Juifs en France: ce qu’a changé la Révolution (R. Neher Z’l)

Rina Neher Z’l adapté par Jforum

La Révolution Française, en apportant aux Juifs le droit d’accéder à  la citoyenneté pleine et entière, a radicalement transformé la relation de l’homme chrétien du 18ème siècle face au Juif.

De paria qu’il était, le Juif accède, grâce à  la Révolution française, à la dignité d’homme libre. On trouve l’expression de cette reconnaissance à  tous les niveaux de la conscience juive. Une sorte de dicton populaire, courant au début du 20ème siècle, disait que tout Juif a deux patries: la sienne propre et la France.
Henri Graetz, spécialiste de l’histoire juive,  écrivait dans les années 1870 : « La Révolution française fut vraiment, selon l’expression du prophète, le jour du Seigneur où les orgueilleux furent abaissés et les humbles relevés' »
A y regarder de près, le déroulement des événements qui aboutit à  ce fameux décret d’émancipation de septembre 1791 paraît moins idyllique et plus complexe que ne le laissent supposer les formulations citées précédemment.
Il y a eu au sujet des Juifs de violents débats et des conflits très âpres qui n’aboutissent qu’au prix d’immenses efforts à  l’émancipation.
A la veille de la Révolution, les Juifs représentent en France une petite minorité qui compte au maximum quarante mille âmes, dont la présence n’est légalement tolérée que dans les marches frontières.
L’ensemble du Royaume reste soumis au décret d’expulsion des Juifs de France, qui remonte au 14ème siècle.

Avant la Révolution

Les Juifs n’ont pas la liberté de résider où bon leur semble à  l’intérieur de la France. Depuis le décret d’expulsion totale du Royaume en 1394, ils n’ont même aucun droit d’habiter en quelque localité que ce soit.
Par la suite d’événements politiques divers, des villes ou des provinces de l’Est où habitaient des Juifs ont été rattachées à  la France : l’évêché de Metz d’abord, en 1556; puis l’Alsace en 1648 et la Lorraine en 1766.
Les rois de France font pour les Juifs de ces régions une dérogation au décret d’expulsion et les autorisent à  garder leur résidence dans la région annexée.
Dans le Sud-Ouest, des « Marranes », quittant l’Espagne ou le Portugal avec ses menaces d’Inquisition, viennent habiter Bordeaux et sa région et les faubourgs de Bayonne: mais on ne les y tolère que sous la qualité non pas de Juifs, mais de « nouveaux chrétiens ».
Dans le Sud-est, des Juifs habitent dans des régions qui n’appartiendront à  la France qu’à  l’époque de la Révolution: Avignon et le Comtat Venaissin, propriété des Papes, jusqu’en, 1791, et le Comté de Nice, possession de la Maison de Savoie jusqu’en 1792.
Dans chacune de ces régions, les communautés juives offrent des traits démographiques et sociologiques extrêmement différents.

L’Alsace

C’est là  que l’on trouve les communautés les plus nombreuses : la moitié de le population juive d’ensemble.
C’est une population essentiellement rurale; car les deux seules grandes villes de la province: Strasbourg et Colmar, maintiennent après la conquête française, comme avant, leur législation municipale interdisant aux Juifs d’y habiter de manière permanente. Mulhouse, à  l’époque, fait partie de la Suisse (jusqu’en 1799) et n’admet pas non plus les Juifs.
Malgré son rattachement à  la France, l’Alsace reste morcelée un de multiples petites principautés, villes épiscopales et villes libres: chacune pratique à  l’égard des Juifs la politique de son choix; d’où des législations multiples qui différent sur de nombreux points.
Elles ont cependant toutes un trait commun : l’obligation faite aux Juifs de payer des impôts spéciaux de tolérance ou de transit (péage corporel) qui enrichissent les finances locales et incitent les princes à  accueillir sur leurs territoires un plus grand nombre de Juifs.
C’est la raison majeure pour laquelle la population juive d’Alsace augmente rapidement au cours du 18ème siècle. Les éléments nouveaux sont attirés vers l’Alsace en provenance des provinces germaniques voisines, et parfois de plus loin. L’enracinement local se fait très vite.
A la veille de la Révolution, la population juive d’Alsace, appelée officiellement la nation juive d’Alsace est relativement homogène. Elle est répartie en plus de 180 villages ou bourgades.
Le recensement de 1734 donne un total de 19.624 âmes. Les plus importantes communautés sont Bischheim en Basse Alsace, avec 473 Juifs, et Wintzenheim en Haute Alsace – avec 381. Dans certains villages on trouve une ou deux familles seulement.
Ces Juifs d’Alsace sont souvent appelés « Allemands », car en Alsace, malgré le rattachement à  la France, la langue parlée est un dialecte germanique. Les actes officiels du royaume destinés à  l’Alsace aussi bien que les règlements des municipalités locales sont bilingues: Français et Allemand.
Les Juifs d’Alsace parlent un dialecte spécifique où le patois local se mêle d’hébraïsmes pour former le judéo-allemand (Yiddish Deutch). Tout un folklore caractéristique se constitue peu à  peu, qui donne au judaïsme alsacien un cachet très particulier.

