Dubaï : quand l’eldorado vire à la désillusion pour des expats français.

Les Français sont l’une des communautés occidentales les plus importantes de Dubaï, une métropole qui attire par son luxe et l’idée, parfois erronée, que tout y est facile. De plus en plus, certains repartent déçus, après avoir buté sur la hiérarchie qui régit les rapports économiques aux Emirats.

Anna [les prénoms ont été modifiés, NDLR] range ses quelques cartons, et les empile dans le couloir. « C’est le troisième déménagement en un an, alors j’ai appris à vivre légère ! » A 37 ans, elle ne s’imaginait pas devoir encore passer de colocation en colocation. Mais à l’instar des grandes métropoles du capitalisme mondialisé, New York, Londres, Tokyo, Shanghai, les loyers à Dubaï sont très élevés, et les conditions d’accès supposent une confortable avance de cash. D’autant qu’ils ont augmenté en moyenne de 27 % en 2022, selon le Dubaï Land Department, l’institution chargée de réguler l’immobilier. Pour un studio décent, comptez 1.700 euros minimum, 7.000 pour un salon et deux chambres. Le bail type, d’un an, se règle généralement en deux ou trois fois, en laissant les chèques correspondants au propriétaire lors de la signature.

Anna, communicante, travaille à la mission. Elle est arrivée il y a un peu plus de deux ans, quand un nouveau type de visa pour les freelances est entré en vigueur aux Emirats arabes unis. Avant cela, il était plus compliqué d’obtenir un permis de résidence et de travail sans contrat avec un employeur de droit émirati.

Son revenu mensuel moyen, de 4.000 euros, est bien supérieur à ce qu’il était en France – autour de 1.700 euros avec un statut d’auto-entrepreneur. « Pourtant, je ne gagne pas encore assez pour engager les 20.000 euros que me demanderait le ticket d’entrée pour une année de location à mon nom, alors c’est la débrouille, Airbnb, ou la sous-loc’. » Anna se donne encore un an pour améliorer sa situation, après quoi, si elle n’arrive pas à avoir son propre appartement, elle rentrera en France.

« Ce que j’ai pu observer, c’est que la plupart des Occidentaux se font une idée préconçue de Dubaï, à partir d’un mirage très médiatique, et ils n’ont pas du tout le sens des réalités locales en arrivant », analyse Karine Trioullier, qui travaille dans les ressources humaines et vit dans l’émirat depuis plus de quinze ans.

Deux fois plus de Français en dix ans

Pourtant, la « Golden City » comme on surnomme la ville la plus clinquante du Golfe, ne cesse d’attirer. La levée rapide des restrictions liées au Covid, par rapport au reste du monde, a favorisé l’arrivée de 100.000 nouveaux résidents depuis 2020, pour une population totale, aujourd’hui, de 3,5 millions d’habitants.

Si l’on ne dispose pas de chiffres précis sur la présence française dans le seul émirat de Dubaï, ils étaient 28.000 inscrits dans les registres consulaires pour l’ensemble du pays en 2022 (soit la deuxième plus grosse communauté occidentale après les Britanniques, selon les données communiquées par les ambassades). Un chiffre qui a presque doublé en dix ans, qui n’inclut pas ceux qui se trouvent aux Emirats sans se signaler. On ne compte plus le nombre de blogs et de chaînes YouTube où celles et ceux qui s’y sont fait une place donnent les recettes de leur success story.

La Golden City, « ville des influenceurs »

L’émirat s’est récemment attiré un autre surnom : « la ville des influenceurs ». Car elle est devenue un décor incontournable de ces galeries Instagram, où piscines d’hôtel et voitures de luxe ont remplacé le « rêve américain » du siècle dernier. Et les Français, que l’on croise en nombre sur les plages privées et les allées des malls, seraient surreprésentés parmi cette population. Ils y traînent, avec les Russes, une assez mauvaise réputation de nouveaux riches aux manières peu élégantes.

« Ce n’était pas la meilleure publicité sur laquelle nous pouvions compter », concède un haut fonctionnaire émirati. « On ne comprend même pas vraiment leur métier, si ce n’est qu’ils font de la réclame à l’ère numérique… mais au fond, ce n’est pas plus gênant que la prostitution visible dans les lobbys des hôtels », conclut-il, sur un ton désolé.

Dubaï lève sa taxe sur l’alcool pour attirer les touristes

Les influenceurs français passent souvent par des agences pour se lancer dans ce qu’ils perçoivent alors comme une aventure censée les faire grimper dans l’échelle sociale, avec la fulgurance que permet la viralité des réseaux sociaux. Le grand public connaît désormais Magali Berdah, la patronne de l’agence Shauna Events. L’amie des influenceurs, qui s’est fait une spécialité de recycler la carrière des figurants de télé-réalité, a elle-même quitté Dubaï en 2022.

« L’Eldorado Dubaï, c’est fini »

Mais, après une rapide recherche Google, on trouve toujours une trentaine d’agences de ce type qui surfent sur les rêves des jeunes expats. « Et il s’en crée tous les jours, d’après Juliette, qui travaille pour l’une d’entre elles. Ça existe pour toutes les professions, médecins, juristes, ressources humaines… On leur explique comment établir leur société, on les aide avec l’administratif, et la fiscalité. » Attablée au Starbucks d’un des innombrables malls que compte la marina, la jeune femme est cependant sans illusions sur la vie à Dubaï, quand bien même ce ne serait pas le premier message qu’on lui demande de faire passer à ses clients.

