Edouard Philippe raconté par Catherine Nay : « Je crois que j’ai créé une relation intime avec les Français ».

Catherine Nay a rencontré l’ex-Premier ministre Édouard Philippe à l’enviable popularité. Entre loyauté au Président et regard braqué vers l’« horizon ».

Chez Édouard Philippe, tout est haut : sa taille (1,92 mètre), sa cote de popularité qui culmine, invariable depuis deux ans, la salle à manger de la mairie du Havre, au 18e étage de la tour. Elle surplombe le monumental édifice érigé par l’architecte Auguste Perret. C’est lui qui a reconstruit cette ville martyre que les bombardements allemands, puis alliés, ont ravagée et détruite à 80 %, faisant 5 000 morts. « Pendant quinze ans, mon père a vécu dans un chantier », dit-il. La vue panoramique sur la ville est époustouflante. Les grands immeubles de style soviétique – il nous montre celui où il a passé son enfance – ont au soleil une allure méditerranéenne. Le béton, fabriqué avec les sédiments de la baie de Seine, prend alors une couleur mordorée. On a l’impression de respirer en contemplant les larges avenues qui conduisent à la mer, la plage, le port et son ballet de bateaux qui chargent et déchargent des conteneurs. Son arrière-grand-père y était docker (CGT). En face, Deauville, Honfleur, certains jours on aperçoit la pointe du Cotentin. On comprend pourquoi Édouard Philippe a baptisé son mouvement « Horizons ». À l’arrière de la mairie, la ville haute et bourgeoise avec ses villas, ses manoirs. Du doigt, il nous montre le plus imposant, la demeure d’Antoine Rufenacht, à qui il a succédé. Le Havre d’en bas, Le Havre d’en haut ?

Mets une cravate, sois aimable et toujours à l’heure à tes rendez-vous

« Il y a eu des connexions avec Antoine bien avant que je ne le rencontre. Édouard Senn, négociant fortuné, grand collectionneur de tableaux impressionnistes, fut son mentor, un peu un père de substitution. Mon grand-père était, sur le golf, son ramasseur de balles, puis fut son chauffeur, avant de devenir le directeur de son entreprise. Mon père est né à Paris, avenue Foch, dans une chambre de bonne chez les Senn. Quand j’étais petit, Rufenacht était celui qui perdait toujours les élections. En 1995, il a fini par remporter la mairie, battant le communiste André Duroméa, que l’on croyait invincible. Moi, j’étais à New York, je faisais mon stage de l’ENA à l’ONU. J’ai commencé à travailler avec lui en 2001. »
Dix ans plus tard, Antoine Rufenacht lui a passé le flambeau, en lui donnant pour consignes : « Mets une cravate, sois aimable et toujours à l’heure à tes rendez-vous. »

Un fidèle d’Alain Juppé

Édouard Philippe s’est donc installé au deuxième étage de la mairie. Dès l’entrée, on comprend que l’occupant est un homme d’ordre, un esthète. Au mur, des cimaises de chêne miel. Au sol, une moquette grise. Sur son bureau, rien ne traîne. La table basse est celle sur laquelle travaillait Auguste Perret. Sur une commode, des médailles bien rangées. Seule trace de sa vie privée, une petite photo : une tête de bébé, sa fille Sarah, elle a aujourd’hui 11 ans. Une sculpture de bronze représente un boxeur russe. Un cadeau du Premier ministre Dmitri Medvedev, qu’il avait invité. Le Havre et Saint-Pétersbourg sont des villes jumelées. « Il y a peut-être un micro dedans », s’amuse le maire.
Sur le palier, devant son bureau, un grand tapis bleu. Une dame vient passer l’aspirateur plusieurs fois par jour pour effacer les traces de pas des visiteurs. « Oui, mais ce n’est pas moi qui l’ai demandé. Ça date d’Antoine. »
Édouard Philippe est un fidèle d’Alain Juppé. En 2002, il travaillait à ses côtés pour créer l’UMP. En 2016, avec son ami Gilles Boyer, lui aussi collaborateur de Juppé au Quai d’Orsay puis à Bordeaux, ils ont vraiment cru que leur patron s’installerait à l’Élysée avec ce projet politique de dépasser les clivages et de casser les appartenances partisanes. « Mais je ne suis pas sûr qu’il aurait été aussi audacieux que Macron », dit-il aujourd’hui. Les deux amis qui se demandaient qui pourrait être Premier ministre du président Juppé avaient lancé le nom d’Emmanuel Macron. Le jeune ministre de l’Économie faisait alors beaucoup parler de lui.
Primaires ratées, exit Juppé. Second tour, exit Fillon. Entre Macron et Marine Le Pen, le choix est vite fait.

