Après la victoire de Jordan Bardella, le RN étale ses divisions. Des départs qui pourraient faire l’affaire de Reconquête et de Zemmour.

Jordan Bardella a été très largement élu à la tête du RN face à Louis Aliot. Le sacre a été en partie gâché par des accusations de « radicalisation » et de « purge » venues de proches de Marine Le Pen.

Net, mais pas sans bavure. Ce samedi 5 novembre, Jordan Bardella, 27 ans, a été très largement élu à la tête du Rassemblement national, l’emportant face au maire de Perpignan, Louis Aliot, avec le score écrasant de 84,84 % (36 673 votants). Il vient ainsi mettre fin à l’absence de suspense concernant la succession de Marine Le Pen et devient le premier patron du parti à la flamme à ne pas porter le patronyme qui a fait l’histoire du FN, devenu RN.

Le jeune élu a commencé son discours en rendant hommage aux « deux femmes auxquelles [il doit] tout » : sa mère puis Marine Le Pen. « Nous sommes bien plus qu’un parti : nous sommes une famille politique », a lancé Bardella. Une famille… actuellement tourmentée. Si son élection ne peut souffrir aucune forme de contestation, elle a été en partie gâchée.

D’une part, par la polémique liée aux propos jugés racistes du député RN Grégoire de Fournas à l’Assemblée, dont Bardella a dénoncé « la chasse à l’homme », puis par sa vive mise en cause samedi par des historiques du parti. Intime de Marine Le Pen et maire d’Hénin-Beaumont, Steve Briois a été évincé du bureau exécutif, organe stratégique du RN. Furieux, il a choisi de faire parler la foudre en envoyant aux journalistes un communiqué au vitriol, par l’entremise de son acolyte, le député du Pas-de-Calais, Bruno Bilde, aussi exclu du « BuRex ». Risque de « re-radicalisation » du RN avec l’élection de Bardella, « ronds de jambes faits à certains intégristes », abandon du « ni droite ni gauche », « positions droitardes », « rabougrissement », « des années de dédiabolisation en train d’être réduites à néant », écrit Briois, qui qualifie son éviction de « purge ».

« Je m’étonne que quelqu’un qui n’y siégeait plus depuis plus d’un an s’émeuve de ne plus y être (au bureau exécutif) », évacue Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen. Et balaie d’un revers de main le procès en radicalisation. « Bardella, c’est un bébé Marine, il a la ligne idéologique de Marine », poursuit l’eurodéputé. « Qui va considérer que Jordan n’est pas mariniste ? » interroge un haut cadre du mouvement, tout de même embarrassé par l’embardée Briois-Bilde. Le « clan d’Hénin-Beaumont » était déjà en guerre larvée contre Jordan Bardella depuis des mois. Elle ne fait qu’éclater au grand jour, et ne surprend à vrai dire que par l’intensité des attaques.

« Un instinct plus à droite que Marine Le Pen »

Plus radical que Le Pen, Bardella ? « Il nous a bien accueillis nous, au RN. Et on y est parfois considérés comme des centristes ! » le défend en plaisantant le député (RN) du Loiret Thomas Ménagé, issu du parti souverainiste Debout la France. Mais sur le fond, si le néoprésident ne manque jamais de redire sa fidélité à la patronne, qu’il a dénoncé samedi « les discours de division » et les « nostalgies anachroniques », certains propos à tendance identitaire tenus dans le cadre de sa campagne ont été perçus comme des œillades aux zemmouristes.

« Je le soupçonne lourdement de nous avoir repris des trucs… » glissait récemment une des figures de Reconquête. Pendant la campagne présidentielle, il avait poussé pour que Marine Le Pen occupe le terrain identitaire pour ne pas laisser la voie libre au polémiste, alors en train de grimper dans les sondages. La patronne y avait opposé une fin de non-recevoir : pas question de dévier de sa stratégie pouvoir d’achat. Certains, chez Zemmour, assurent aussi entretenir des liens avec lui.« Il n’a pas exactement le même fond politique (que Marine Le Pen). Il a un instinct qui est plus à droite. Sa ligne profonde, en résumé, c’est moins d’immigration, moins d’impôts », confie un ex du RN qui le connaît très bien. « Mais tant qu’il y aura Marine Le Pen au-dessus, rien ne changera. Il va être président, mais Marine Le Pen décidera encore », poursuit le même. « Jordan ne peut pas dévier de la ligne, il y a Marine… » souffle encore un député, en marge du congrès. Manière de souligner qu’il serait très vite rattrapé par le col.

Jordan Bardella élu président du RN, les langues se délient déjà : “C’est un bébé Marine”.

Il succède ainsi à Marine Le Pen et acte le début de l’ère d’un parti lepéniste sans un Le Pen à sa tête. Il n’est que 17h30, mais la journée a déjà été longue pour Jordan Bardella. Tout devait se dérouler comme prévu, dans la symbolique Maison de la Mutualité, au cœur du Ve arrondissement parisien. En fin de matinée, après un discours de Marine Le Pen, qui a réassuré son plein engagement, les résultats du vote ont été annoncés, sacrant le jeune dauphin président du parti à la flamme. Peu de temps après, la nouvelle composition des instances dirigeantes a été dévoilée.