« Il y a le fantasme et il y a réalité : sur une cinquantaine de personnes que j’ai accompagnées l’année dernière, dix s’en sortent, une vingtaine est repartie au bout de quelques mois », rapporte celle qui accompagne en ce moment beaucoup de freelances offrant toutes sortes de services dans la communication. « Une bonne moitié arrive grâce au visa télétravail », un dispositif instauré par le gouvernement local de l’émirat, dès les premiers mois de la pandémie en 2020. D’un an renouvelable une fois, il coûte dans les 280 euros, et requiert de pouvoir justifier d’un revenu mensuel minimum de 5.000 euros – , soit par une société existant déjà, soit par un contrat qui le garantit une fois sur place. Des conditions plus souples que celles d’un visa de travail classique, dont les formalités complexes sont généralement prises en charge par les entreprises, pour le compte des arrivants qu’ils recrutent. Conséquence : « Beaucoup voient dans le visa télétravail l’opportunité de se lancer », commente Juliette. Souvent à tort.

Depuis quelques mois, les messages de mise en garde se multiplient même du côté de la communauté des expatriés. Dans le groupe Facebook « Les Expats à Dubaï », qui compte plus de 25.000 membres, on peut lire l’un des membres expliquer : « Il faut vraiment comprendre que l’Eldorado Dubaï, c’est fini. La concurrence [sur le marché de l’emploi] est énorme voire saturée. Si vous n’avez pas un profil high level avec plusieurs années d’expérience, ça va être très compliqué », décrivant au passage un nombre croissant de personnes arrivées la fleur au fusil et reparties quelques mois plus tard en ayant perdu toutes leurs économies…

Deux catégories d’expatriés

Une sorte de tri se fait entre deux catégories d’expatriés : ceux qui voient, à Dubaï, un Eldorado de facilité, que bien souvent ils ne trouvent pas, et ceux qui arrivent avec, déjà, les moyens de se lancer. Parce qu’ils s’installent, par exemple, dans le cadre d’une embauche dont le contrat prévoit une « allowance », en plus de leur salaire, pour se loger. « Ce qui permet, à ceux qui le souhaitent, d’utiliser cet argent pour investir dans un bien, plutôt que de louer, ce qu’ils sont de plus en plus nombreux à faire, explique Guillaume Giroux, fondateur de Dubai Immo, la première agence immobilière francophone du marché. Contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu des loyers, le prix à l’achat au mètre carré est bien moins élevé qu’à Londres, ou même à Paris. »

D’après son expertise, « dans un quartier familial de standing moyen, tel que DAMAC Hills à vingt minutes du centre-ville, où l’on trouve plutôt des maisons et des villas, le mètre carré tourne autour de 3.000 euros ». Mais il n’existe pas de crédits sur vingt ans, comme c’est le cas en France. Un achat implique donc un apport conséquent. « Une fois propriétaire, le coût de la vie, s’il reste élevé, n’est pas plus déraisonnable… d’autant qu’ici, les taxes n’existent presque pas. »

Une société profondément inégalitaire

Omar, trader en hydrocarbure pour une major du secteur, a lui opté pour la location d’un loft meublé à l’année, la solution la plus flexible. Sorti d’une école d’ingénieurs en France, il n’a jamais trouvé, dans l’Hexagone, un job à la mesure de son parcours. « Je restais étiqueté comme un Maghrébin, alors que ma formation était plus prestigieuse que celle de bon nombre de mes interlocuteurs », se rappelle le trentenaire. Une fois arrivé à Dubaï, la question de son origine ne se posait plus : « J’ai été embauché comme Français, avec des diplômes reconnus, et une grille de salaire objective. »

A Dubaï, au coeur de l’empire du négoce

A Dubaï, Omar occupe une position socialement dominante grâce à son capital intellectuel, mais aussi sur la base de critères propres aux Emirats. Dans son livre « Le Privilège occidental. Travail, intimité et hiérarchies post-coloniales à Dubaï » (2019), la sociologue Amélie Le Renard démontre comment le curseur de classe est d’abord défini par le passeport. Quelle que soit votre identité ethno-culturelle, vous êtes considéré comme blanc si votre nationalité est occidentale. Sous le groupe des blancs se trouve celui des Asiatiques, relégués aux métiers de service mal rémunérés, et qui eux survivent par la débrouille dans les compounds pour « immigrés » (cités dortoirs, insalubres, bien loin de la carte postale télévisuelle).

Sur le plan économique, entre les deux, se trouve toute une frange d’Occidentaux occupant des emplois saisonniers : des managers intermédiaires dans les hôtels, vendeurs dans des enseignes de luxe où l’on recherche des employés subalternes, mais capables d’incarner le raffinement occidental… « C’est vraiment le mythe de l’aspirant comédien débarqué à Hollywood qui dort dans sa voiture en attendant d’être une star, détaille le haut fonctionnaire émirati. C’est la loterie : s’ils s’en sortent, ils vivent une existence très confortable, sinon ils repartent. Et comme nous n’avons pas de système social pour les étrangers, les laisser tenter leur chance n’est pas un problème. La Dubaï Way of Life, c’est un peu darwinien ! »

Laura-Maï Gaveriaux

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires