(Terouma 5775)

Il existe un principe important dans le Judaïsme, une source d’espoir et aussi un des principes structurants de la Torah. Celui-ci est que Hachem crée le remède avant la maladie. Des évènements néfastes peuvent se produire mais Hachem nous a déjà donné le remède si nous savons où le chercher.

Ainsi, par exemple, dans la paracha Houkat, nous apprenons la mort de Myriam et celle d’Aaron et la manière dont Moïse a appris qu’il mourrait dans le désert sans entrer en Terre Promise. C’est une terrifiante rencontre avec la condition de mortel. Pourtant, avant que nous n’ayons lu tout cela, nous avons entendu parler, en premier lieu, de la loi concernant la vache rousse, le rite de purification, après avoir été en contact avec la mort. La Torah l’a mise à ce moment-là, afin de nous garantir à l’avance que nous pouvons être purifiés avant tout deuil. La mortalité humaine ne nous empêche pas, en fin de compte, d’être en présence de l’Immortalité Divine.

C’est la clé pour comprendre Terouma. Bien que tous les commentateurs ne soient pas d’accord, sa signification essentielle est que cela représente la réponse, par avance, de Hachem au péché du veau d’or. Sur le plan purement chronologique, cette paracha semble ne pas être à sa place, en apparaissant maintenant. Celle-ci (ainsi que Tétsavé) aurait dû apparaître après Ki Tissa, qui relate l’histoire du veau d’or. Si elle est placée ici, avant le péché, c’est pour nous signifier que le remède existe avant la maladie, le tikkun avant le kilkul, la réparation avant la fracture, la rectification avant le péché.

Ainsi, pour comprendre Terouma et le phénomène du mishkan (l’arche d’alliance), le Sanctuaire et tout ce qu’il implique, nous avons, en premier lieu, à comprendre ce qui a bien pu aller de travers, à l’époque du veau d’or. La Torah est ici très subtile et nous donne, dans Ki Tissa, un récit qui peut être compris à, au moins, trois niveaux différents.

Le premier et le plus évident, c’est que le péché du veau d’or était dû à une défaillance de la gouvernance d’Aaron.

C’est l’impression accablante que nous avons à la première lecture d’Exode 32. Nous sentons bien qu’Aaron aurait dû résister aux cris du peuple. Il aurait dû leur dire d’être patient. Il aurait dû imposer son aptitude à diriger. Il ne l’a pas fait. Lorsque Moïse est redescendu du Sinaï et lui a demandé ce qu’il avait fait, Aaron n’a pu lui répondre que :

 “ Ne sois pas en colère, mon Seigneur. Tu sais combien ce peuple est enclin à se laisser aller au mal. Ils m’ont dit, « Fais un oracle pour nous conduire; puisque nous ne savons pas ce qui est arrivé à Moïse, l’homme qui nous a sortis d’Egypte ».Alors, je leur ai dit, « Quiconque a des bijoux en or, qu’il les emmène ». A ce moment-là, ils m’ont donné l’or, et je l’ai jeté au feu, puis il en est sorti le veau d’or ! » (Ex. 32: 22-24)

C’est une défaillance de sa responsabilité. C’est un spectaculaire acte de déni (« Je l’ai jeté au feu, et il en est ressorti ce veau ! »)[1]. Ainsi peut-on comprendre, en première lecture, le récit du manquement d’Aaron.

Mais seulement, à la première lecture. Une lecture plus approfondie indique qu’il s’agit de Moïse. C’est son absence du camp qui a généré la crise en premier lieu. « Le peuple a commencé à réaliser que Moïse prenait un temps considérable pour redescendre de la montagne. Ils se sont réunis autour d’Aaron et lui ont dit, « Fais un oracle pour nous guider. Nous n’avons aucune idée de ce qui est arrivé à Moïse, l’homme qui nous a sortis d’Egypte ». (Ex. 32: 1).