Il avoue avoir eu le trac

Pourquoi le vainqueur a-t-il choisi Édouard Philippe, qu’il connaissait si peu ? « Parce que lui venant de la gauche, il pensait que cette nomination d’un Républicain fracturerait la droite. Et puis, c’étaient deux hommes de la même génération », explique Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale. Matignon ne se refuse pas. Édouard Philippe le sait, avec Juppé à l’Élysée, il aurait été ministre du Budget, peut-être. Il avoue avoir eu le trac, au point d’en perdre l’appétit et 6 kilos en un mois. Le choix a étonné le Landerneau politique. Mais « il faut se méfier de lui », note un des amis de Philippe. Illustration : arrivé centième au concours d’entrée de l’ENA, il en est sorti cinquième deux ans plus tard. Son ami Ribadeau-Dumas, entré premier, sorti major, c’était plus cohérent. L’un est devenu Premier ministre, l’autre son directeur de cabinet.

On a travaillé en confiance dans une atmosphère détendue, sauf une ou deux fois peut-être

On a le souvenir de débuts décevants : une interview ratée sur BFM ; les 80 km/h décidés comme ça, droit dans les bottes, du pur Juppé. Un regret ? Il rétorque : « On cite toujours Pompidou qui recommandait à ses ministres de ne pas embêter les Français avec la bagnole. Mais c’est lui qui leur a imposé la ceinture de sécurité. »
Ses relations avec le chef de l’État ? Toujours le même couplet : « On a travaillé en confiance dans une atmosphère détendue, sauf une ou deux fois peut-être », concède-t-il, sans plus de précisions. Les retraites, peut-on supposer. Le Premier ministre recommandait d’augmenter la durée du travail jusqu’à 65 ans. Refus du Président – qui préconise la mesure pour le deuxième quinquennat qu’il brigue.
En trois ans, on compte les fois où ils se seront vus en tête à tête sur les doigts d’une main. Les réunions se faisaient toujours à quatre : le Premier ministre et son directeur de cabinet, le Président et son secrétaire général, Alexis Kohler. Le quatuor fonctionnait bien, mais sans affect. Sur les petites vexations, Édouard Philippe n’a jamais rien dit, sauf de façon subliminale. Devant des conseillers ministériels qu’il recevait avant Noël 2019, par exemple, en leur récitant du Alexandre Dumas dans Le Vicomte de Bragelonne : « Oh ! sire, offenser le roi, moi ? Jamais ! J’ai toute ma vie soutenu que les rois sont au-dessus des autres hommes, non seulement par le rang et la puissance, mais par la noblesse du cœur et la valeur de l’esprit. Je ne me ferai jamais croire que mon roi, celui qui m’a dit une parole, cachait avec cette parole une arrière-pensée. »

De Matignon au Havre

Et puis le Covid est arrivé. Une pandémie qui a surpris les dirigeants du monde entier. Il n’y avait pas de jurisprudence pour agir. Pour préparer les Français à la suite, le Président devait s’économiser. Il a confié la logistique quotidienne à son Premier ministre qui, pendant plusieurs mois, fut en première ligne. Tandis que les Français restaient cloîtrés, il était le tuteur de la Nation. Sa cote de popularité s’est envolée. « Je crois que j’ai créé une relation intime avec eux. »
En 2020, il a décidé de se représenter à la mairie du Havre. Réélu triomphalement, il serait bien resté à Matignon. Il aimait le job. Mais le Président avait choisi de se séparer de lui. « Je lui ai remis ma démission le jeudi soir, il souhaitait aller vite. Le vendredi à 17 heures c’était fait. Je n’ai pas eu le temps de dire au revoir aux ministres et à l’équipe avec qui j’avais travaillé pendant trois ans. » Gros pincement au cœur, petite blessure de l’ego.