1784-1789: vers une nouvelle approche des relations entre Chrétiens et Juifs.

L’influence des Philosophes et de l’esprit des lumières d’un côté, l’exemple de l’Empereur Joseph II dont l’édit de tolérance (1781) impressionne le Gouvernement royal, enfin les efforts de certains Juifs éminents, comme Pereire et Cerf Berr contribuent à  faire prendre conscience que la situation des Juifs en France n’est pas ce quelle devrait être.
Enquêtes, études, recherches se multiplient sur la situation des Juifs du royaume, leurs métiers, leur comportement, et avant tout leur nombre, car certains les croient trop nombreux et envahissants.
D’où le premier grand recensement officiel des Juifs d’Alsace, réalisé en 1784 avec un très grand soin dans toute la province et publié aussitôt en un gros in-folio.
Cotte même année 1784, Louis XVI abolit le « péage corporel », taxe humiliante qui assimilait les Juifs aux animaux en les obligeant à  payer un impôt spécial pour transiter par certaines villes, en particulier Strasbourg.
Le coup d’envoi est ainsi donné à  une nouvelle approche de la relation entre Chrétiens et Juifs.
En 1787, Mirabeau séjournant en Allemagne est frappé de tout ce qu’il y apprend sur Mendelssohn mort un an plus tôt. A son retour, il publie un livre qui a un grand relentissement : Sur Moïse Mendelssohn et sur la réforme politique des Juifs.
Presqu’en même temps l’Académie royale de Metz propose un sujet de concours : Est-il des moyens de rendre les Juifs plus heureux et plus utiles en France ? Des trois mémoires primés, le plus connu est celui de l’Abbé Grégoire, curé d’un village de Lorraine.
En 1788, Louis XVI charge son ministre Malesherbes, qui venait de s’occuper de la question des Protestants, de se pencher sur le sort des Juifs.
Les Portugais, pour commencer, sont convoqués à  Paris et lui remettent un volumineux mémoire. Les événements de 1789, la convocation des Etats Généraux, les débuts de la Révolution marqués par la prise de la Bastille (14 juillet 1789) gèlent tous les projets de réforme envisagés par le Gouvernement royal.