Hachem a raconté à Moïse ce qui était arrivé et dit : « Redescends, car ton peuple, que tu as sorti du pays d’Egypte, a provoqué la ruine ». (32: 7). La nuance est claire. « Redescends », suggère que Hachem expliquait à Moïse que sa place était auprès du peuple, au pied de la montagne, et non avec Hachem en Haut. « Ton peuple » implique que Hachem disait à Moïse que le peuple était son problème, pas celui de Hachem. Il était sur le point de le renier. 

Moïse, de toute urgence, a imploré Hachem de pardonner, puis il est descendu. Ce qui suit est une avalanche d’actions. Moïse descend, voit ce qui s’est passé, casse les Tables, brûle le veau, mélange ses cendres avec de l’eau et le donne à boire au peuple, puis demande de l’aide pour punir les fauteurs de trouble. Il est ainsi devenu le chef qui dirige au milieu du peuple, rétablissant l’ordre où quelques instants auparavant régnait le chaos. D’après cette interprétation, le personnage central est Moïse. Il semblait être le plus fort de tous les chefs. Le résultat, pourtant, a été que lorsqu’il n’était plus là, le peuple a paniqué. C’est l’inconvénient majeur d’un leadership trop fort.

Mais, ensuite survient un chapitre, Exode 33, qui est l’un des plus difficiles à comprendre de la Torah. Il commence avec Hachem qui annonce que, bien qu’il ait envoyé un « ange » ou « messager » pour accompagner le peuple le reste de son périple, Lui-Même ne serait pas présent parmi eux « parce que vous êtes un peuple à la nuque raide et je pourrais vous détruire en chemin ». Ceci bouleversa profondément le peuple (33: 1-6). 

Dans les versets12-23, Moïse met Hachem au défi, quant à la valeur ce verdict. Il souhaite que la présence Divine soit avec le peuple. Il demande alors, « Laisse-moi comprendre Tes voies  » et « Prier me laisse entrevoir ta Gloire ». C’est plutôt ardu à comprendre.

La totalité de l’échange entre Moïse et Hachem, l’un des plus intenses de la Torah, ne concerne plus le péché et le pardon. Il ressemble presque à une enquête métaphysique sur la nature de Hachem. Quelle est la relation qu’on peut établir, avec l’épisode du veau d’or ?

C’est ce qui arrive entre ces deux épisodes qui est le plus déconcertant. Le texte dit que Moïse « a pris sa tente et l’a plantée pour vivre en dehors du camp, loin du camp ». (33: 7). Cela a sûrement dû être précisément la pire des choses à faire. Si, comme Hachem et le texte l’ont sous-entendu, le problème  résidait dans la distance de Moïse en tant que leader, la seule chose qui aurait dû importer, pour lui aurait été de  demeurer  au milieu du peuple, et non pas de se situer à l’extérieur du camp.

De plus, la Torah vient juste de nous préciser que Hachem avait dit qu’Il ne se tiendrait pas au milieu du peuple – et cela a suscité la détresse du peuple. La décision de Moïse de faire la même chose n’a, certainement, fait que redoubler sa détresse. Quelque chose de plus profond se produit ainsi.

Il me semble que dans Exode 33, Moïse a entrepris l’acte le plus courageux de sa vie.

Il dit à Hachem. « Ce n’est pas ma distance qui pose le problème. C’est Ta distance. Le peuple est terrifié par Toi. Ils ont été témoins de Ton pouvoir écrasant. Ils T’ont vu transformer la mer en terre sèche, faire descendre de la nourriture du ciel et faire sortir de l’eau d‘un rocher. Lorsqu’ils ont entendu Ta voix au Mont Sinaï, ils sont venus me voir pour me supplier d’être un intermédiaire. Ils ont dit, «  Tu nous parles et nous prêtons l’oreille, mais ne laisse pas Hachem nous parler de peur que nous mourrions. (Ex. 20: 16). Ils ont fait un veau, non pas parce qu’ils voulaient adorer une idole, mais car ils voulaient un symbole de Ta présence qui ne soit pas terrifiant. Ils avaient besoin d’être proches de Toi. Ils avaient besoin de Te ressentir, non pas dans le ciel ou au sommet de la montagne mais au milieu du camp. Et même s’ils ne pouvaient pas voir Ton visage, car personne ne peut y prétendre, au moins laisse-les voir des signes perceptibles de Ta gloire » 

