Comment le Japon repense l’utilisation de ses chars en prévision d’un éventuel affrontement avec la Chine

Malgré quelques succès au début de la Seconde Guerre mondiale, les blindés japonais ont été désespérément surclassés par les chars alliés dès que ceux-ci sont arrivés en grand nombre. Ces expériences et la menace d’une invasion soviétique ont conduit les Japonais à consacrer beaucoup plus d’efforts à la conception des chars d’après-guerre. Dans les années 1990, le Japon disposait d’une force blindée importante et performante.

Mais la Force d’autodéfense japonaise (JSDF) a dû se recalibrer au cours des dernières décennies. La menace que représente la montée en puissance de la Chine a obligé la force d’autodéfense terrestre du Japon (GSDF) à passer d’une force à forte intensité de blindage et d’artillerie basée dans le nord du pays — où elle aurait répondu à une invasion soviétique — à une force plus mobile capable d’atteindre le sud-ouest du Japon à tout moment.

Pour atteindre cet objectif, la JSDF procède à un certain nombre de changements, notamment en investissant massivement dans les capacités de transport, en concevant de nouveaux véhicules blindés et en réformant l’armement des blindés de la GSDF.

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Repousser les Soviétiques

Des chars de combat principal Type 61 lors d’un exercice à Camp Fuji au Japon, le 18 novembre 1985. US Defense Department

La force des chars du Japon était en fait assez moderne et innovante pendant son développement entre les deux guerres mondiales. Mais alors que l’Allemagne et les Alliés disposaient de la capacité industrielle nécessaire pour moderniser ou créer de nouveaux chars pendant la Seconde Guerre mondiale, l’industrie japonaise était, comparativement, limitée.

De plus, étant donné que les plans japonais dans cette guerre impliquaient de pousser vers le sud dans des zones où des batailles massives de chars étaient peu probables, la plupart des financements et des ressources sont allés à ses services navals et aériens. Après la guerre, le Japon — qui avait désormais accès à la technologie et aux conceptions occidentales et était convaincu de l’importance des chars — s’est concentré sur le développement d’une force blindée capable de faire face aux Soviétiques.

Pendant la majeure partie de la guerre froide, la force blindée japonaise était composée des chars de combat principal Type 61 et Type 74, armés respectivement de canons de 90 mm et 105 mm. Ces deux modèles étaient performants pour leur époque et ont été utilisés en grand nombre.

En 1990, la GSDF a introduit le Type 90. Avec ses 50 tonnes et son canon de 120 mm, c’est un char de premier ordre. Équipé d’un blindage composite modulaire, d’un télémètre laser, d’un ordinateur de conduite de tir, d’une vision thermique et nocturne et d’un chargeur automatique, il est similaire au Leopard 2A4 allemand.

Les Japonais pensaient que Hokkaido, l’île la plus septentrionale du territoire et la plus proche du territoire soviétique, serait la ligne de front de toute invasion, et la plupart des chars japonais y étaient stationnés.

En 1976, la GSDF comptait quelque 1 200 chars et environ 1 000 pièces d’artillerie, principalement à Hokkaido, où une grande partie de cette force blindée est toujours stationnée.

Plus légers et mobiles

Des chars de combat principal Type 74 lors d’un exercice de tir réel au pied du Mont Fuji, le 24 août 2017. Tomohiro Ohsumi/Getty Images

La menace d’une invasion russe étant pratiquement réduite à néant depuis la fin de la guerre froide, la JSDF a décidé de réduire le nombre total de chars, qui est passé d’environ 900 en service en 1995 à environ 570 aujourd’hui.

La JSDF prévoit de réduire ce total à 300 dans les années à venir.

La GSDF a continué à acquérir des Type 90 pour remplacer les anciens Type 61 et Type 74, et le Japon a continué à développer de nouveaux véhicules blindés, mettant en service le char de combat principal Type 10 et le véhicule de combat mobile Type 16 au cours de la dernière décennie.

Introduit en 2012, le Type 10 est destiné à remplacer le Type 74 et à compléter le Type 90. Avec ses 48 tonnes à pleine charge, le Type 10 est plus léger et plus maniable que le Type 90. Alors que la taille du Type 90 le limite aux opérations à Hokkaido et autour du Mont Fuji, le Type 10 peut opérer partout où la loi japonaise le permet.

Un char japonais Type 10, en haut à gauche, accompagné d’un Type 90, en haut à droite, et d’un véhicule de combat Type 16, en bas, pendant un exercice, le 12 janvier 2020. KAZUHIRO NOGI/AFP via Getty Images

Le Type 10 est doté d’un blindage modulaire en composite céramique avec de l’acier nanocristallin. Les modules peuvent être ajoutés ou retirés en fonction de la mission ou des dommages. Il dispose également d’un canon de 120 mm et d’un chargeur automatique.