Vers L’émancipation

La Déclaration des Droits de l’Homme (26 août 1789) affirme que « tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit » et que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses ». De tels principes auraient dû entraîner immédiatement l’accès des Juifs à  la pleine citoyenneté. Dans les faits, les choses furent bien plus lentes et complexes.
Ce que les Juifs obtiennent par les premières réformes de la Révolution c’est le droit de résidence dans n’importe quel point du royaume ; mais au milieu des bouleversements sociaux profonds et multiples qu’entraîne la Révolution, celle possibilité nouvelle ne sera que très rarement utilisée.
Les Juifs de Paris n’ont plus à  subir de contrôle spécial et leur droit de résidence dans la capitale n’est plus remis en cause. Ils sont assez nombreux à  s’engager dans la Garde nationale.
Les seuls à  pouvoir participer aux opérations électorales locales de 1789 sont les Juifs portugais. Ceux des autres provinces sont seulement admis à  présenter des requêtes exprimant leurs vœux devant l’Assemblée constituante.
Dès le début, l’Abbé Grégoire, Mirabeau, Clermont-Tonnerre, Duport, membres de la Constituante, et quelques autres de leurs collègues insistent pour qu’on examine favorablement les requêtes des Juifs et qu’ils obtiennent le titre de Citoyen à  part entière, c’est-à -dire, en langage du temps, Citoyen Actif.
Plusieurs pétitions sont ainsi présentées par les porte-paroles des communautés juives de Bordeaux, d’Alsace, de Lorraine et de Paris, la plupart sont simplement soumises par écrit à  l’Assemblée.
Le discours que Berr Isaac Berr de Nancy est admis à  prononcer devant l’Assemblée pour exprimer le voeu des Juifs d’accéder au titre de citoyen actif fait une grande impression. Mais l’opposition est très forte.
L’Abbé Grégoire représente une voix assez isolée parmi les représentants du Clergé à  la Constituante. La majorité des députés du Clergé et de la Noblesse s’opposent farouchement à  ce que les Juifs deviennent les égaux des autres citoyens.
En même temps, en Alsace, les villageois poussés par la misère et affolés par les événements se soulèvent contre les seigneurs mais aussi contre les Juifs. Pillages des nuisons juives, incendies, déprédations se multiplient en automne 1789 et jusqu’à  l’automne suivant.
Certains Juifs s’enfuient en Suisse pour un refuge provisoire à  Mulhouse et Bâle. Le maire de Strasbourg Dietrich (chez qui sera chantée pour la première fois la Marseillaise) rappelle que rien n’est changé aux interdictions anciennes contre les Juifs.
Une première étape en faveur des Juifs est franchie le 28 janvier 1790 quand l’Assemblée constituante accorde les droits de citoyen actif aux Juifs « connus sous le nom de Portugais, Espagnols et Avignonnais ».
La majorité des députés des provinces de l’Est continuent à  s’opposer à  ce que les mêmes droits soient accordés aux Juifs de leurs régions.
Un député de Colmar, Reubell, va jusqu’à  affirmer que c’est dans l’intérêt même des Juifs : si les Alsaciens apprennent que la Constituante accorde l’égalité aux Juifs, ils les égorgeront dans leur fureur.
La question est posée à  plusieurs reprises au cours des mois suivants, mais chaque fois les opposants arrivent à  triompher, au nom de l’ordre public. Jamais le calme ne règnerait en Alsace si les Juifs étaient admis au rang de citoyen actif.
Les Juifs sont, en fait, l’occasion d’un affrontement en profondeur entre les adeptes de l’ancien ordre basé sur un exclusivisme chrétien, et les partisans d’un ordre nouveau où l’égalité de tous les hommes est érigée en principe absolu. Ce sont eux qui obtiendront finalement la victoire, mais in extremis.
A la veille de se séparer, l’Assemblée constituante finit par voter le 27 septembre 1791 l’abolition de toute discrimination concernant les Juifs. Ce décret s’applique à  tous les Juifs résidant en France, sans exception : il marque leur complète émancipation.
Mais le décret exige que, du même coup, les Juifs renoncent à  tout ce qui avait fait d’eux jusqu’ici une minorité solidement organisée.
Le terme de « Nation juive » portugaise ou d’Alsace est donc définitivement extirpé du langage ; mais les structures communautaires, les pouvoirs des syndics ou des préposés, les juridictions rabbiniques, les taxations pour les caisses de charité, tout cela est aboli du même coup.

