La loi de Séparation a plus de cent ans…

 

Les donnés du problème

 

Depuis quatre ou cinq décennies, on vit une rupture, plus ou moins criante selon les cas, de l’homogénéité de la société française. Les deux grandes cultures religieuses qui se partageaient les croyances des citoyens, le christianisme et le judaïsme, doivent désormais composer avec un nouvel arrivant, l’islam, devenu entretemps la deuxième religion de France. A l’aune des événements tragiques que nous vivons dans l’immédiat, on peut dire que les autorités compétentes de l’époque n’avaient pas mesuré les conséquences d’une telle mutation sociologique ; il faut rattraper le retard accumulé : construire de nouveaux lieux de prière, intégrer ces populations rejetées à la marge de la vie urbaine dans des banlieues reculées, s’occuper d’effectifs scolaires laissés à l’abandon au point que des réactions d’enfants, face aux actes terroristes, nous glacent le sang… Face à de tels bouleversements, l’Etat doit-il camper sur ses positions ou doit-il, au contraire, revoir les règles fondamentales de la laïcité grâce auxquelles notre vivre-ensemble a été possible ? L’Etat doit développer un «nouveau penser» ?

 

L’Etat et les religions : les différentes approches en Europe

 

La loi du 9 décembre 1905 (publiée au Journal Officiel le 11), dite loi de Séparation des Eglises et de l’Etat représente, la colonne vertébrale de la laïcité française. Chaque pays, même d’Europe, a sa propre histoire qui se reflète dans les législations qu’il se donne. Comparons la France à l’Allemagne : alors que nos deux pays renforcent leur étroite collaboration dans tous les domaines, nos vécus historiques respectifs restent nettement différents : Les états germaniques furent secoués par la guerre de trente ans qui ne se termina qu’en 1648 avec les traités de Westphalie. Pourtant, l’Allemagne n’a pas fondamentalement changé d’attitude vis-à-vis de la religion et des croyances. La religion y est toujours considérée dans les lycées, les collèges et les universités comme une matière académique à part entière. La Bible, notamment de Luther, a été et continue d’être le laboratoire dans lequel s’est forgée la langue allemande. Celle-ci trahit une parenté presque congénitale avec le langage biblique qui lui a servi de matrice. Les grands esprits allemands ont tous eu une formation théologique ou au moins philosophico-religieuse : peu de gens savent que le jeune Goethe s’est essayé à l’exégèse biblique (notamment les chapitres de la Genèse sur Joseph en Egypte) et que le jeune Hegel, du temps où il étudiait à Tübingen, projetait d’écrire une biographie de Jésus !

En France, les choses se sont présentées sous un jour radicalement différent.  Nous avons certes eu un Pascal et un Malebranche, deux éminents moralistes, mais jamais une personnalité de la taille d’un Luther ou d’un Calvin. Certes, la France est la fille aînée de l’église, certes, sa culture est largement imprégnée de théologoumènes chrétiens, mais en Allemagne, les dimensions sont tout autres… Le souci majeur de la France au cours des siècles a toujours été d’instaurer et de maintenir la paix religieuse. D’où la fluidité terminologique de la loi de séparation de 1905 : elle parle plus des cultes que des religions, elle fait plus référence à la République qu’à l’Etat, et enfin, elle mentionne les Eglises et non l’Eglise, étant entendu que c’est le catholicisme qui était  jadis visé,

 9-décembre-1905-laïcité

Une comparaison linguistique

Les Français croient assez naïvement en l’universalité de leurs propres valeurs et s’étonnent de constater qu’elles ne sont pas vraiment partagées par tous. Ceci vaut aussi de la laïcité, un mot dont on du mal à trouver des équivalents stricts dans d’autres langues européennes (l’allemand par exemple), sans parler des langues comme l’arabe et l’hébreu.

La civilisation européenne repose sur des valeurs judéo-chrétiennes ; sa vision du monde en est imprégnée et jusqu’à ce jour la véritable constitution spirituelle de l’Europe n’est en réalité qu’une charte éthique, celle de l’humanité civilisée, le Décalogue. Carl Schmitt, un éminent juriste qui s’était un peu compromis avec le national-socialisme avait regroupé quatre de ses conférences publiées sous le titre Théologie politique. Il signifiait par là que les valeurs de l’Etat moderne étaient en réalité des thèmes religieux laïcisés. Il nous propose une sorte de genèse religieuse du politique.

