Existe-t-il une vérité religieuse ?

La forme interrogative est essentielle car il ne s’agit pas ici de faire de l’apologétique, mais de pénétrer au plus profond du phénomène religieux presque exclusivement fondé sur le mystère de la Révélation, qu’elle soit réelle ou supposée, et aussi sur les miracles dont la tradition religieuse rend compte. Avec plus ou moins de bonheur.

Il s’agit donc d’examiner d’assez près les prétentions de toute religion à la véridicité, de réfléchir sur les relations entre une religion en général et la vérité en tant que telle. On ne va pas mesurer le degré de fiabilité ou de solidité d’une religion par rapport à une autre ; on n’établit pas un degré plus ou moins élevé de l’une par rapport à l’autre. Il convient simplement de voir si l’ordre du religieux peut ou doit se rapprocher de l’ordre de la vraisemblance et de l’évidence scientifiques. Vu l’étendue du sujet, e serai contraint d’aller vers les grandes lignes et de voir si chaque système religieux dispose de son propre registre.

Un penseur comme Blaise Pascal conçoit la vérité mathématique comme un édifice assez rigoureux même s’il admet en sa créance des éléments de la foi chrétienne que d’autres penseurs qualifient de mythologie. Quand ils se voient reprocher des approches irrationnelles ou supra rationnelles, les théologiens ou les historiens des religions les plus fidéistes, répliquent que la foi, la croyance, se situe au-dessus de la démonstration et qu’on peut croire, même si c’est absurde… La rationalité n’est donc plus l’arbitre suprême, mais c’est autre chose : par exemple, une tradition religieuse autoproclamée plurimillénaire, disposant de sources à la fois écrites et orales, et décrivant des épiphanies dont quelques rares personnes furent les témoins. Quel est le niveau de fiabilité de tels témoignages ?

Contrairement à la vérité scientifique qui produit des preuves véritables, et vérifiables par tous, la vérité religieuse aborde un domaine plus mouvant et qui nécessite aussi tout un appareil exégétique dont les résultats sont parfois contestés par les propres adeptes d’une même religion. Comment faire son choix ? Quel critère retenir pour accéder à cette Vérité tant recherchée ?. Car, si elle se fonde sur une Révélation -et c’est le cas des trois monothéismes- on peut s’interroger sur cette pluralité d’approches… Pourquoi une même et unique Révélation est elle interprétée diversement, au point que la vérité de la religion conduit le plus souvent à la guerre des religions ?

Si l’on s’en tient à des argumentaires purement religieux, c’est-à-dire fondés sur une approche religieuse, on va à l’affrontement pur et simple : c’est une parole contre une autre parole, un credo contre un autre credo, ce qui ne mène à rien. Deux interventions peuvent être bénéfiques dans ce contexte, dans la mesure où les adeptes concernés, en font la demande et en acceptent les conclusions, ce qui n’est pas toujours évident… Il s’agit de la science historique qui examine objectivement les éléments de l’édifice religieux (judaïsme, christianisme et islam) ; et aussi de la philosophie qui aide à asseoir intellectuellement et spirituellement des dogmes, qui seraient inadmissibles par ailleurs . En outre, sans chercher à donner des conclusions hâtives, la vraie religion est celle qui est éclairée philosophiquement.

Ce fut la règle durant la longue période médiévale. Mais dans ce cas précis, la conscience religieuse avait rabaissé la philosophie à un rôle ancillaire: la maîtresse était la théologie, la science religieuse, et la servante la philosophie. Aucun des trois monothéismes n’a échappé à cette grande tentation ; soumettre les raisonnement logiques au dogme, seule vérité reconnue par la religion. Mais voila, même si nous avons eu durant de longues périodes une philosophie dogmatique dont Kant nous a affranchis, de tels dogmes religieux sont presque indéracinables. D’où la violence des mouvements de réforme au sein des églises.

Dans sa recherche du vrai, la religion ne peut s’appuyer que sur sa propre tradition, ses jurisconsultes et ses héritages transmis par les siècles précédents. On a coutume de situer le débat de la Renaissance à la fin du Moyen Âge, une fois que la tutelle de l’église se fit moins lourde, moins pesante. Il faut souligner un fait qui a joué un certain rôle dans cette notion de vérité religieuse : c’est la tolérance ou l’intolérance dont on faisait preuve. Michel Servet a mal fini en raison de son imprudence à contester une vérité dite religieuse. Ce fut un temps au cours duquel se séparer des enseignements de notre «sainte mère l’église» pouvait vous coûter la vie… Et les communautés juives du monde entier sen savent quelque chose…

Je me souviens des années où je traduisais le maître livre de Eliya Delmédigo, mort en 1493) L’examen de la religion (Behinat ha-dat) , j’y avais trouvé une phrase où le cardinal Frederico Grimani lui avait interdit de se mêler de toute controverse religieuse. En effet, comme tout bon penseur non chrétien, le penseur juif avait pu critiquer les dogmes chrétiens à l’aide d’arguments puisés chez Aristote.