Comment Napoléon mit « sous contrôle » les Juifs

En mars avril 1899, Bonaparte, dans le cadre de l’expédition d’Egypte, s’empara de Gaza et de Jaffa, fut victorieux au Mont Thabor et marcha sur Saint-Jean-d’Acre; là, les Ottomans l’obligèrent à  reculer et à  se replier sur l’Egypte.
Au cours de cette brève campagne, où il découvrit sur place l’Orient qui l’a toujours fasciné, Bonaparte rêva d’être celui qui redonnerait aux Juifs leur terre ancestrale?
Beaucoup de points d’interrogation entouraient une déclaration qui aurait été faite en avril 1999, où Bonaparte offrait aux Juifs la restauration de leur « existence politique de nation parmi les nations » sur la terre « patrimoine d’Israël ».
Mais le moment n’était pas bien choisi. Les Juifs de France, notamment, voyaient leur place au sein de la nation française où ils venaient d’obtenir l’égalité (1791).
Des promesses hasardeuses, sujettes aux aléas d’une guerre, ne furent pas prises au sérieux. Finalement toute l’expédition de Bonaparte se solda par un échec.
Bonaparte rentra en France et le coup d’Etat du 18 Brumaire 1799 (9 novembre) fit de lui le Premier Consul.
Un des premiers effets de la main forte de Bonaparte fut le retour de l’ordre. Cependant, l’espoir de paix fut vite déçu.
Aux armées de la République succédèrent, en 1803, « la Grande Armée » placée sous le commandement de Bonaparte qui se fit, en 1804, proclamer Empereur.
La situation intérieure se ressentait évidemment de cet incessant cortège de combats. Mais jusqu’en 1814, on se battait toujours en dehors des frontières.
D’où la possibilité d’une complète réorganisation intérieure de la France, épuisée par dix ans de tourmente révolutionnaire.
Désormais les transformations apportées par la Révolution à  la situation des Juifs devenaient visibles.

Apparition de nouvelles communautés dispersées 

La liberté de résider n’importe où en France aboutit à  une certaine déconcentration des communautés de l’Est.
Les recensements très nombreux réalisés sous l’Empire donnaient toutes les précisions voulues sur ce phénomène.
Paris attirait. La centralisation de la vie française s’y faisait encore plus marquée que sous l’Ancien Régime. Désormais les Juifs n’avaient plus aucun empêchement d’y habiter. Le nombre de Juifs y augmenta rapidement: moins de 500 en 1780, plus de 2900 en 1810.
Des familles juives s’établissaient dans les grandes villes Lyon, Marseille, Toulouse, mais aussi dans des villes de moyenne importance Orléans, Brest, Rouen, Dunkerque, Dijon, Versailles, etc.., et même dans de petites bourgades.
A l’ancienne division en provinces, a succédé la division de la France en départements. On trouvait des Juifs dans deux tiers de l’ensemble des départements, mais souvent moins d’une dizaine de familles dans la même localité.
Cependant la majorité des Juifs continuait à  rester concentrée dans les mêmes régions qu’avant la Révolution, mais avec des changements sensibles dus à  la liberté de résidence.
A Bayonne, ils pouvaient habiter en pleine ville. de même à  Colmar et à  Strasbourg.
Pourtant le judaïsme alsacien restait rural. En 1806, on comptait seulement 1.286 Juifs à  Strasbourg, sur plus de 16.000 pour l’ensemble du département.
Les changements s’opérèrent encore lentement à  l’époque impériale. Ils s’accentuèrent au cours du 19ème siècle où les petites communautés disséminées à  travers toute la France se multiplièrent.
C’est bien plus tard qu’un mouvement de centralisation urbaine faisait, cent ans après le Révolution, se grouper à  Paris la majorité des Juifs de France.