C’est là que les choses se gâtent. Si le défait de l’élection interne, Louis Aliot, a conservé un poste clé, nommé premier vice-président du parti, certains de ses proches, en revanche, ont été évincés. C’est le cas du maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois (pourtant arrivé 4e au Conseil national, sorte de parlement interne du RN), et du député Bruno Bilde, tous deux proches de Marine Le Pen et représentants de la cellule historique du marinisme. Une petite révolution interne qui a eu l’effet d’une bombe et provoqué un remous interne quelques heures seulement après le sacre du nouveau président. L’édile du Nord s’est aussitôt fendu d’un communiqué de presse assassin, dénonçant une «re-radicalisation» du parti. «Je regrette que des années de dédiabolisation soient en train d’être réduites à néant, avec comme seul but de plaire à une minorité électorale», écrit-il, pointant du doigt «l’adoption de postures droitardes contraires au ni droite ni gauche qui a prévalu au Front National.» Et de conclure, justifiant son choix de ne pas avoir accepté la place que lui avait proposée Jordan Bardella au Bureau national : «Cela n’aurait été qu’un prétexte pour ne pas avouer ce qui s’apparente davantage à un début de purge contre ceux qui défendent la ligne sociale.»

«Jordan Bardella avait promis de rouler avec un char Leclerc sur leur mairie, c’est chose faite», s’amuse un observateur. Psychodrame au Rassemblement National, et déjà une fronde interne alors même que le nouveau président n’a pas encore prononcé son discours d’intronisation. «Deux frondeurs sur 36.000 votants, on a connu pire», réagit l’entourage de Jordan Bardella, ajoutant que ce dernier a proposé, la veille, à Bruno Bilde et Steeve Briois d’intégrer les instances, et que ces derniers auraient refusé. La veille, Jordan Bardella s’est effectivement entretenu avec Bruno Bilde, lui proposant de renouveler sa place au sein du Bureau national, mais de «le dégager», en revanche, du Bureau exécutif. «Je lui ai fait savoir qu’à 46 ans j’avais passé l’âge de recevoir un hochet, et ai donc refusé», indique l’intéressé. «Ils sont à l’origine du marinisme municipal, le fait qu’ils ne soient pas dans les instances dirigeantes interroge. Steeve Briois arrive 4e au Conseil national, je ne vois pas comment il peut ne pas être au BE», a pour sa part commenté Louis Aliot.

Dans l’après-midi, alors que des tables rondes se tiennent dans la Maison de la Mutualité, à l’extérieur, les choses bougent. Les journalistes se pressent autour de Steeve Briois et Bruno Bilde. L’un s’inquiète au micro de BFMTV de «revoir débarquer au sein du RN des fous furieux qui ne soient obsédés que par une chose : l’identité.» L’autre évoque le risque, pour les dissidents, de se voir durement sanctionnés, voire exclus du parti. Du côté du nouveau président, on brandit l’argument des chiffres. «Il n’y a aucune contestation : Jordan Bardella a 85% du parti avec lui, les chiffres parlent d’eux-mêmes», coupe court son entourage. Et d’ajouter : «On n’allait quand même pas nommer dans l’instance la plus importante quelqu’un qui a traité Jordan Bardella de «petit con» au cours d’une CNI, ou le bloque sur Twitter.»

Les cadres qui prennent connaissance du communiqué de presse en même temps que la presse se lancent dans une opération déminage. «Il y a toujours des déceptions dans ce genre d’élection, ce n’est pas nouveau», tempère Thierry Mariani devant une poignée de journalistes. «Jordan Bardella a été élu à 85%, insiste Laurent Jacobelli. C’est une erreur d’analyse de la part de Steeve Briois, et la dérive qu’il dénonce est clairement fausse. Il n’y a pas d’éviction ou de page qui se tourne, Steeve Briois reste maire d’Hénin Beaumont et membre du parti, mais en politique, on n’a pas de poste à vie, et il faut savoir passer le relais à certaines personnes.»

Jordan Bardella, lui, ne réagit pas. À 17h30, il se contente de monter sur scène, les yeux humides, pour prononcer son discours d’intronisation, succédant à l’allocution de Louis Aliot. Sur la fronde, il ne dit mot, et préfère assurer à ses militants : «Le RN doit être une communauté militante soudée par l’amitié et le sens des responsabilités, cette attitude doit prévaloir. Entre nous il n’y a pas de clan, seulement des camarades.» Et d’enchaîner sur un long discours, évoquant les défis qu’il devra affronter en tant que chef de parti, sa volonté de faire émerger une nouvelle génération, sans oublier de mentionner Marine Le Pen. «Au fil des ans j’ai appris que Marine Le Pen était celle qui allait nous faire passer du statut d’éclaireurs à celui de bâtisseurs, déclare le nouveau président frontiste. Nous continuerons à marcher sur nos deux pieds : en prenant en considération l’urgence de la fin du mois et celle de la fin de la France.» Et d’ajouter : «Avec nous la France éternelle, ce legs qui vient du fond des âges, odyssée humaine, linguistique, culturelle et civilisationnelle ne s’éteindra jamais.» Le discours s’achève sous une pluie d’applaudissement, de paillettes et sur les notes de la Marseillaise. Les militants quittent la salle, peu à peu. Jordan Bardella, lui, fonce dans un taxi pour rejoindre les locaux de TF1, où il est l’invité, ce soir, de son premier 20 heures.

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