C’est, me semble-t-il, la demande de Moïse à laquelle la paracha de cette semaine donne une réponse. « Laisse-les bâtir pour Moi un sanctuaire et que Je demeure au milieu d’eux » (25: 8). C’est la première fois que dans la Torah, nous entendons le verbe sh-kh-n, signifiant «demeurer » en relation avec Hachem. Comme nom, cela signifie littéralement, « un voisin ». De cela, on peut déduire le mot-clé du Judaïsme post-biblique, Shekhinah, signifiant l’immanence de Hachem opposée à la transcendance, Hachem comme celui qui est proche, l’idée audacieuse selon laquelle Hachem est un voisin proche.

Rav David Partouche, Machon Méir (Jérusalem).

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Dans les termes de la théologie de la Torah, l’idée même d’un mishkan, un sanctuaire ou un Temple, une « demeure » matérielle pour « la gloire de Hachem », est profondément paradoxale. Hachem est au-delà de l’espace. Comme le Roi Salomon le disait, lors de l’inauguration du premier Temple, « Contemple les Cieux et les Cieux d’entre les Cieux ne pourront pas T’englober, Alors, pourquoi cette demeure pourrait-elle y parvenir? » Ou comme le disait  Isaïe, au nom de Hachem :

« Le ciel est Mon trône et la terre Mon repose-pieds. Quelle demeure vas-tu construire pour Moi, où pourra se trouver Mon havre de repos ? ».

La réponse, comme les mystiques Juifs le soulignent, est que Hachem ne vit pas dans un édifice mais plutôt dans les cœurs de ceux qui le construisent. « Laisse-les bâtir pour moi un sanctuaire et Je demeurerai parmi eux » (Ex. 25: 8) – « parmi eux », non « en ce lieu ». Par quel prodige cela peut-il se produire ? Quel acte humain peut-il bien pousser la présence Divine à vivre à l’intérieur du camp, de la communauté ?

La réponse réside dans le nom de notre paracha, Terouma, signifiant, un don, une contribution.

“ Le Seigneur a parlé à Moïse, en disant « Dis aux Israélites de M’apporter une offrande. Tu recevras cette offrande pour Moi, de chacun dont le cœur s’est ému à l’idée de donner ». Cela pourrait s’avérer être le moment charnière dans l’histoire Juive. Jusqu’à ce moment, les Israélites ont été des bénéficiaires des miracles et des délivrances de Hachem. Il les a libérés de l’esclavage et a réalisé des miracles pour eux. Il n’y a qu’une seule chose que Hachem n’a pas encore réalisée, à savoir : donner aux israélites la chance de donner en retour à Hachem. L’idée même semble absurde. Comment pouvons-nous, nous, des créations de Hachem, donner en retour à Hachem qui nous a créés ? Tout ce que nous avons est à Lui. Comme David l’a dit, lors de la collecte qu’il a rassemblée à la fin de sa vie pour bâtir le Temple :

La richesse et l’honneur viennent de Vous,  Vous êtes l’acteur de toute chose… Qui suis-je, qui est mon peuple, pour que nous puissions être capables de donner aussi généreusement que nous pouvons le faire ? Chaque chose provient de Vous, et nous Vous avons donné seulement ce qui provient de Votre main. (I Chroniques 29: 12, 14)

Ce qui, en fin de compte, est la logique du mishkan. Le plus beau cadeau que Hachem nous ait fait, est la capacité de Lui donner. Du point de vue du Judaïsme, l’idée est très risquée. L’idée que Hachem puisse être dans l’attente de présents se rapproche du paganisme et de l’hérésie. Pourtant, connaissant le risque, Hachem s’est autorisé à se laisser persuader par Moïse de consacrer son esprit à reposer au sein du camp et, ainsi, à autoriser les Israélites à lui donner quelque chose en retour.