Ouverture de l’éventail professionnel

Le jeu naturel des vocations individuelles pouvait désormais s’exercer librement, mais les difficultés économiques, encore très graves sous l’Empire, en modéraient les effets.
Pour réduire les risques, les fils restaient fréquemment fidèles à  l’humble commerce du père, tout en l’élargissant et le modernisant. Le conservatisme familial était statistiquement plus fort qu’on ne l’aurait attendu.
En Alsace, on faisait aux Juifs une réputation d’usuriers, des personnages de caricature. On les pressait de s’adonner aux « métiers utiles », c’est-à-dire métiers techniques, artisanaux et agricoles.
Les enquêtes impériales insistaient constamment pour connaître le nombre de Juifs devenus agriculteurs (les chiffres sont dérisoires), ou artisans (les chiffres sont sensiblement supérieurs).
L’évolution se faisait très lentement et les bénéfices de la liberté professionnelle ne seront largement visibles qu’après 1830.
Mais dès les années 1795, l’idéalisme révolutionnaire auquel s’ajoutaient les exigences de la conscription napoléonienne, poussait les Juifs dans la carrière militaire.
C’est par le moyen de l’armée que s’opéra pour beaucoup de Juifs,la transformation professionnelle la plus radicale.
Alors que presque aucun Juif ne profitait encore, sous l’Empire, des études universitaires, un certain nombre entrait dans les écoles supérieures militaires.
Beaucoup, recrutés comme simples soldats, gravissaient rapidement lés échelons et accèdent au rang d’officiers. Les petits-fils de Cerf Berr furent nombreux dans les armées de Napoléon.
L’un d’entre eux, Marc François Jérôme Wolff, fut colonel en 1808. Il se convertit cette année-là  au christianisme et devient ensuite général et baron d’Empire.
Mais ce n’était pas par besoin de carrière qu’il se convertit. Un autre, resté Juif, devint général : Henri Rottembourg; son nom fut gravé sur l’Arc de Triomphe de l’Etoile.
La conscription des jeunes recrues était considérée par le Gouvernement comme un test pour mesurer le degré d’intégration des Juifs dans la société française.
Pour les Juifs, l’enrôlement dans l’année impériale était la preuve de leur dévouement à  la France qui leur avait accordé l’égalité.
Mais en Alsace, il y eut des réticences; nouvelle raison pour que les Juifs d’Alsace n’aient pas bonne presse auprès des autorités impériales.
La Constituante avait voté l’égalité civique des Juifs, sans condition préalable et sans autres obligations que celles normalement imposées aux autres citoyens.
Napoléon avait d’autres exigences. II a reçu des plaintes contre les Juifs: » vivaient à  part et, malgré l’émancipation, restaient fidèles à  leurs usages spécifiques ; ils pressuraient les paysans par des prêts usuraires en Alsace et dans tout l’Est de la France. Ils essayaient d’échapper à  la conscription ».
La convocation de l’Assemblée des Notables, puis celle du Sanhédrin, fut, pour Napoléon, l’occasion de connaître la vraie nature de l’attachement des Juifs à  la France et de peser les chances de réussir leur intégration au sein de la nation française.

