« Ce qui distingue l’antisémitisme des diverses formes de racisme »

Le retour d’un antisémitisme décomplexé, notamment dans les manifestations antivaccin et antipasse, « interroge et inquiète à juste titre », car il atteste que l’inhibition qui avait suivi la Shoah a quasiment disparu, explique le philosophe Yves-Charles Zarka dans une tribune au « Monde ».

Le samedi 7 août, lors d’une manifestation antipasse sanitaire à Metz, une femme est photographiée avec une pancarte où sont inscrits plusieurs noms d’hommes politiques, d’hommes d’affaires et d’intellectuels dont la plupart sont juifs, autour du slogan « Mais qui ? ». En 2019, certaines manifestations des « gilets jaunes », centrées sur des revendications sociales de personnes n’arrivant pas à boucler leurs fins de mois, sont l’occasion de propos et d’actes graves ciblant la communauté juive.

En 2021, certains antivax circulent avec une étoile jaune sur la poitrine, assimilant ainsi la stigmatisation dont ils font l’objet dans leur refus d’être vaccinés, avec celle des juifs obligés de porter l’étoile jaune dans les pays occupés par les nazis. Comme si le sort des personnes non vaccinées dans un pays démocratique était assimilable à celui des juifs qui étaient ainsi désignés pour être transférés vers des camps d’extermination. Banalisation inouïe de l’extermination.

Ces manifestations de l’antisémitisme explicite ou larvé interrogent et inquiètent à juste titre, car elles attestent que l’inhibition de l’antisémitisme qui avait suivi la Shoah a quasiment disparu. Les relents antisémites refont surface, et, au-delà de ces relents, il y a aussi des actes et mêmes des meurtres antisémites dont les raisons restent parfois obscures. La spécificité de l’antisémitisme réside dans la permanence de la stigmatisation et de l’accusation des juifs et sa réinvention selon le moment et l’occasion.

Bien entendu, certains moments de l’antisémitisme relèvent du racisme, cela n’a pas commencé aux XIXet XXe siècles, avec le nazisme comme sommet de l’horreur, mais déjà à la fin du XVe siècle, en Espagne et au Portugal, avec le principe d’exigence de « pureté de sang ». En ce sens, il est légitime que l’antisémitisme soit mis, aux plans de la morale et du droit, au même rang que toutes les autres formes de racisme touchant la couleur de la peau, le sexe, l’ethnie ou encore le mode de vie.

Trois caractères distinctifs

L’antisémitisme comme toute autre forme de racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. Il n’en reste pas moins que trois caractères distinguent l’antisémitisme des diverses formes de racisme.

Premièrement, aucune forme d’accusation, de mépris et de persécution à l’égard d’un peuple, à travers les communautés qui s’y reconnaissent, ne s’est maintenue sur une si longue durée. L’antisémitisme commence avant le christianisme (on en a le témoignage dans un texte de la fin du Ier siècle, le Contre Apion de Flavius Josephe, lequel entend démontrer l’antiquité de la communauté juive, la sienne, et la défendre contre l’accusation hallucinatoire de meurtre rituel, ce qui atteste l’antiquité de cette accusation) et continue avec certains courants du christianisme, par l’accusation suprême de déicide, dans l’Antiquité, le Moyen Âge et la Renaissance. Il se poursuit dans les temps modernes avec des motifs n’ayant rien de religieux, comme l’identification des juifs avec l’argent et le capitalisme, le caractère parasite de cette communauté sans liens avec une terre particulière et sans patrie, donc sans attachements, sans fidélité autre qu’à elle-même, donc traîtresse par essence. Les juifs sont alors, aisément, accusés de fomenter des complots non pas simplement locaux mais mondiaux.

NDLR – L’antisémite désigné comme tel par la Bible est Amalek. Omettre Amalek dans l’analyse de l’antisémitisme biaise totalement l’approche sur l’antisémitisme. Amalek est cette peuplade qui s’attaque à Israël, à la sortie d’Égypte, pour détruire le peuple de Dieu, et ainsi démontrer la non-invincibilité non des hébreux mais de Dieu lui-même. 