Au cœur même de l’idée de sanctuaire, est ce que Lewis Hyde décrit admirablement comme le travail de la reconnaissance. Son étude classique, The Gift (Le Don),[2] s’intéresse au rôle de donner et de recevoir des présents, par exemple, au moment critique de bouleversement. Il cite l’histoire talmudique d’un homme dont la fille allait se marier, mais à qui on avait dit qu’elle ne survivrait pas à cette journée. Le matin suivant, l’homme rendit visite à sa fille et constata qu’elle était  toujours en vie. Fait inconnu du père et de sa fille, lorsqu’elle raccrocha son chapeau après le mariage, sa broche a transpercé un serpent qui, sans cela, l’aurait mordue et tuée.

Le père voulait savoir ce qu’avait fait sa fille pour mériter cette intervention divine.  Elle répondit, « Un homme pauvre est venu frapper à ma porte hier. Les gens étaient tellement occupés avec les préparatifs du mariage qu’ils n’avaient pas le temps de s’occuper de lui. Alors, j’ai pris la portion qui me revenait et je la lui ai donnée ». Ce fut cet acte de générosité qui a été la cause de cette délivrance miraculeuse. [3]

La construction du sanctuaire a été extrêmement importante car elle a donné aux Israélites la chance de donner en retour à Hachem. Plus tard, la loi Juive a reconnu que donner est un élément essentiel de la dignité humaine lorsqu’elle décide que même une personne pauvre totalement dépendante de la charité d’autrui est, elle, obligée de donner la charité. [4] Se retrouver dans une situation dans laquelle vous ne pouvez que recevoir, et ne pas donner, c’est manquer à la dignité humaine.

Le mishkan est devenu la demeure de la présence Divine car Hachem a spécifié que celui-ci ne serait construit que sur la base de contributions volontaires. Donner engendre une société bienveillante en permettant à chacun d’entre nous d’apporter sa contribution au bien public. C’est la raison pour laquelle la construction du sanctuaire a été le remède au péché du veau d’or. Un peuple qui ne faisait que recevoir mais qui ne pouvait pas donner était pris au piège de la dépendance et du manque de respect de soi. Hachem a permis au peuple d’être proche de Lui, et réciproquement, en Lui offrant la possibilité de donner.

 C’est la raison pour laquelle une société basée sur des droits et non pas des (devoirs) responsabilités, ce que nous revendiquons et non pas ce que nous donnons à autrui, finira toujours par mal aller. C’est pourquoi le cadeau le plus important que puisse faire un parent à son enfant est la chance de lui rendre en retour. L’étymologie du mot Terouma fait directement allusion à cela. Il signifie, non seulement une contribution, mais littéralement quelque chose qui « élève ». Lorsque nous donnons, cela ne fait pas que juste représenter notre contribution, mais nous-mêmes que nous élevons. Nous survivons grâce à ce qui nous est donné, mais nous atteignons la dignité par ce que nous donnons.

Par Le Grand Rabbin et Lord Jonathan Sacks

Adaptation par : Florence Cherki

 Notes : 

[1] Dans Deuteronome 9: 20, Moïse dévoile un fait qui nous a été cache jusqu’à ce moment : “D;ieu a aussi exprimé une plus grande colère encore contre Aaron, menaçant de le détruire, aussi à ce moment-là, j’ai prié pour Aaron” .

[2] Lewis Hyde, The Gift: How the Creative Spirit Transforms the World. Edinburgh: Canongate, 2006.

[3] Shabbat 156b.

[4] Maimonide Hilkhot Shekalim 1: 1, Mattenot Ani’im 7: 5,

 

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EPHRAIM

La grande photo en entête est sensée représenter l’Arche sainte surmontée des deux chérubins en or mais la représentation de ces deux chérubins est totalement faussée car ce n’était pas deux représentation à jenoux avec seulement deux ailes , mais debout avec deux ailes étendues surplombant l’Arche et deux autres ailes tendues vers le bas recouvrant ce qui est sensé être le corps . Même , et surtout en Judaïsme , méfiez vous des contrefaçons !