L’Assemblée des Notables – 1806

Revenant d’Autriche après la victoire d’Austerlitz, Napoléon s’arrêta à  Strasbourg.
Le préfet se fit auprès de lui l’écho des plaintes formulées contre les Juifs:  » ils étaient considérés tous comme des usuriers et des colporteurs malhonnêtes ».
La population, lui disait-on, est tellement excitée contre eux que les pires excès étaient à  redouter. l’Empereur rentra à  Paris, impressionné par ces dépositions antisémites.
Là, toute une campagne de presse visait à  calomnier les Juifs, et proposait l’abolition de presque toutes leurs libertés.
La campagne antisémite était menée par le parti des ultra-catholiques, animé par Bonald Fontanes et Chateaubriand. Il s’y joignit bientôt le comte Molé qui orchestrait toutes les entreprises impériales concernant les Juifs.
En avril 1806 eurent lieu, devant le Conseil d’Etat, les premiers débats sur la nécessité d’appliquer aux Juifs des lois d’exception.
Elles aboutissaient à  une première décision : un décret daté du 30 mai 1806 accorda un sursis d’un an au paiement des dettes contractées envers les Juifs par les cultivateurs de huit départements de l’Est de la France.
Le même jour, un décret convoqua une assemblée des notables juifs de tous les points de l’Empire, afin de « délibérer sur les moyens d’améliorer la nation juive ». Les préfets furent chargés de désigner les « notables ».
En dépit du choix laissé à  l’arbitraire, l’Assemblée de 112 membres fut assez représentative du judaïsme de l’Empire.
La séance inaugurale eut lieu le 26 juillet 1806. Elle siégea neuf mois, jusqu’au 6 avril 1807, non sans de grandes difficultés pour les membres venus de province et des régions annexées à  l’Empire (région du Rhin, Italie du nord).
Les réunions se tinrent dans une ancienne chapelle désaffectée, attenante à  l’Hôtel de Ville de Paris. L’Assemblée se nomma un bureau et un président : Abraham Furtado. Sa tâche essentielle fut de répondre à  douze questions fondamentales posées par Napoléon.
Dans son discours d’ouverture, le comte Molé fait comprendre aux délégués la menace qui pèse sur eux.
« Sa Majesté, dit-il, veut que vous soyez Français ; c’est à  vous d’accepter un pareil titre et de songer que ce serait y renoncer que de ne pas vous en rendre dignes ».
La réponse à  certaines de ces questions était simple, par exemple la quatrième demandant si, aux yeux des Juifs, les Français étaient leurs frères ou des étrangers.
Celles ayant trait au patriotisme des Juifs et à  leur dévouement à  la patrie française soulevaient dos réponses enthousiastes et émouvantes.
Mais d’autres étaient plus délicates à  trancher, notamment les questions relatives aux mariages avec des non-Juifs. Sur ce point particulier comme sur d’autres, il fallait trouver une réponse qui, sans enfreindre les lois religieuses, trouvait néanmoins grâce aux yeux de l’Empereur.
Les délégués ne perdirent pas de vue que, de leurs réponses, dépendrait le sort des Juifs de France. Ils parvienrent à  mettre au point des réponses acceptables par la loi juive et par Napoléon.
Pour le point particulier des mariages mixtes, par exemple, ils répondirent que les mariages contractés entre Juifs et Chrétiens ne pouvaient recevoir une bénédiction religieuse juive. Les époux ne pouvaient contracter qu’un mariage civil.
Mais un Juif ayant épousé une chrétienne ne cessait pas, pour autant, d’être considéré comme Juif par ses coreligionnaires.
Les notables montrèrent, dans leur mission délicate, une noblesse et une dignité qui étonna même leurs détracteurs.
Napoléon croyait trouver une centaine d’usuriers ignorants et insociables : c’est ainsi qu’on lui dépeignait les Juifs, surtout ceux d’Alsace.
Il fut le premier étonné de rencontrer des hommes fiers, très instruits de leur religion et dotés d’une large culture humaine. La possibilité sérieusement envisagée d’annuler le décret d’émancipation de 1791 était écartée.
Restait à  faire accepter comme lois les réponses données par l’Assemblée. Napoléon lança l’idée de réunir, comme dans l’antiquité, un Sanhédrin dont les décisions seraient contraignantes pour les Juifs de l’Empire.
L’annonce en fut faite par une lettre circulaire d’invitation, très solennelle, en date du 6 octobre 1806.
Cette lettre mémorable, rédigée en hébreu et en français émanait de l’Assemblée des Notables ; elle fut signée par son président Abraham Furtado et expliqua la grandeur du projet : « Un grand Sanhédrin va s’ouvrir dans la capitale d’un des plus puissants empires chrétiens et sous la protection du prince immortel qui le gouverne. Paris va offrir ce spectacle au monde; et cet événement à  jamais mémorable sera, pour les restes dispersés des descendants d’Abraham, une ère de délivrance et de félicité ».
Les Communautés étaient invitées à  choisir des représentants « connus par leur sagesse et amis de la vérité et de la justice » pour les envoyer à Paris.

Le Sanhédrin de Paris – 1807

Composé de 71 membres, comme à  l’époque du Second Temple, le Grand Sanhédrin de Napoléon fut présidé par le Rabbin David Sinzheim.
Il comptait 45 rabbins et 26 membres laïcs. Le Grand Sanhédrin siègea un mois exactement (9 février 9 mars 1807), dans la salle des réunions de l’Assemblée des Notables, mais aménagée différemment.
La séance d’ouverture eut lieu en grande pompe. Les membres portaient un vêtement spécial, longue robe noire avec ceinture et rabat ; le président coiffé d’un bonnet à  deux cornes, bordé de fourrure. Le travail avait été préparé par l’Assemblée.
Le Sanhédrin avait pour rôle de donner leur formulation définitive aux réponses de l’Assemblée, qui devinrent les Décisions du Sanhédrin.
Napoléon y voyait un achèvement grandiose. Tel un « nouveau Moïse » il dotait le peuple juif d’une Loi nouvelle : c’est du moins ainsi qu’il se faisait représenter sur médaille et gravure.
En réalité, le Grand Sanhédrin n’eut qu’une influence très limitée. Il n’avait même pas réussi à  passionner l’opinion juive du temps. Ses décisions avaient entraîné généralement, en France, l’obéissance, mais plus par la force des circonstances et l’évolution générale que par respect pour l’autorité du Sanhédrin. Finalement, l’Empereur décida d’intervenir lui-même dans les destinées des Juifs de France.

