Hegel, historien de la philosophie (IV et fin)

Maurice-Ruben Hayoun le 02.11.2020

Dans cette Histoire de la philosophie, le grand penseur berlinois, qui prédisait qu’après lui, on se contentera de répéter et de rabâcher, car il aura, lui, accompli le tour complet de tous les concepts, Hegel analyse, point par point, ce qui fait l’essence même du penser, les notions fondamentales, ce qu’elles impliquent et il en profite pour souligne l’aspect foncièrement intellectualiste de son approche des choses, du réel.

On a déjà évoqué dans les précédents papiers le paradoxe entre le but ultime du philosopher, trouver la vérité, accéder au vrai, et la diversité des philosophies qui se contredisent les unes les autres.

Hegel écrit même que la forêt des philosophies fait perdre de vue la philosophie. Il signale aussi que chaque système de pensée élève la même prétention : être mieux fondé que tous les autres.

Hegel parle devant ses étudiants et procède de manière systématique puisqu’il énumère les unes après les autres , les notions fondamentales, les règles de la pensée. La notion, l’idée, l’en soi, l’être là, le germe, etc…

Il serait fastidieux, voire rébarbatif de reprendre toutes ces nations de matière détaillée. Je préfère signaler que Hegel met en connexion certaines idées, comme la liberté de l’homme, avec d’autres points.

Et cette idée de liberté lui donne l’occasion de porter des jugements plus personnels, par exemple sur l’esclavage qui existait encore de son temps chez les Orientaux alors que dans les sociétés qui l’on aboli , l’évolution historique se fait de manière différente. Je relève entre autres, cette phrase : L’homme n’est libre que s’il se sait…

Cette notion de science, de savoir est déterminante dans le système hégélien.. C’est la raison pour laquelle, certains peuples ne savent pas qu’ils sont libres ni la valeur qui revient à la liberté.

Il ne faut pas commettre d’anachronisme et faire reproche au philosophe d’avoir développé certaines idées héritées des préjugés de son temps.

Au milieu du XIXe siècle, les consciences n’avaient pas les mêmes exigences qu’aujourd’hui.

Juger ainsi des Orientaux et donner l’avantage et la supériorité aux Occidentaux, n’est guère étonnant en ce temps là…

Se savoir, écrit il, c’est être là en esprit. Toute substance, toute réalité, tout contenu relève de l’esprit.

Encore et toujours cet intellectualisme hérité de la philosophie d’Aristote, mais aussi de Platon et qui connut son heure de gloire au Moyen Age puisque même les représentants des trois grands monothéismes y ont puisé des arguments pour défendre leurs paroisses respectives…

Les autres peuples sont eux aussi libres, mais n’existent pas comme libres, c’est là l’origine de l’immense modification du monde à savoir si l’homme n’est libre qu’en soi ou bien s’il se rend compte que sa notion, sa détermination, sa nature est d’être un individu libre… L’Européen se sait, il est pour lui-même objet.

Je voudrais revenir un instant sur la notion de germe car elle joue un rôle de premier plan dans la théorie de la connaissance de l’auteur et conditionne largement son rapport au monde visible.

L’arbre tout entier est contenu dans le germe, au terme d’une longue évolution il se développe, plonge ses racines dans le sol nourricier, fait croître des branches, un tronc, des rameaux, des feuilles, une temporalité saisonnière, etc…

Ce qui signifie, en clair, que quand vous savez tout cela, vous pouvez vous faire une juste conception de l’univers et de tout ce qui vous entoure. Une Weltanschauung, pour reparler en allemand.

La différence qui sacre la supériorité de l’homme par rapport à tout le reste, c’est qu’il est le seul à savoir qui il est. Le seul être animé d’une raison pensante (l’homme est essentiellement raison, l’homme est raison). Tout est dit.

Voici un passage qui illustre la vénération de la Raison par Hegel qui élabore largement le thème même de la histoire de la philosophie et à l’introduction à cette même science.

Il est intéressant de noter que là aussi, Hegel parle d’événements religieux, tant les deux approches semblent liées dans son esprit :
Le temple de la raison consciente d’elle-même est plus élevé que celui de Salomon et que d’autres temples construits par les hommes. On y a bâti suivant la raison et non comme les juifs ou les francs-maçons construisent celui de Salomon.

On peut croire que cela s’est fait rationnellement, c’est une autre façon d’avoir foi en la Providence. Ce que la pensée a produit, c’est ce qui vaut le plus dans le monde. Il ne convient donc pas de trouver la raison seulement dans la nature et non dans le domaine de l’esprit, de l’histoire etc…

Si l’on croit d’une part, que la Providence a régi le monde, et d’autre part, que les événements universels dans le domaine de l’esprit… sont contingents, il y a contradiction ; ou plutôt on ne croit pas sérieusement, et c’est un vain bavardage ; ce qui est arrivé en effet ne s’est fait qu’en vertu de la pensée de la Providence.

Au fur et à mesure de son avancée dans le traitement d’un si vaste sujet, Hegel reconnaît qu’en un seul semestre d’enseignement il n’a pas pu dire grand’ chose.

Il convient donc, dit-il, de passer à l’essentiel car on ne peut pas résumer plusieurs millénaires de spéculations philosophiques ; il faut faire un tri.

Et ceci s’applique aussi à compte –rendu qui ne peut pas s’étendre indéfiniment. Mais jetons ensemble un coup d’œil sur les autres formations de l’esprit qui s’apparentent à la philosophie, à savoir la religion, l’art et les autres sciences humaines.

La philosophie, écrit Hegel, n’est donc qu’un côté de la formation d’ensemble de l’Esprit. Par ailleurs, toute philosophie est le produit d’une époque déterminée, avec ses croyances religieuses, sa mythologie et sa moralité sociale. Il convient de tenir compte de toutes ces conditions, de ces données sans lesquelles aucune activité intellectuelle ne peut se dérouler.

Dans les pages suivantes, Hegel assigne à la philosophie une origine étonnante, elle serait née d’une énorme désillusion. Pour qu’une philosophie se produit au sein d’un peuple, il faut qu’il y ait eu une rupture avec le monde réel.

La philosophie se met alors en quête d’une conciliation qui ne peut se trouver que dans le monde idéal, celui de l’esprit où se réfugie l’homme lorsqu’il n’est pas satisfait du monde terrestre. Donnons la parole à

Hegel :
La philosophie commence par la ruine d’un monde réel Quand elle apparaît en répandant, peignant gris sur gris, ses abstractions, la fraîche couleur de la jeunesse, sa vitalité est passée. Assurément, c’est une conciliation qu’elle apporte, mais dans le monde de la pensée, non dans le monde terrestre. C’est ainsi que les Grecs s’écartèrent de l’Etat, quand ils commencèrent à penser. et ils commencèrent à penser quand, au dehors, dans le monde, tout était orageux et misérable, ainsi à la guerre du Péloponnèse . Alors les philosophes se retirèrent dans leur monde spirituel. Ils furent des paresseux, ainsi les nommait le peuple.

Et Hegel d’ajouter :
Il en est ainsi chez tous les peuples, pour ainsi dire, la philosophie ne fait son apparition que lorsque la vie publique ne satisfait plus et cesse d’intéresser le peuple, quand le citoyen ne peut plus prendre part à l’administration de l’Etat…

Le rapprochement pourra paraître étrange ou aventureux à certains, mais Montaigne l’avait deviné bien avant : Philosopher, c’est apprendre à mourir.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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