Je suis déterminé à aider le Président à gagner et à réussir son quinquennat, parce que c’est l’intérêt du pays

En entrant à Matignon, Édouard Philippe a quitté Les Républicains, mais il n’a pas rejoint En marche. Un statut d’apatride qui oblige à bâtir une demeure politique à soi.
À quoi sert la popularité si l’on ne s’en sert pas ? Certains auraient voulu qu’il se présente en 2022. « Des gens ont pensé que je n’étais pas loyal, cela m’a énervé. Je suis déterminé à aider le Président à gagner et à réussir son quinquennat, parce que c’est l’intérêt du pays. Et puis les circonstances de l’élection sont tellement particulières. Avec la guerre en Ukraine, on est à un niveau d’intensité que l’on n’avait plus connu depuis 1945. »
Loyal et libre. Édouard Philippe n’a pas de chef. Personne ne peut lui imposer quoi que ce soit. Bien sûr, il pense à l’avenir, le sien. Et il va le construire. En 2027, il aura 57 ans. Le meilleur âge pour être président, selon Valéry Giscard d’Estaing, qui jugeait avoir été élu trop jeune (48 ans). Le 9 octobre, au Havre, il a lancé Horizons devant un parterre de 800 élus. Certains travaillent déjà pour lui. On l’interroge : quelles qualités doit avoir un homme politique ? « D’abord sentir ce qu’il faut faire, ensuite être capable de l’expliquer au pays, et puis faire », résume-t-il rondement.

Et après ?

« Jamais le Président ne voudra qu’Édouard pèse trop lourd dans la majorité future », prévient Gilles Le Gendre, ex-président du groupe LREM à l’Assemblée. En janvier, Édouard Philippe comptait bien accueillir à Horizons le groupe Agir ensemble : 21 députés. Une auberge espagnole faite d’ex-PS, de LR et d’UDI en rupture de ban. L’affaire semblait pliée, vu ses liens qu’il croyait solides avec Franck Riester, président d’Agir et ministre de la Culture. L’opération ne s’est pas faite. Ses amis y ont vu un veto présidentiel. « J’aime pas qu’on m’emmerde », a commenté le maire du Havre.
« Édouard est trop susceptible », soupire Richard Ferrand. Les deux hommes s’entendent, se respectent et le disent : « Édouard est sérieux, compétent, sympathique, fiable. Peut-être a-t-il plus de charisme que de leadership » ; « Richard est tourmenté, touchant, attachant, capable de résumer un caractère ou une situation en une expression hilarante et percutante. » Édouard le sait, c’est Richard qui distribuera les investitures, et Horizons ne sera peut-être pas le mieux doté. Ses amis recruteurs agaceraient, paraît-il, la Macronie. Et puis il y a François Bayrou, qui n’entend pas être détrôné de son rôle de premier partenaire de LREM et qui dit pis que pendre de lui.

Dans l’immeuble où Chirac avait son QG

Qu’importe. Édouard Philippe vient de prendre des bureaux non loin de la place d’Iéna, dans l’immeuble où Jacques Chirac avait son QG pour la campagne présidentielle de 1995. Lui était au premier étage, Horizons s’installe au cinquième. Toujours la hauteur. Un grand espace pour l’instant encore presque vide : mobilier noir, tables et chaises. Les murs sont blancs. L’architecte, qui se trouve là, précise : non, pas blanc, couleur « doigts de fée ». Nuance !
On attend l’ancien Premier ministre. Hier, il était aux États-Unis. Il arrive. Costume bleu marine, chemise blanche, le teint encore hâlé par huit jours à la montagne. Sa barbe est désormais toute blanche. Tout baigne. Le soir, on l’a vu blaguer avec le président Macron. L’élection est dans quatre semaines.
Édouard Philippe le sait, ce qui se passera chez Les Républicains après le second tour de la présidentielle est déterminant pour la suite. Pour ses amis, Horizons deviendra la destination des orphelins du centre-droit. Avec lui, la majorité peut s’élargir. « La poutre travaille… »
Pour dire le vrai, sa popularité inquiète la Macronie. Les Français voient en l’ancien chef du gouvernement un homme dont le pays pourrait avoir grand besoin un jour. Il est le seul qui puisse endosser le rôle de recours. Pour se consoler, certains moquent l’appellation « Horizons » : « Les navigateurs le savent, l’horizon, plus on s’en approche, plus il s’éloigne. »

JDD

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Filouthai

Barbe mitée, alias Edouard Philippe, c’est cet énarque qui gère la ville du Havre dont il est le maire en l’endettant à mort, et qui a fait tabasser, gazer et mutiler les gaulois vêtus d’un gilet jaune !
Et maintenant, il cherche l’affection des français ! Il n’a pas honte.