Les 2 décrets du 17 Mars 1808

Le décret sur l’organisation des communautés et l’établissement des Consistoires imposea aux Juifs un moule calqué sur l’organisation administrative de la France, départementale et centralisée : un consistoire et un rabbin dans chaque département. Au sommet, à  Paris, un Consistoire Central et son grand Rabbin.
En rupture complète avec les structures communautaires d’avant la Révolution, l’organisation consistoriale était imposée du dehors et s’ajusta difficilement, mais de manière durable, aux besoins organiques des communautés.
Du dehors aussi était imposé le costume des rabbins, rendu obligatoire dans ce qu’on appelle désormais « l’exercice de leurs fonctions » : mariages, enterrements, sermons à  la synagogue.
L’étude, l’enseignement, les décisions religieuses constituaient un aspect secondaire seulement de leurs activités, car le gouvernement calqua leur rôle sur celui des prêtres ou des pasteurs.
Le décret sur « la répression des abus imputés aux Juifs » était valable dix ans et renouvelable éventuellement. Il soumit de nouveau les Juifs à  une législation d’exception qui portait atteinte à  l’égalité civique. Connu sous le nom de « décret infâme », ce texte comportait essentiellement quatre points :
  1. Toutes les dettes contractées vis-à -vis des Juifs sont susceptibles d’ajournement, de réduction ; dans certains cas, elles peuvent être tout simplement annulées. Les Juifs portugais ne sont pas soumis à  ces mesures discriminatoires qui ruinent de nombreuses familles.
  2. Pour avoir le droit de commercer, les Juifs sont soumis à  une réglementation particulière ; ils doivent obtenir des patentes spéciales octroyées par décision du Conseil municipal de leur localité.
  3. Les Juifs ne peuvent pas s’établir librement dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin s’ils n’y résidaient pas avant 1808.
  4. Les Juifs sont astreints au service militaire, sans avoir le droit (comme les non-Juifs) de payer pour un remplaçant.
Avant même la publication officielle du « décret infâme », Furtado tenta d’intervenir auprès de Napoléon pour arrêter le projet ; en vain. Après la promulgation du décret, les protestations se multiplièrent. Les Juifs se sentaient de nouveau soumis à  un régime de discrimination et la déception fut profonde.
Mais en 1818, à  l’expiration des dix années de validité, le décret ne sera pas renouvelé par le nouveau souverain Louis XVIII, et son souvenir s’effacera.

Hors de France

Les conquêtes de Napoléon lui donnaient le contrôle des Pays Bas, de la plus grande partie de l’Italie et de l’Allemagne, et de la région de Varsovie.
Partout où il pénétra, l’Empereur se voulait l’incarnation des grandes idées révolutionnaires; parmi elles, l’égalité entre tous les hommes. Les Juifs accédaient ainsi l’émancipation sous la pression extérieure, étrangère, tout en étant indiscutablement, sur ce point, bénéficiaires de l’occupation française.
Ils montrèrent beaucoup de réticence à  répondre à  la fameuse Circulaire du 6 octobre 1806, et furent peu enclins a envoyer des délégués au Sanhédrin ; seul un très petit nombre d’entre eux se rendit finalement à  Paris.
Ces communautés semblaient avoir mieux compris que les communautés françaises les dangers de la réorganisation imposée par Napoléon ou peut-être avaient-elles simplement une plus grande liberté de choix et de manœuvre.
C’est d’Italie pourtant que vinrent à  Paris les Rabbins Segré et Cologna, qui furjnt nommés assesseurs du Rabbin David Sintzheim, Nassi (président) du Sanhédrin.

Des jugements contradictoires

Déjà même à son époque, l’attitude de Napoléon à  l’égard des Juifs et les résultats de sa politique ont été jugés de manière contradictoire.
 Derrière les prières de circonstance prononcées de manière officielle dans les synagogues de France et des pays conquis, lors des victoires ou des visites de l’Empereur, il fallait deviner une admiration très réelle et des louanges sincères.
Leur formulation dans le style alambiqué de l’époque et indispensable à  l’orgueil impérial ne doit pas faire croire à  une pure hypocrisie.
Bien des milieux juifs ont cru au rôle important joué par Napoléon dans l’amélioration du destin juif.
Le jeu de mot sur le nom de l’Empereur, « la bonne part » (Buena parte) fut le reflet d’une certaine espérance, surtout durant les débuts de l’Empire.
L’image a été ensuite ternie, et parfois Napoléon était devenu un véritable objet de haine, dont l’influence était interprétée comme dangereuse et même nocive.
En dehors de la France, où les sentiments ont pu s’exprimer d’une manière plus libre, on retrouva ces opinions contradictoires.
Jusqu’en Russie, où, hors de l’invasion des armées impériales en 1812, interprétée par certains comme la guerre de Gog et Magog, les Hassidim sont partagés pour savoir si l’Empereur des Français était porteur d’un message de liberté pour Israël, ou, au contraire, d’une menace qui devait être combattue.
Adaptation par Jforum
Source: Dr. Rina NEHER-BERNHEIM Z’l
André et Rina Neher, un couple merveilleux qui a renouvelé la pensée et l’histoire juive.

