienne mosquée, Cristo de la Luz est aujourd’hui le monument islamique antique le plus important de la vieille ville de Tolède. Construite au 10ème siècle et convertie elle aussi en église un siècle plus tard — d’où la présence inhabituelle d’une abside encore visible aujourd’hui —, cette ancienne mosquée était de taille plutôt modeste, ne comprenant que trois nefs distribuées autour de quatre colonnes surplombées de coupoles, identiques à celles de la mosquée de Cordoue, jadis capitale d’Al-Andalus.

Une rue pavée romaine de cinq mètres de large a été exhumée lors de fouilles archéologiques en 2006, longeant l’agréable jardin offrant sur l’arrière de la ville une vue superbe.

 A suivre       Source

Si vous désirez aller plus loin :

L’Inquisition, de Didier le Fur, aux éditions Livre de Poche. 192 pages. 
Histoires de l’Inquisition, de Rémy Bijaoui, aux éditions Glyhes. 230 pages. 
Les Juifs du roi d’Espagne. Oran 1509-1669, éditions Hachette. 240 pages. 
Passeurs d’Orient : Les Juifs dans l’orientalisme, éditions de l’Eclat. 220 pages. 
Les Juifs dans l’Espagne chrétienne avant 1492, éditions Albin Michel. 137 pages.
Juda Halévi, d’Espagne à Jérusalem, éditions Albin Michel. 172 pages. 
Les rois catholiques, ou L’Espagne sous Ferdinand et Isabelle (1474-1515), éditions Hachette BNF. 174 pages. 
L’élixir de l’immortalité, de Gabi Gleichmann, aux éditions Grasset. 550 pages. 

Et pour la jeunesse :

La véritable histoire vraie. Torquemada, de Bernard Swysen et Marco Paulo, aux éditions Dupuis. 64 pages. 

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