La laïcité est censée protéger la société du communautarisme. Et aujourd’hui, ce terme désigne pudiquement la même communauté religieuse dont certains membres ont du mal à s’accommoder d’une expression rabougrie de la religion au sein de la société. Il suffit d’écouter un discours en langue arabe pour voir que sur tous les sujets, Dieu et la religion sont omniprésents et connaissant une très forte récurrence : doit-on rappeler que le terme arabe pour laïcité a été  créé par des chrétiens libanais au début du XXe siècle. Ils prirent le terme arabe pour désigner le monde (‘alam) et le dotèrent d’une désinence abstraite pour former un substantif : alamaniya. Plus tard, on procéda à une re-vocalisation almaniya qui ne changeait rien au fond du problème. La langue arabe distingue donc entre les choses de ce monde, la mondanité (et cela lui tient lieu de laïcité) et les choses de l’autre monde. Mais sa culture lui interdit d’ériger une séparation hermétique entre ces deux ordres, le terrestre et le divin, le profane et le religieux. Le monde ne jouit pas d’une autonomie pleine et entière comme dans la philosophie antique de Platon et d’Aristote. Il reste accroché et soumis à Dieu.

L’hébreu allait dans la même direction, même si la laïcisation du néo-hébreu a bien fonctionné. Le laïc aujourd’hui en Israël est assimilé au profane, ce qui n’est pas la même chose que la notion de laïcité.

 

Que faire aujourd’hui, lors que la loi de 1905 a plus de cent ans ?

 

Faut-il changer la loi et en modifier certains articles aujourd’hui ? Un siècle s’est écoulé depuis la promulgation de cette loi (ou devrions- nous plutôt dire ces lois puisque compléments et modifications furent apportées jusqu’en 1924), après que les accords Briand-Cerreti, eurent été soumis à l’approbation du pape Pie XI qui les déclara conformes aux statuts sacrés de l’Eglise en publiant l’encyclique Maximam gravissimamque du 18 janvier 1924.

 

            Et en 1866, un savant de l’envergure d’Ernest Renan écrivait ces paroles apaisantes dans le second volume des son Histoire des origines du christianisme, intitulé Les Apôtres (Paris, Calman-Lévy, p LXI) :  Si notre Eglise nous repousse, ne récriminons pas ; sachons apprécier la douceur  des mœurs modernes, qui a rendu ces haines impuissantes. Consolons nous en songeant à cette Eglise invisible  qui renferme les saints excommuniés, les meilleures âmes de chaque siècle. Les bannis de l’ Eglise en sont toujours l’élite ; ils devancent le temps ; l’hérétique d’aujourd’hui est  l’orthodoxe de demain.

Comme me le faisait récemment remarquer mon éminent ami, Monsieur le préfet Jean-Paul Faugère, une meilleure prise en compte des préoccupations spirituelles de l’homme s’impose dans nos sociétés. Après tout, même l’humanisme st nécessaire dans le jeu social. Rejeter catégoriquement cette aspiration humaine à la spiritualité, même d’essence religieuse, la chasser du champ socio-culturel, est ressenti dans certains milieux comme une mutilation, voire une amputation. Certains membres des communautés musulmanes ou maghrébines ressentent comme une blessure, voire comme une atteinte à leur identité profonde ces garde-fous érigés par la laïcité. Mais la désacralisation de la société, le rejet des valeurs traditionnelles, mises à mal par une permissivité effrénée dressent autant d’obstacles sur la voie de l’intégration qui apparaît sous un double visage, à la Janus : un visage souriant et engageant qui masque un autre visage, grimaçant et menaçant. Certes, la religion, quelle qu’elle soit, doit rester à sa place, elle ne doit pas polluer les rapports sociaux. En revanche, on doit faire un effort dans la connaissance des grandes cultures religieuses. Et à quoi assistons nous depuis quelques années ? A une reconnaissance du bout des lèvres du fait religieux, comme une réalité incontournable mais dont on se serait bien passé, un peu comme si on allait à reculons vers ce qui constitue chez l’homme l’aspiration existentielle la plus forte. On doit développer la science des religions comparées et la critique philosophique des traditions religieuses. C’est l’ignorance qui attise le fanatisme et l’intolérance. Les trois monothéismes partagent des valeurs communes car ils sont fondés sur des sources communes. Un grand philosophe allemand, prématurément disparu en 1929, Franz Rosenzweig, avait sagement écrit que Dieu a peut-être créé le monde mais qu’il n’a jamais créé de religion… Ceci est une belle leçon de tolérance et une exhortation au vivre-ensemble.

 

 On ne doit pas changer l’esprit de la loi qui stipule que la France est une République laïque, que (article 1) la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… (article 2) que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte…

 

La loi doit s’élargir car l’ennemi à combattre n’est plus le même : ce n’est plus le cléricalisme, c’est le communautarisme et la haine religieuse. L’église catholique qui joue un rôle positif de premier plan dans ce pays doit continuer à animer ses fondements spirituels. On n’est plus en 1795 où le protestant Boissy d’Anglas avait tenté d’introduire ce fameux «découplage» entre les droits civiques et les convictions religieuses.  Le principe républicain a prévalu. C’est lui qu’il convient de renforcer en lui donnant une nouvelle approche de l’aspiration des hommes à la spiritualité. Il faut un nouveau Penser.

 

Maurice-Ruben HAYOUN

MRH petit

 

 

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