Ki TeTSé: la guerre soumise à la Loi (vidéo)

Si la paix, le chalom, est l’une des six valeurs, avec la Thora, la prière, l’altruisme, la vérité et la justice, par lesquelles l’univers se maintient et perdure, la guerre ne peut et doit n’y faire qu’exception. On n’entrera pas ici dans les débats relatifs à la « guerre juste » ou à la « guerre sainte ».

La « guerre sainte » est une contradiction dans les termes et la « guerre juste » ne peut pas être jugée telle par ceux là mêmes qui mènent.

Toute imputation de justice ne peut s’opérer qu’après-coup et par un tiers impartial et désintéressé, qualités éminentes du juge selon Alexandre Kojève.

Les belligérants, éventuels ou actuels, doivent y penser au moment de cette prise de décision capitale ou durant les combats qui la suivent.

C’est pourquoi la paracha précédente explicitait à la fois le droit à la guerre du peuple d’Israël mais simultanément les normes et prescriptions du droit de la guerre qu’il se doit d’observer (propositions préalables de paix, interdiction des guerres confinant à la terre brûlée avec saccage de l’environnement, etc…).

On pourra certes relever des versets qui semblent inciter à la guerre d’extermination. Il faut les lire dans leur contexte interprétatif et toujours les rapporter au dit droit de la guerre.

Et même au droit de l’après-guerre. D’où l’objet du tout commencement de cette paracha et des trois premiers cas de figure qu’elle introduit.

S’il advient qu’à la suite d’une guerre, un combattant ait capturé une femme qui suscite son désir et qu’elle se retrouve en son pouvoir, puis qu’il veuille l’épouser, il doit s’astreindre à un certain nombre de prescriptions diminutives (endeuillement, enlaidissement de la prisonnière, lamentation sur sa famille d’origine, etc..) dont il faut comprendre les raisons. Une épouse ne se confond pas avec une proie.

Une femme sanctifiée n’est pas une part de butin, une prise de guerre. La femme captive doit être épousée pour elle-même, dépareillée et défardée des attraits qui en faisaient un pur objet de convoitise.

Si la guerre, quelles qu’en soient les régulations, laisse libre cours aux pulsions, il importe que celles- ci ne deviennent pas hégémoniques une fois l’état de paix rétabli, de sorte que celui-ci mérite son nom, à la fois extérieurement et intérieurement.

Et s’il s’ensuit que la femme captive, ainsi « désenchantée », ne suscite plus le désir de l’ancien guerrier, il doit l’affranchir, ne plus en tirer aucun « profit ». Elle y aura gagné ou regagné sa pleine liberté.

C’est sans doute pourquoi, selon le même ordre de préoccupations, le texte de Bamidbar enchaîne avec les règles concernant à présent une situation de bigamie dans laquelle l’une des deux femmes est aimée et l’autre, littéralement « haïe ».

Dans ces conditions, il semble que l’affect brut de l’époux dicte la hiérarchie des droits de l’une au détriment de l’autre.

Et pourtant, dans cette occurrence également, si le premier né, le bekhor, naît de la femme « haïe », il faut lui conserver son rang et ses droits et ne pas tenter de l’en délester ou de l’en dépouiller au profit du fils de la femme aimée lorsqu’à son tour elle enfantera.

L’enseignement est décisif : s’agissant de l’ordre des générations et des structures de la parenté ce n’est pas le désir de l’époux, subjectivement et affectivement envisagé, qui fait Loi et qui détermine les droits qui en découlent. L’aînesse de l’enfant n’est pas assujettie à l’intensité passionnelle de l’époux.

Pour le dire dans une terminologie plus parlante encore: elle est structurale et le désir de l’époux doit s’y ordonner.

Toute structure donne forme à un chaos, stabilise cette forme, et évite de retourner à l’état chaotique. Dans l’ordre des généalogies intra-familiales, l’aîné occupe structuralement la position de primogéniture.

A ce titre il a droit à deux parts de l’héritage parental. L’on objectera alors que cette double part introduit une inégalité injustifiable au sein de la fratrie et qu’elle est de nature à y infecter les ressentiments fratricides. L’équilibre normatif et structural opérera une fois élucidée la symbolique de l’aînesse.

Les commentateurs de la Tradition juive font observer que le mot BeKhoR est formé, selon l’alphabet hébraïque, par la seconde lettre des unités, la seconde lettre des dizaines et la seconde lettre des centaines.

Ce qui signifie que si le premier né occupe structuralement, de facto et de jure, la première place, il doit envisager cette position en termes éthiques et savoir, en cas de besoin, se secondariser, précisément pour ne pas obstruer cette position et pour laisser le passage à autrui, en commençant par l’ « autrui » le plus proche: le frère et la sœur.

Cette double part n’est donc pas destinée à cristalliser un privilège mais à rendre effectif cet altruisme compensateur et équilibrant. Une nouvelle fois, et dans ce cas de figure, la Loi oriente le désir sans le dévitaliser.

Jamais la dilection, aussi intense soit elle, ne doit se manifester au détriment de la direction. Cet enseignement remonte aux déboires de Jacob et de ses fils au regard de la préférence que le patriarche n’avait su réguler au bénéfice de Joseph.

La troisième série de dispositions énoncées dans le commencement de la paracha vise le fils « rebelle » et débauché qui ne respecte aucun interdit, qui se montre sourd à la voix de ses parents.

L’issue dessinée par le texte de la Thora semble disproportionnée pour ne pas dire barbare : le fils « sauvage » doit être traîné devant les habitants de la ville et ceux-ci collectivement le mettront à mort par lapidation.

L’outrance de ces prescriptions est si grande qu’elle n’a pu échapper à leurs auteurs fût-ce pour ce premier fait d’évidence : toute infraction à la loi doit être jugée non par une foule mais par un tribunal structuré et par confrontation d’au moins deux témoins, si ce n’est trois. Et les premiers exécutants de la sentence seront les témoins eux-mêmes, en l’occurrence les parents.

Est-il besoin d’insister sur le caractère plus que répressif : régressif, juridiquement et humainement, d’un dispositif ainsi conçu et appliqué ? Quels parents, quel que soit le comportement de leur fils, auraient le coeur de s’y plier ? S’ils s’en montraient capables, cette monstrueuse sécheresse de cœur suffirait à expliquer le comportement du fils et à en constituer la circonstance atténuante.

Par sa dureté même cette prescription opère en réalité comme un butoir. Sa mise en œuvre et ses conséquences sont si graves, tellement irrémédiables, qu’il faudra y voir à deux fois avant d’y recourir.

Si le but patent de ces prescriptions est de produire un effet de dissuasion à l’encontre d’autres fils tentés par la débauche et la délinquance, cet effet opère aussi vis à vis des parents incités de leur côté à réfléchir à leur propre responsabilité dans l’inconduite publique de leur progéniture.

Ainsi apparaît une des particularités de l’univers normatif d’Israël : toute règle de droit, surtout lorsqu’elle doit aboutir à une sanction pénale, comporte en elle-même, et en amont, les éléments de prévention qui éviteront qu’elle ne s’applique. Cela s’appelle la sagesse, laquelle appliquée aux choses juridiques se nomme aussi, juris-prudence.

Raphaël Draï zatsal, 14 août 2013

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