Il manquera toujours à la notion de vérité religieuse un élément primordial, c’est-à-dire l’universalité. La première marque de la vérité n’est autre que l’universalité : deux et deux font quatre, même pour Dieu, nous enseigne Kant. Faut-il croire en la consubstantialité, en l’ l’immaculée conception, en la forme divino-humaine de Jésus etc… Tous ces dogmes sont des articles de foi du catholique moyen qui y adhère de toutes fibres de son être.

Que ce soit Maimonide, Albert le Grand ou Averroès, tous ces penseurs se doublaient d’exégètes; ils étaient des philosophes-herméneutes qui pratiquent ce que le grand Léo Strauss nommait Persecution and the art of writing… Dans son Guide des égarés Maimonide est allé jusqu’à user de sept principes de la contradiction afin d’échapper à la censure et de se prémunir contre d’éventuelles condamnations pour hérésie, choses qui ont fini par s’abattre sur lieu après sa mort. Toute son œuvre philosophique consiste à éclairer les texte religieux, présenté comme l’objet de la Révélation, par un commentaire philosophique ou une exégèse allégorique.. Et dès son introduction, il dit vouloir semer ceux de ses lecteurs qui entreprendraient l’étude de son œuvre sans formation philosophique préalable. La vérité religieuse, certes, mais pas pour tous..

Quand on pose la question de l’existence d’une vérité religieuse, cela ne veut pas dire qu’on compare la teneur en validité en en véridicité de chacune des religions examinées. On s’interroge simplement sur la solidarité de la construction théologique de telle religion ou de telle autre. Le monothéisme, par exemple, représente un progrès par rapport à l’idolâtrie ou au culte sacrificiel. Sans oublier les sacrifices humains. Le degré de développement évolue selon que l’on s’est s’affranchi de telle croyance surannée ou de telle autre.

La réponse à la question posée est plus complexe qu’il n’y parait. Tout d’abord à qui s’adresse la vérité religieuse et sur quoi pontet- elle justement ? Si l’on s’adresse à la frange la plus inculte de la société, l chose sera plutôt aisée mais s’il s’agit de savants, il en ira autrement.

Prenons un exemple, celui de la critique biblique qui analyse en profondeur les textes révélés, bibliques, évangéliques et coraniques Pouvons nous attendre ou exiger du simple croyant qu’l reprenne à son compte les conclusions de l’hypothèse documentaire, de la diversité des sources, des relectures éditoriales de tel rédacteur ou de tel autre ? C’est peu probable. L’homme croyant accorde à l’objet de son culte l’éternité, la divinité ne peut pas avoir changé d’opinion, à l’instar des hommes. Et c’est là tout le problème : les croyants les plus fanatiques accordent aux textes révélés plus d’importance qu’à leur vie. Le martyre signifie témoigner en faveur de sa religion en faisant couler son propre sang. En allemand on dit témoigner par le sang (Blutzeuge).

Comme tous les grands penseurs allemands, Kant (mort en 1804) s’est interrogé sur l’essence de la religion et nous a laissé un texte intitulé La religion dans les strictes limites de la raison… Trois termes dans ce titre revêtent une importance capitale : limites, strictes et raison. C’est ici l’un des textes les plus limitatifs de l’aspect religieux de la chose. Mais sommes nous fondés à assujettir la relligin à la raison ? Peut-on dire d’un miracle qu’il est rationnel ? Si oui, alors ce n’est plus un miracle.

Mais je voudrais mettre l’accent sur un fait qui ressortit à la religion juive. A la fin de chaque bénédiction, à la fin de chaque proclamation, la tradition ajoute le terme EMET qui signifie vérité. Mais je pense que ce terme hébraïque ne signifie pas seulement VERITE, il inclut aussi la vérité religieuse. Vous trouvez ce terme dans toutes les prières introduisant la lecture des péricopes du Pentateuque et de la littérature prophétique. On parle de prophètes de vérité, de Psaumes de vérité, etc… Même les Psaumes disent par exemple : le principe de tes paroles est vérité. Quand un fidèle lit la Tora, il conclut en disant : notre sainte Tora est vérité. Peut-être glisse t on ici en sous-main une polémique souterraine à l’encontre des autres confessions se réclamant du même Dieu. Ce n’est pas à exclure puisque nous avons vécu durant au moins deux millénaires sous le signe des contestations religieuses.

Au moins deux textes bibliques ont une relation directe avec notre sujet ; je pense au livre de Job et au livre de l’Ecclésiaste. Tous deux recherchent la vérité de la vie et du monde. En plus du destin de l’humanité. Sans oublier la théodicée, la justice divine.

La vérité de Dieu est-elle juste, équitable ?

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse  ?

Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?

Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»

Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui

Entrée libre. Salle des mariages.
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