L’antisémitisme est donc avant tout le rejet du monothéisme hébraïque, dont les justificatifs les plus saugrenus viennent à postériori, et non à priori. Ainsi l’attrait d’une sexualité débridée promue par l’idolâtrie, était la porte d’entrée à cette hérésie, comme la Bible le raconte dans l’affaire des filles de Moab et de Pinhas. Le Christianisme de Paul qui abroge les lois juives dans un discours confus, avec une réécriture du Judaïsme, entraine des Juifs à la conversion, grace à l’atrait d’une religion sans contraintes. Essayer de comprendre une haine profonde, sous-jacente, qui est maquillée avec des raisons multiples et variées, qui n’ont ni fondement ni raison, renvoie à une erreur de raisonnement.

L’antisémitisme chrétien, musulman ou même athée procède du rejet du monothéisme hébraïque et de son projet, auquel toutes sortes de justificatifs peuvent essayer de servir, sans nul besoin qu’ils soient crédibles ou non. C’est donc, non la haine de l’autre, dans une relation inter humaine, comme c’est le cas pour le racisme, mais le rejet du Dieu d’Israël avec le peuple d’Israël pris en otage.  Telle est le fondement de cette différence.

 

 

Une société qui ne connaît que les slogans simplistes

La cause de tous les maux

Ainsi, Les Protocoles des sages de Sion, faux produit créé par la police tsariste au début du XXe siècle, qui décrit le prétendu plan de la conquête du monde par les juifs et les francs-maçons, a-t-il très bien fonctionné et continue d’être diffusé actuellement dans certains pays arabes. En somme, on a fait des juifs pratiquement la cause de tous les maux possibles et imaginables, et cela pas seulement de la part de populations ignorantes ou superstitieuses, mais aussi de personnalités politiques ou d’écrivains (Louis-Ferdinand Céline en est la figure la plus emblématique) et même d’illustres philosophes comme, entre autres, Heidegger, lequel voyait dans les juifs la cause de l’oubli de l’être et de l’effondrement du monde moderne dans un rapport technique et productif à la terre, et qui reprochait aux nazis de n’avoir pas été assez radicaux.

Deuxièmement, outre sa durée, l’antisémitisme, comme on vient de l’esquisser, a des figures très diverses. Il ne s’agit pas d’une accusation identique récurrente mais d’une accusation permanente à travers des métamorphoses, dont l’une des plus récentes est la transformation politique de l’antisémitisme en antisionisme, quand il y a délégitimation de l’État d’Israël en tant que tel, c’est-à-dire volonté que cet État soit détruit, et, pourquoi pas, les juifs rejetés dans la mer. La métamorphose politique de l’antisémitisme est alors souvent liée à une « désappropriation » de l’histoire diasporique de ce peuple, et même de ses espérances (retour sur la terre de ses ancêtres), et à sa « réidentification » de victime en bourreau.

Le sommet de la confusion mentale

Propagation mondiale

Troisièmement, il y a, à bien des égards, une diffusion quasi universelle de l’antisémitisme. Non qu’il soit d’emblée partagé à travers le monde, mais qu’il se diffuse avec facilité, de sorte que parfois l’antisémitisme se propage là même où l’on n’a jamais vu un seul individu de confession juive, ou encore là où l’antisémitisme n’existait pas.

Sur ces trois points, l’antisémitisme se distingue des formes du racisme. On comprend donc que la question revienne de manière récurrente : pourquoi cette permanence, malgré les démentis de l’histoire, pourquoi ces métamorphoses, pourquoi cette facilité de diffusion ? Pourquoi les juifs sont-ils l’objet d’accusations et de persécutions quasi systématiques pour des motifs non seulement différents mais parfois diamétralement opposés ?

Les juifs apparaissent comme une anomalie dans l’histoire, un peuple dispersé, en exil, constitué de communautés diverses dans une multiplicité de pays et qui pourtant maintient une identité à travers une foi et des traditions communes. Cela est tout à fait étrange, nul autre peuple dont l’antiquité est attestée n’a ce caractère. C’est cela sans doute qui à la fois distingue les juifs et permet de les désigner, cette désignation pouvant devenir un stigmate objet d’accusation et de haine.

Yves Charles Zarka est philosophe, professeur émérite à l’Université de Paris, fondateur et directeur de la revue Cités (PUF).

JForum – Yves Charles Zarka(Philosophe) – LE Monde

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Bonaparte

Par ailleurs nous servons de thérapie aux malades mentaux .

Bonaparte

Tant que le Peuple Juif brillera il y aura de l’antisémitisme .