 

 

 

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Asher Cohen

Cet article n’a pas de valeur parce qu’il ignore quasi-totalement le contexte international et les situations des Juifs de l’époque, et cherche ainsi à présenter l’ Émancipation française comme une faveur accordée aux Juifs.

A la fin du 18 ième siècle, les Juifs sont toujours la diaspora de l’ État Judéen détruit par les romains en 70 et 135 BCE, et n’ont toujours pas été capables de recréer leur propre état.

La grande majorité vivaient en Europe depuis l’ Empire Romain. Ils n’étaient considérés ni comme étrangers, ni comme intrus. Ils n’étaient ni des esclaves récemment amenés en Europe comme captifs, ni de nouveaux immigrants. Dans tous les cas, ils avaient un statut indéterminé de non-européens. Ils se donnaient eux-mêmes une définition internationale, passant d’un état à l’autre en fonction des aléas de l’ Histoire.

Au 18 ième siècle, la majorité de la Diaspora Juive résidait dans le  »sanctuaire » Pologne, Lituanie, Ukraine et Biélorussie, généralement dans des villages et villes presqu’entièrement juifs. Quelques Juifs vivaient au Maghreb, sur le pourtour de la Méditerranée orientale, au Moyen-Orient, un peu en Asie et en Inde, et dans le Nouveau Monde, Amérique du Nord et Latine.

L’ Europe Centrale et de l’ Ouest ne comptait pas 400.000 Juifs : 165.000 dans les principautés allemandes, 35.000 en Bohème-Moravie et à Vienne, 80.000 en Hongrie, 80.000 en Hollande et Flandres Calvinistes, et 8000 en Angleterre.

Ils avaient moins de droits que les chrétiens, mais aussi moins d’obligations, notamment militaires, et souvent plus de privilèges que les masses paysannes locales. Ils vivaient dans des communautés très hermétiques et ne se sentaient aucunement liés au sol où ils se trouvaient. Ils opéraient leurs propres services publics, leurs propres rues, égouts, écoles, hôpitaux et bains publics, régulaient leur propre commerce et marchés et étaient gérés selon le Droit Talmudique, administré par un kahal.

Depuis l’expulsion de 1394, les Juifs ne s’intéressaient pas à la France. A la veille de la Révolution, il n’y avait pas 5000 Séfardim sur Avignon, Bayonne et Bordeaux, remontés après l’expulsion d’Espagne de 1492, et 35.000 Askénazim vivant en Alsace conquise par Louis XIV, et Lorraine récemment annexée. Ils y étaient écrasés et jalousés par les ratés locaux. Ephraïm Lessing affirmait  » Combien dignes d’amour seraient les chrétiens, s’ils avaient toutes les qualités des Juifs  ». Les prétendus  » Lumières  » haïssaient les Juifs, qu’ils jalousaient. L’ abbé Grégoire hurlait  » ils n’ont aucune racine nulle part, mais sont un État dans l’ État  ». Clermont-Tonnerre criait qu’il fallait tout leur refuser en tant que Nation. Il est donc flagrant que les Juifs de France devaient partir.

Bien entendu, je simplifie à l’extrême une histoire complexe. J’ ignore par exemple le Toléranzpatent de 1782 en Bohème, le Jewish Parlementary Act de 1740 pour les Juifs des colonies britanniques, la lettre de Georges Washington de 1790 aux Juifs de Newport, etc.. pour montrer combien l’ Émancipation Française fut une réelle attaque contre la Nation Juive.