La suite électronique est peut-être la caractéristique la plus impressionnante du Type 10, avec un système de commande et de contrôle avancé qui lui permet de communiquer et de partager des informations avec les chars et les unités JGSDF à proximité.

Le Type 16 a été introduit quelques années après le Type 10. Bien qu’il soit sur roues, il possède une tourelle de char et fonctionne comme un char léger, menant des combats rapprochés, des contre-attaques et un soutien d’infanterie à tir direct.

Armé d’un canon rayé de 105 mm et ne pesant que 26 tonnes, le Type 16 peut circuler en toute sécurité sur l’ensemble du réseau routier japonais et être transporté dans les avions de la Force d’autodéfense aérienne.

Une nouvelle menace au sud

Un Type 16 lors d’un exercice de tir réel au Japon, le 23 mai 2020. CHARLY TRIBALLEAU/POOL/AFP via Getty Images

L’adoption de chars plus légers peut sembler contre-intuitive, mais elle s’inscrit en fait parfaitement dans le cadre de la force que la JSDF est en train de constituer — une force capable de faire face à la nouvelle menace que représente la Chine au sud-ouest du Japon.

« À mesure que l’on s’éloigne de la guerre froide et que différentes menaces apparaissent, le Japon commence à modifier sa réflexion globale en matière de défense, en se demandant d’où émane la véritable menace », explique Jeffrey Hornung, expert en sécurité japonaise et en politique étrangère à la RAND Corporation.

« Cela commence à se cristalliser, vraiment au cours des dix ou quinze dernières années, [et] c’est la menace chinoise », souligne Jeffrey Hornung auprès d’Insider.

Cette menace, principalement aérienne et maritime, se concentre sur les îles Senkaku, que le Japon administre mais que la Chine revendique, en les considérant sous le nom d’îles Diaoyu.

Les dirigeants japonais estiment qu’étant donné que la Chine n’essaie pas d’exporter une révolution mondiale comme l’Union soviétique et qu’elle se concentre uniquement sur les Senkaku, une invasion terrestre à grande échelle de ses îles principales reste peu probable.

« Ils ne prévoient pas que la Chine fasse une sorte d’invasion amphibie du territoire japonais, et donc dans cet environnement, ils ne voient pas la nécessité de l’artillerie lourde et des chars ». a déclaré Hornung.

« Au lieu de cela, ils considèrent qu’il y a toutes ces îles dans la chaîne d’îles du sud-ouest et que si les GSDF doivent être impliquées, elles doivent s’y rendre rapidement et avoir la capacité de combattre dans cet environnement », a ajouté Jeffrey Hornung.

La nécessité d’un déploiement rapide

Des soldats japonais sortent d’un véhicule blindé lors d’un exercice, le 30 août 2003. Koichi Kamoshida/Getty Images

Les chars seraient toujours essentiels si la Chine devait attaquer les grandes îles du Japon, où vivent des milliers de personnes. C’est pourquoi la GSDF développe des divisions et des brigades à déploiement rapide, dont une nouvelle unité spécialement formée à la guerre amphibie.

Elle acquiert également des véhicules blindés et des systèmes d’artillerie plus transportables, en mettant l’accent sur la capacité anti-navires et anti-aérienne, et en achetant des avions à rotors basculants V-22 Osprey pour faciliter le transport de ses soldats.

Mais la GSDF est toujours confrontée à des problèmes, notamment son manque de capacité de transport maritime.

Bien que la principale menace soit perçue comme étant dirigée vers les îles du sud-ouest du Japon, la moitié des unités opérationnelles de base rapidement déployables de la GSDF sont toujours basées à Hokkaido.

Si le Type 16 peut être déployé par voie aérienne, le Type 90 et le Type 10 devraient être transportés par voie maritime. La majorité de ses soldats et de son matériel devraient également être déployés par bateau, en particulier s’ils sont destinés aux îles périphériques du Japon.

Les seuls navires capables d’accomplir de telles tâches dont dispose la force maritime d’autodéfense du Japon sont ses trois navires de débarquement de chars de la classe Ōsumi. Le Japon prévoit d’acquérir trois nouveaux navires de transport d’ici 2024, mais ceux-ci sont considérablement plus petits, et le nombre total de navires capables resterait dangereusement faible.

« Ils ont développé ces capacités [de déploiement rapide] sans plus de coordination sur le transport aérien et maritime des autres services qui est nécessaire, et c’est là qu’il y a un problème », estime Jeffrey Hornung.

Version originale : Benjamin Brimelow/Insider

Business Insider Mis à jour le 11/05/2021 à 10h18 Tech

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