Ce qui est permis à l’Iran serait donc interdit à l’Arabie saoudite ?

 

Par Zvi Mazel

Il y a moins d’un mois le prince Mohammed Ben Salman – MBS – était considéré par l’occident comme le grand espoir du royaume, l’homme qui moderniserait son pays.  L’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, féroce critique du régime, chroniqueur au Washington Post, Frère musulman, à l’intérieur du consulat saoudien à Istamboul en a fait l’ennemi public numéro un. Personne ne doute du fait que c’est lui qui a inspiré, sinon commandité, le meurtre. La presse turque a fait état d’éléments à charge d’apparence irréfutable et notamment de « fuites » des services secrets turcs dont les écoutes à l’intérieur du bâtiment auraient enregistré la barbarie des tortures infligées à l’homme et la façon dont son corps aurait été coupé en morceaux.  La visite d’une équipe d’experts turcs sur place aurait confirmé ce qui s’était passé. La presse américaine a son tour a ajouté d’autres détails et le New York Times a révélé que la plupart des membres du commando saoudien dépêchés au consulat avant l’arrivée de Khashoggi étaient des agents de sécurité proches du Prince Héritier et il avait même un médecin légiste.

En clair : l’assassinat d’un homme sans défense par une bande d’exterminateurs à l’intérieur d’une représentation diplomatique saoudienne. Ce n’est pas un meurtre commis dans un endroit isolé à la faveur de la nuit par des tueurs anonymes et donc difficile à élucider. Le crime est avéré, il a laissé des traces et les pays occidentaux ne peuvent fermer les yeux.  Pire, l’étoile de MBS est à jamais ternie.

C’était (c’est encore ?)  Pourtant l’homme fort du régime, celui sans lequel rien ne se fait, qui conduit politique étrangère, sécuritaire et économique. Il s’était engagé à libérer le royaume de sa dépendance au pétrole et de créer un système économique nouveau reposant sur une industrie de pointe, la haute technologie et le tourisme. Il a permis aux femmes de conduire, une première dans le royaume. D’un autre côté il s’est lancé dans une guerre au Yémen qui n’en finit pas et a obligé le premier ministre libanais à démissionner – avant de revenir sur cette démission une fois rentré au Liban. Trop sûr de lui sans doute, il a fait commettre un crime abominable dont il aura du mal à se disculper en présentant une version à laquelle personne ne croira – bien que certains pays feront semblant d’y croire au nom de la Realpolitik.  Il n’en reste pas moins que des organes de presse come CNN et Comcast et des personnalités comme la présidente du Fond Monétaire international Christine Lagarde et le ministre américain des Finances Mnuchin ont décidé de boycotter « Davos dans le désert » la conférence internationale qui doit se tenir en Arabie Saoudite à la fin du mois à l’initiative du prince héritier qui comptait y susciter des investissements pour son projet phare, « Vision 2030. »

Toutefois le royaume est la pierre angulaire de la lutte contre l’Iran ; il est censé augmenter sa production de pétrole pour compenser les nouvelles sanctions américaines prévues pour début novembre et qui vont limiter davantage encore les exportations de pétrole iranien. Le président Trump qui a parlé avec le roi Salman et avec le prince a bien twitté qu’il jugeait grave l’assassinat du journaliste mais a évoqué « des éléments incontrôlés » qui l’auraient commis ; il a ajouté qu’il n’était pas question d’annuler un contrat de vente d’armement se montant à cent dix milliards de dollars « pour ne pas pénaliser l’économie américaine. » Les autres pays occidentaux font aussi de bonnes affaires avec l’Arabie saoudite et vraisemblablement se laisseront convaincre en fin de compte par les explications embarrassées du régime. Le prince héritier devra-t-il payer de sa tête – non pas pour le meurtre mais pour avoir dressé le monde entier contre le royaume ?  Le roi Salman sera-t-il contraint de sacrifier son fils pour apaiser la communauté internationale et de lui retirer le titre de prince héritier ? Il faudra attendre encore un peu pour avoir la réponse.

Pendant ce temps d’autres nations continuent à se livrer à des crimes bien plus graves et sur une bien plus grande échelle. La Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie répriment sauvagement leurs propres populations ; tortures et exécutions sommaires y sont courantes. La Russie et l’Iran éliminent des opposants à l’étranger mais « discrètement » et sans laisser d’empreintes. Le monde n’est pas dupe mais a du mal à réagir faute de preuves.  En Iran des dizaines de milliers d’opposants au régime islamique ont été arrêtés, torturés et exécutés ; En Turquie, sous couvert du coup d’état militaire manqué, Erdogan a procédé à une épuration massive dans l’armée, l’administration dans l’appareil judiciaire et dans les médias ; plus de cent cinquante mille personnes ont été limogés ou arrêtés. Dans l’un et l’autre cas l’Occident a condamné du bout des lèvres sans plus.

Face aux exactions et crimes perpétrés dans les pays de l’Islam et en Afrique, c’est la même indifférence. Il a fallu le génocide des Tutsis au Rwanda et les massacres dans l’ex Yougoslavie pour que des tribunaux internationaux soient enfin établis.  Des personnalités ont été jugées. Mais il s’agissait de « petits pays » incapables de résister à la pression internationale. La Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, puissances mondiales ou régionales n’accepteront pas de voir leurs ressortissants traînés en justice tant que l’occident n’agira pas de façon énergique, imposant un blocus complet ou même déclenchant une opération militaire.

L’Arabie saoudite est loin de la puissance politique et militaire de l’Iran ou de la Turquie ; pire, ses agents ont exécutés un homme pratiquement au grand jour.  L’Occident va donc devoir agir, fut-ce à minima avant de laisser l’affaire retomber dans l’oubli. Reste à savoir comment l’Arabie saoudite va présenter sa version des événements qui se sont déroulés à l’intérieur de son consulat. Elle sait qu’elle peut compter sur l’indulgence de ses partenaires quant à la crédibilité de ladite version.

 

Par son Excellence Zvi Mazel,  (Amb. d’Israël en Egypte entre 1996 et 2001, en Roumanie, puis en Suède), chercheur associé au Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (JCPA-LeCape) depuis son départ en retraite du corps diplomatique. 

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FrevB

« La Russie et l’Iran éliminent des opposants à l’étranger mais « discrètement » et sans laisser d’empreintes.  »
Autant je soutiens Israel, le Peuple Juif et son D.eu YHW., autant je déplore certains amalgames et accusations du genre de celle citée ci-dessus.
On accuse sans preuve, on amalgame sans arguments.
Alors que ces assertions sont peut-être fondées (pour Skripal?), médire sans fondements sérieux ne peux que faire haïr ceux qui les profèrent, ceux qui les transmettent et ceux qui y croient.
Pour moi les Juifs ne sont pas ces inconscients athées et mondains qui n’ont que haine et médisance dans la bouche.
Les Juifs sont ceux qui respectent le Livre Sacré (Le Tanakh) et Ses 10 Commandements.
Si les humbles et sincères seront sauvés, les orgueilleux et les menteurs seront bannis.
Vive le Peuple de D.eu-YHW.!
Vivent les Juifs croyants et sincères!
Vivent Israel et Jerusalem!
Gloire au seul D.eu, Celui des vrais Juifs: YHW.

Bonaparte

Pas d’inquiétude les affaires reprendront leur cours normal .

L’Arabie Saoudite est un bon client .