En juin 2014, le Kremlin a proposé d’installer une ligne rouge sécurisée le reliant au bureau du premier ministre israélien, attribut des interlocuteurs de marque. Mais rien ne vaut un tête-à-tête lorsque l’heure est grave. Benyamin Nétanyahou est attendu à Moscou, lundi 21 septembre, pour une entrevue avec Vladimir Poutine, huit jours avant que le président russe n’intervienne à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies pour lancer un appel au rassemblement contre l’organisation Etat islamique (EI). L’annonce de ce déplacement inattendu a été précédée par des articles dans la presse israélienne puisés aux meilleures sources. Ils relayaient les inquiétudes officielles sur les conséquences du renforcement militaire russe en Syrie, au secours du régime de Bachar Al-Assad.
Des chasseurs MIG-29 en vol de démonstration, lors du Salon international de l’aviation et de l’espace de Joukovsky, non loin de Moscou, le 21 août. KIRILL KUDRYAVTSEV/AFP
Les indices de ce déploiement s’accumulent, sur la base de Tartous mais aussi à Lattaquié, fief du clan Assad. Un millier de soldats russes seraient attendus, avec des avions de chasse Mig-29 et des batteries de défense aérienne SA-22. Selon une source israélienne, des hélicoptères de type Mi-28, avec vision nocturne, se trouvent aussi sur place. La Russie examinera « naturellement » la possibilité d’envoyer des troupes si le gouvernement syrien en fait la demande, a commenté, vendredi 18 septembre, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.
Sur le fond, Israël n’y trouvera pas à redire, croit savoir Fiodor Loukianov, directeur de la revue La Russie dans la politique globale et membre du Conseil pour la sécurité et la défense de la Russie. « Le pouvoir qui remplacerait Assad serait sans doute encore pire pour lui que l’actuel, avec lequel Israël était parvenu à un certain statu quo. Nétanyahou est donc peu ou prou sur la même ligne que Poutine », observe-t-il.
M. Nétanyahou ne peut s’opposer à ce déploiement, pour l’heure à vocation défensive, destiné à empêcher une avancée djihadiste vers les zones vitales côtières. Le premier ministre cherche à s’assurer d’une forme de coordination opérationnelle, tant le nombre d’intervenants extérieurs complique la donne en Syrie. Selon Sarah Fainberg, de l’Institut pour les études nationales de sécurité, à Tel-Aviv, « Nétanyahou veut négocier avec la Russie un futur ordre régional ». « C’est ce que tout le monde essaie de faire, les Saoudiens comme les Turcs ou les Egyptiens. Aujourd’hui, Israël entre dans la conversation. »
Renforcement de l’Iran dans la région
Cet engagement russe risque aussi, aux yeux de Tel-Aviv, de consolider l’emprise régionale de l’Iran et de renforcer le Hezbollah, la milice chiite libanaise ennemie d’Israël et engagée aux côtés de l’armée syrienne. L’Etat hébreu a tenu, depuis quatre ans, à ne pas apparaître comme un acteur dans le chaos syrien. Mais il veille à éviter tout débordement de violence sur le plateau frontalier du Golan, qu’il occupe, ainsi qu’à empêcher tout transfert d’armes sophistiquées vers la milice libanaise, considérée comme une excroissance du régime iranien. Le Hezbollah, dont « cinq à sept mille hommes » sont engagés en Syrie, selon une source israélienne bien placée, a, par exemple, utilisé dans le passé des missiles antichar Kornet, de fabrication russe, contre l’armée israélienne.
« De façon non officielle, Israël a déjà bombardé à 14 reprises les convois d’armements destinés au Hezbollah, souligne la chercheuse Sarah Fainberg. Il s’agit d’une guerre non avouée avec l’Iran. Or le fait que Moscou décide de protéger le territoire encore contrôlé par Assad renforce les positions de l’Iran dans la région. » La coordination entre Iraniens et Russes dans leur déploiement militaire en Syrie est acquise, selon les responsables israéliens. Ils évoquent notamment les deux visites à Moscou du général Ghassem Soleimani, le chef d’Al-Qods, la force iranienne secrète d’intervention extérieure, qui aurait déjà engagé des centaines d’hommes en Syrie. « Non, je ne peux pas confirmer [sa venue]. Je n’ai pas de telles informations », a éludé M. Peskov, de nouveau interrogé sur le sujet le 15 septembre.
Un sujet bilatéral reste très sensible : la menace d’une livraison de missiles S-300 par la Russie à l’Iran, d’ici à la fin 2015. En 2010, la Russie avait gelé ce contrat, en mettant en avant les sanctions internationales contre Téhéran. Au cours de sa précédente visite à Moscou en novembre 2013, M. Nétanyahou avait tenté, en vain, de convaincre M. Poutine d’annuler la vente. L’entretien, qui avait pris fin à minuit après trois heures d’échanges, s’inscrivait dans une offensive diplomatique israélienne sur le nucléaire iranien, à la veille de négociations cruciales à Genève.
Mais en avril, après l’accord-cadre de Lausanne sur ce programme nucléaire, M. Poutine a estimé qu’il n’y avait plus de raison valable empêchant la réalisation du contrat. Selon plusieurs sources, la livraison des missiles S-300 pourrait intervenir « avant la fin de l’année », à condition que les parties s’accordent sur le prix. Le règlement de ce contentieux permettrait de préserver les intérêts de la Russie lors de l’ouverture du marché iranien. Le président Hassan Rohani a fait partie des invités de marque de Vladimir Poutine lors du sommet d’Oufa, dans l’Oural, au mois de juillet. C’est alors que le chef du Kremlin avait lancé son idée d’une coalition alternative contre l’EI.